Blanchiment et confiscation

Le : 14/12/2017

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 6 décembre 2017

N° de pourvoi : 16-84310

ECLI:FR:CCASS:2017:CR02960

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Gadiou et Chevallier, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-"

M. Wanjin X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 5-13, en date du 8 juin 2016, qui, après avoir constaté le caractère définitif à son égard de la déclaration de culpabilité et du prononcé de l’amende douanière concernant la complicité de manquement à l’obligation déclarative, l’a condamné, pour blanchiment, à 50 000 euros d’amende et a ordonné une mesure de confiscation ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 25 octobre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme de la Lance, conseiller rapporteur, M. Steinmann, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de Mme le conseiller DE LA LANCE, les observations de la société civile professionnelle GADIOU et CHEVALLIER, la société civile professionnelle BORÉ, SALVE DE BRUNETON et MÉGRET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général PETITPREZ ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour blanchiment du produit des délits de travail dissimulé et de fraude fiscale, en organisant et en participant au transfert d’importantes sommes en espèces dissimulées dans des bagages en provenance de France et d’Italie vers la Chine, sommes issues d’une activité commerciale de confection et de vente de textiles exercée en Italie et en France et ne faisant l’objet d’aucune déclaration aux organismes sociaux et fiscaux français et italiens, et pour complicité du délit douanier de manquement à l’obligation déclarative de transfert d’une somme de 590 110 euros en provenance et vers un pays membre de l’Union européenne sans l’intermédiaire d’un établissement de crédit, délit commis par Mme Wei Wei Z..., interpellée à l’aéroport de Roissy en possession de la somme non déclarée précitée, découverte dans ses bagages ;

Que par jugement du 23 janvier 2014, contradictoire à l’égard de Mme Z...et rendu par défaut à l’égard de M. X..., le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus pour les faits de blanchiment et les a condamnés pour les autres faits ; que, sur l’appel du ministère public, la cour d’appel, par arrêt du 11 juin 2015, contradictoire à l’égard de Mme Z...et rendu par défaut à l’égard de M. X..., a confirmé le jugement sur les déclarations de culpabilité, l’infirmant pour le surplus, a déclaré les prévenus coupables de blanchiment, a condamné Mme Z...à 5 000 euros d’amende et M. X... à 50 000 euros d’amende et a prononcé la confiscation de la somme saisie, déduction faite de l’amende douanière ;

Que M. X... a formé opposition à l’encontre de cet arrêt ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 152-1 et L. 152-4 du code monétaire et financier, 464 et 465 du code des douanes, 1649 quater A du code général des impôts, 509, 591 et 593 du code de procédure pénale, 6-1 et 6-3 de la Convention européenne des droits de l’homme, défaut de motif et manque de base légale ;

” en ce que l’arrêt attaqué constate que le jugement rendu le 23 janvier 2014 par le tribunal correctionnel de Bobigny est définitif sur la déclaration de culpabilité et sur l’amende douanière pour le délit douanier de manquement à l’obligation déclarative, sous réserve de la rectification de l’erreur matérielle concernant M. X... ;

” aux motifs que sur le délit de manquement à l’obligation déclarative, étant rappelé que le prévenu M. X... n’a pas interjeté appel du jugement rendu par la 15e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny du 23 janvier 2014, seul le ministère public étant appelant, la cour constate que les dispositions du jugement relatives à la déclaration de culpabilité et à l’amende douanière sont définitives sauf à rectifier l’erreur matérielle concernant M. X... qui sera déclaré coupable de complicité de manquement à l’obligation déclarative ;

” 1°) alors que l’affaire est dévolue à la cour d’appel dans les limites de l’acte d’appel et par la qualité de l’appelant ; que seules les mentions de l’acte d’appel peuvent limiter son effet dévolutif ; que le jugement entrepris qui avait statué par défaut à l’égard de M. X... et l’avait relaxé partiellement des fins de la poursuite a fait l’objet d’un appel émanant du procureur de la République ; que la cour d’appel, qui statuait sur l’opposition formée par M. X... à l’encontre de l’arrêt du 11 juin 2015 qui s’était prononcé sur l’appel du procureur de la République, ne pouvait pas affirmer sans violer les textes susvisés, qu’à défaut d’appel du prévenu, le chef de jugement l’ayant déclaré coupable de l’infraction douanière de transfert non déclaré de sommes était devenu définitif, sans constater que l’acte d’appel du parquet comportait expressément une limitation aux seuls chefs de dispositif du jugement relaxant le prévenu des autres infractions poursuivies ;

