Pas de mention du nombre d’heures de travail - convention de forfait non

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 décembre 2020, 19-11.519, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale

N° de pourvoi : 19-11.519
ECLI:FR:CCASS:2020:SO01183
Non publié au bulletin
Solution : Cassation partielle

Audience publique du mercredi 09 décembre 2020
Décision attaquée : Cour d’appel de Bordeaux, du 05 décembre 2018

Président
M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
SCP Alain Bénabent , SCP Foussard et Froger
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION


Audience publique du 9 décembre 2020

Cassation partielle

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1183 F-D

Pourvoi n° P 19-11.519

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 DÉCEMBRE 2020

Mme T... P..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° P 19-11.519 contre l’arrêt rendu le 5 décembre 2018 par la cour d’appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), dans le litige l’opposant à la société G.R.I., société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme P..., de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société G.R.I., après débats en l’audience publique du 21 octobre 2020 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 5 décembre 2018), Mme P... a été engagée par la société A.B. COMM à compter du 1er septembre 2011 en qualité de commerciale, statut employé. L’article 8 du contrat de travail stipulait que la rémunération définie couvrait forfaitairement l’ensemble des activités que la salariée déploierait pour le compte de la société, la nature de son travail et les responsabilités qu’elle assumait ne permettant pas le décompte d’éventuelles heures supplémentaires de travail. Un nouveau contrat de travail était conclu le 30 janvier 2014 avec la société G.R.I., autre entité du même groupe.

2. Le 20 mars 2014, la salariée et la société G.R.I. ont conclu une convention de rupture conventionnelle du contrat de travail. Le 19 août 2014 le conseil de la salariée a adressé à l’employeur une lettre par laquelle celle-ci réclamait notamment le paiement d’heures supplémentaires.

3. Le 20 août 2014, la salariée a saisi la juridiction prud’homale, sollicitant pour l’essentiel la nullité de la convention de forfait, le paiement d’heures supplémentaires, l’indemnisation de ses temps de trajet, ainsi qu’une indemnité pour travail dissimulé.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande de rappels d’heures supplémentaires et congés payés afférents, d’indemnisation des temps de trajet et de dommages-intérêts pour travail dissimulé, alors « que la rémunération au forfait ne peut résulter que d’un accord entre les parties ; que la convention de forfait doit déterminer le nombre d’heures correspondant à la rémunération convenue, celle-ci devant être au moins aussi avantageuse pour le salarié que celle qu’il percevrait en l’absence de convention, compte tenu des majorations pour heures supplémentaires ; qu’il appartient à l’employeur qui se prévaut de l’existence d’une convention de forfait d’en apporter la preuve ; que pour rejeter sa demande en rappel d’heures supplémentaires et ses demandes subséquentes, la cour d’appel a retenu que la clause de ’’rémunération indépendante de tout horaire’’ était licite car la salariée aurait bénéficié d’une très grande autonomie et d’un niveau élevé de salaire ; qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, sans constater l’existence d’un accord de la salariée sur le paiement forfaitisé des heures supplémentaires, la cour d’appel a violé l’ancien article L. 3122-22 du code du travail dans sa version applicable aux faits de l’espèce et l’article 1134 du code civil alors applicable. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3121-40 et L. 3121-41 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

5. Selon ces textes, d’une part, la rémunération au forfait ne peut résulter que d’un accord entre les parties et, d’autre part, la convention de forfait doit déterminer le nombre d’heures correspondant à la rémunération convenue, celle-ci devant être au moins aussi avantageuse pour le salarié que celle qu’il percevrait en l’absence de convention, compte tenu des majorations pour heures supplémentaires.

6. Par ailleurs, il appartient à l’employeur qui se prévaut de l’existence d’une convention de forfait d’en apporter la preuve.

7. Pour débouter la salariée, engagée en qualité d’employée commerciale jusqu’au mois de janvier 2014, de ses demandes au titre des heures supplémentaires, de l’indemnisation de ses temps de trajet et des dommages-intérêts pour travail dissimulé, l’arrêt retient que cette dernière disposait d’une large autonomie et faisait preuve d’un grand investissement dans ses fonctions et qu’elle n’était pas soumise à des horaires de travail fixe, mais bénéficiait, ainsi que le soutient son employeur, d’une clause de rémunération indépendante des horaires de travail.