” 2°) alors que de surcroît, il résulte des mentions de l’arrêt de la cour d’appel du 11 juin 2015 que « le ministère public a indiqué à la cour qu’il se désistait de son appel concernant l’infraction de non déclaration de capitaux » et que la cour d’appel s’était prononcée au fond sur la totalité des chefs de prévention en confirmant notamment la déclaration de culpabilité de M. X... du chef de l’infraction douanière, ce qui établissait qu’aucune limitation de la déclaration d’appel du procureur de la République n’avait été retenue, même si celui-ci avait déclaré à l’audience limiter son appel aux seules infractions de blanchiment, ce qui était sans portée sur l’effet dévolutif de l’appel ; qu’en déclarant néanmoins que le jugement était devenu définitif sur la déclaration de culpabilité du chef de l’infraction douanière, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

” 3°) alors qu’en toute hypothèse un prévenu ne peut pas être privé du droit de faire valoir ses moyens de défense sur un chef de prévention, à la faveur d’un appel limité du ministère public ; que l’opposition régulièrement formée met à néant le jugement dont il est frappé ; qu’il ressort des pièces de la procédure et des constatations de l’arrêt attaqué que M. X... a été jugé par défaut en première instance et en appel et que son opposition ne pouvait viser que l’arrêt du 11 juin 2015 ; qu’en déclarant néanmoins que faute d’avoir fait appel du jugement du 24 janvier 2014, le chef de dispositif de ce jugement le déclarant coupable de l’infraction douanière visée à la prévention était définitif, la cour d’appel a violé les textes et principes susvisés “ ;

Attendu qu’après avoir mis à néant l’arrêt rendu le 11 juin 2015 dans ses dispositions concernant M. X..., après opposition de celui-ci, l’arrêt relève que l’avocat général indique que son appel ne concerne que la relaxe pour le délit de blanchiment prononcée par le tribunal correctionnel, et retient, pour dire que le jugement déféré du 23 janvier 2014 est définitif sur la déclaration de culpabilité et sur l’amende douanière relatives au manquement à l’obligation déclarative, que M. X... n’a pas interjeté appel de ce jugement et que seul le ministère public est appelant ;

Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que le ministère public a la faculté de limiter son appel principal lors de l’audience devant les juges du second degré et que le prévenu, qui ne peut, sur l’étendue de cet appel, se prévaloir des motifs de l’arrêt mis à néant suite à son opposition, n’a ni interjeté appel du jugement ni formé opposition à celui-ci, la cour d’appel a justifié sa décision ;

Que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 324-1, 324-3, 324-7 et 324-8 du code pénal, 509, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;

” en ce que l’arrêt attaqué déclare M. X... coupable de blanchiment de fraude fiscale et de travail dissimulé, le condamne à la peine de 50 000 euros d’amende et ordonne à titre de peine complémentaire la confiscation de la somme de 590 110 euros déduction faite de l’amende douanière ;

” aux motifs que sur le délit de blanchiment, M. X... est poursuivi pour avoir apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect des délits de travail dissimulé et de fraude fiscale, en l’espèce en organisant et en participant au transfert de la somme de 590 110 euros, dissimulée dans des bagages de Mme Wei Wei Z..., somme provenant de France et d’Italie à destination de la Chine, et issue d’une activité commerciale de confection et de vente de textiles exercée en Italie et en France, sans aucune déclaration aux organismes sociaux et fiscaux français et italiens ; qu’il est constant que les fonds, dont Mme Wei Wei Z...a indiqué, le confirmant à plusieurs reprises, qu’ils étaient destinés à M. X..., ce que ce dernier a confirmé lors d’un bref entretien téléphonique avec les agents des douanes, étaient dissimulés dans les bagages, emballés dans des paquets cadeau et sans avoir été déclarés aux douanes ; que l’enquête a établi que Mme Wei Wei Z...et M. X..., avant l’interpellation à Roissy de Mme Wei Wei Z..., étaient tous les deux présents en région parisienne et en contacts téléphoniques fréquents, et que les bagages enregistrés accusaient une augmentation de poids de trois kilos entre Rome et Roissy ; que s’il est affirmé par la défense que l’argent retrouvé en possession de Mme Wei Wei Z...correspondrait à des sommes dues par la société italienne Paradisio à la société chinoise Qi Jin pour des marchandises exportées régulièrement de Chine en Italie, la cour s’étonne, au regard du montant découvert dans les bagages, qu’il n’ait pas été procédé à leur règlement par un virement bancaire ; que l’ensemble de ces circonstances et les déclarations, ou absence de déclaration, des prévenus, celles de M. X... selon lesquelles l’argent lui était destiné mais qu’il refusait de venir s’en expliquer, celles de Mme Wei Wei Z...sur les conditions de transfert de l’argent, dans le but d’éluder les impôts, argent issu d’activités non déclarées par des commerçants de Rome, l’acquisition des billets d’avion pour les multiples voyages faits dans le courant de l’année 2010 auprès d’une agence de voyages d’Aubervilliers, les déclarations de témoins entendus établissant que M. X... dirigeait, notamment en France, d’importantes activités de négoce portant sur des marchandises provenant de Chine distribuées, en éludant la fiscalité et les lois sociales, dans des commerces d’Aubervilliers, établissent que les fonds proviennent d’activités commerciales non déclarées en Italie et en France, ce qui caractérise en tous ses éléments le délit de blanchiment ; qu’en conséquence le jugement sera infirmé et M. X... sera déclaré coupable des délits de blanchiment de fraude fiscale et de travail dissimulé ainsi que visés à la prévention ; qu’au regard de la gravité objective des faits, des circonstances de leur commission, la cour condamnera M. X... à une peine d’amende qui est de nature à réprimer les faits de manière appropriée ; que compte tenu des éléments de personnalité qui lui sont soumis, la cour condamnera M. X... à une amende de 50 000 euros ; que la cour ordonnera, à titre de peine complémentaire, la confiscation de la somme de 590 110 euros, déduction faite de l’amende douanière, somme actuellement déposée sur le compte de l’AGRASC à la Caisse des Dépôts et Consignations, en ce qu’elle est le produit du délit dont M. X... a été déclaré coupable ;

” alors que le délit de blanchiment caractérisé par le concours apporté à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit nécessite que soient relevés précisément les éléments constitutifs d’un crime ou d’un délit principal ayant procuré à son auteur un profit direct ou indirect ; qu’en se bornant à affirmer que « M. X... dirigeait, notamment en France, d’importantes activités de négoce portant sur des marchandises provenant de Chine distribuées, en éludant la fiscalité et les lois sociales, dans des commerces d’Aubervilliers » sans viser aucun cas précis ni aucun élément de preuve susceptibles de révéler des faits constitutifs aussi bien du délit de fraude fiscale que du délit de travail dissimulé, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision “ ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de blanchiment, l’arrêt énonce que, selon les déclarations des prévenus, les fonds, dissimulés dans les bagages de Mme Z...arrivant de Rome, emballés dans des paquets cadeau et non déclarés aux douanes, étaient destinés à M. X..., qu’il est établi que les deux prévenus, avant l’interpellation à Roissy, étaient présents en région parisienne et en contacts téléphoniques fréquents, que si l’argent, comme il est prétendu, provenait d’une société italienne réglant des marchandises exportées régulièrement de Chine en Italie, il est étonnant qu’il n’ait pas été procédé à un virement bancaire, que Mme Z...a déclaré que les conditions de transfert de l’argent, issu d’activités non déclarées par des commerçants de Rome, avaient pour but d’éluder les impôts, que ces circonstances, les multiples voyages faits au cours de l’année 2010, et les déclarations de témoins établissant que M. X... dirigeait d’importantes activités de négoce portant sur des marchandises en provenance de Chine distribuées, en éludant la fiscalité et les lois sociales, dans des commerces d’Aubervilliers, démontrent que les fonds proviennent d’activités commerciales non déclarées en Italie et en France et caractérisent le délit de blanchiment ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, d’où il résulte que les fonds dissimulés en vue de leur transfert en Chine provenaient des délits de travail dissimulé et de fraude fiscale caractérisés par la perception de recettes occultes, d’un montant élevé, résultant d’une activité de vente non déclarée de marchandises en provenance de ce pays et ne faisant l’objet d’aucune déclaration fiscale, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six décembre deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 8 juin 2016