8. En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que la convention ne déterminait pas le nombre d’heures correspondant à la rémunération convenue, de sorte qu’aucune convention de forfait n’était caractérisée, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute Mme P... de ses demandes de rappels de salaire au titre d’heures supplémentaires et congés payés afférents, d’indemnisation des temps de trajet et de dommages-intérêts pour travail dissimulé, l’arrêt rendu le 5 décembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ;

Condamne la société G.R.I. aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société G.R.I. et la condamne à payer à Mme P... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf décembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour Mme P...

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté Mme T... P... de sa demande de rappels d’heures supplémentaires et congés payés afférents, d’indemnisation des temps de trajet et de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

AUX MOTIFS QUE « (
) Sur les heures supplémentaires

Que l’article L. 3125-5 (devenu L. 3121-1) du Code du travail définit la durée du travail effectif comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles ;

Qu’il résulte de l’article L. 3171-4 du Code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ;
Qu’au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par le salarié, qui doivent étayer suffisamment sa demande, et de ceux fournis par l’employeur qui doivent être de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ;

Que par ailleurs, la clause de « rémunération indépendante de tout horaire » contenue dans un contrat de travail suppose, pour être licite une très grande autonomie et un niveau élevé de salaire ;
Que s’agissant de l’autonomie, celle-ci doit se traduire par une grande liberté et un niveau élevé de responsabilités, rendant impossible le contrôle des temps par l’employeur ;
Que le niveau élevé de salaire, au regard de la catégorie du salarié témoigne du degré d’autonomie dont il découle que le décompte des heures est impossible ;

Qu’en l’espèce, le contrat de travail de Madame P... prévoit dans son article 8 avant dernier alinéa : « La rémunération définie ci-dessus couvre forfaitairement l’ensemble des activités que Madame T... P... déploiera pour le compte de la société, la nature de son travail et les responsabilités qu’elle assume ne permettant pas le décompte d’éventuelles heures supplémentaires de travail. » ;
Qu’il n’est ni contestable ni contesté qu’elle disposait d’une totale autonomie pour l’organisation de ses journées de travail dans le cadre des missions qui lui étaient dévolues, à savoir la représentation et la vente de contrats de maintenance et travaux ponctuels des matériels incendie et travaux ponctuels au nom et pour le compte de la société [...] et d’une manière générale tout produit des sociétés filiales et représentées par la société AB.COMM, dans un secteur géographique regroupant 13 départements dans le sud-ouest ;
Qu’elle prétend qu’à partir de janvier 2012, il lui a été demandé d’assurer la création puis le fonctionnement de l’agence de Toulouse ; qu’à l’appui de cette affirmation, Madame T... P... produit aux débats des attestations de tiers ayant été en contact professionnellement avec elle, desquels il ne ressort pas que la responsabilité de l’agence de Toulouse lui ait été confiée ;

Qu’il est également produit aux débats une attestation de son ancien compagnon qui ne précise pas plus qu’elle a été responsable de l’agence de Toulouse, mais fait état de ses horaires de travail extrêmement étendus ; que de la même façon, une attestation de la soeur de Madame T... P... relate l’investissement de Madame T... P... dans son entreprise et l’importance de ses déplacements ;

Qu’aucun de ces documents ne mentionne précisément qu’il a été confié à Madame T... P... la charge de l’agence de Toulouse ;

Que le seul élément tangible qui pourrait laisser supposer que la salariée était tenue d’être présente à Toulouse est la plaquette publicitaire de l’année 2013 qui mentionne son nom comme étant celui de la responsable de cette agence ;

Que cependant, le secteur de Toulouse faisant partie du secteur géographique confié à Madame T... P..., cet élément est insuffisant pour démontrer que ses missions ont été considérablement élargies à compter de janvier 2013, comme elle le soutient ;

Que la photocopie de ses agendas, dont elle assurait seule la tenue, y compris en ce qui concerne son emploi du temps pour lequel elle disposait d’une parfaite autonomie, ne permet pas plus de rapporter la preuve d’un élargissement de sa mission, et de responsabilités supplémentaires à compter du mois de janvier 2013 ;

Qu’enfin, le salaire perçu hors prime par Madame T... P... conformément à son contrat de travail initial et à l’avenant de 2007 (sic) était très nettement supérieur au salaire minimum prévu par la Convention collective applicable pour une salariée de sa catégorie, à savoir commerciale, statut employée, coefficient 4, et jusqu’à la fin de l’année 2012 ;
Que la soumission du contrat de travail de Madame T... P... à compter du 1er janvier 2013 à la Convention collective plasturgie n’a pas modifié sa classification ni le montant de sa rémunération ;

Qu’il ressort de ces éléments que Madame T... P... n’était pas soumise à des horaires de travail fixes, mais bénéficiait, ainsi que le soutient son employeur, d’une clause de rémunération indépendante des horaires de travail ;

Que dès lors, l’appelante ne peut solliciter ni le paiement d’heures supplémentaires, ni celui de ses temps de trajet, pas plus qu’elle ne peut prétendre au repos compensateur ; qu’enfin, aucune dissimulation d’emploi salarié n’est démontrée à l’encontre de l’intimée ;

Que le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté l’ensemble de ces prétentions » ;

1°ALORS QUE la rémunération au forfait ne peut résulter que d’un accord entre les parties ; que la convention de forfait doit déterminer le nombre d’heures correspondant à la rémunération convenue, celle-ci devant être au moins aussi avantageuse pour le salarié que celle qu’il percevrait en l’absence de convention, compte-tenu des majorations pour heures supplémentaires ; qu’il appartient à l’employeur qui se prévaut de l’existence d’une convention de forfait d’en apporter la preuve ; que pour rejeter la demande en rappel d’heures supplémentaires de Mme P... et ses demandes subséquentes, la cour d’appel a retenu que la clause de « rémunération indépendante de tout horaire » était licite car la salariée aurait bénéficié d’une très grande autonomie et d’un niveau élevé de salaire ; qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, sans constater l’existence d’un accord de la salariée sur le paiement forfaitisé des heures supplémentaires, la cour d’appel a violé l’ancien article L. 3122-22 du Code du travail dans sa version applicable aux faits de l’espèce et l’article 1134 du Code civil alors applicable ;

2° ALORS QUE la preuve des heures de travail effectuées par le salarié n’incombe spécialement à aucune des parties, de sorte que le juge ne peut, pour rejeter une demande formée sur l’accomplissement d’heures supplémentaires, se fonder exclusivement sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié ; qu’en l’espèce, en jugeant qu’aucun des éléments de preuve produits par Mme P... (diverses attestations , la plaquette publicitaire de 2013 et la photocopie des agendas de la salariée) ne suffisait à démontrer que la création et le fonctionnement de l’agence de Toulouse avaient été confiés à Mme P... en janvier 2012 et que ses missions avaient été considérablement élargies à compter de janvier 2013, tandis que le juge ne peut, pour rejeter une demande formée sur l’accomplissement d’heures supplémentaires, se fonder exclusivement sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié, la cour d’appel a violé les articles L. 3121-22 dans sa version applicable aux faits de l’espèce et L. 3171-4 du Code du travail ;

3°ALORS QU’ au surplus, pour étayer sa demande en paiement d’heures supplémentaires relative à la période comprise entre septembre 2011 et avril 2014, Mme P... avait produit différents types de documents ; que pour débouter la salariée de la totalité de sa demande, les juges du fond ont jugé qu’elle ne rapportait ni la preuve que la création et le fonctionnement de l’agence de Toulouse lui avaient été confiés en janvier 2012, ni que ses missions avaient été considérablement élargies à partir de janvier 2013 ; qu’en statuant de la sorte la cour d’appel n’a pas répondu aux conclusions de Mme P... en violation de l’article 455 du Code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2020:SO01183