Entrepôt de logistique

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 18 mars 1997

N° de pourvoi : 96-82254

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. MILLEVILLE conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-huit mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller JOLY, les observations de la société civile professionnelle Alain MONOD et de Me CHOUCROY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DINTILHAC ;

Statuant sur les pourvois formés par :

 B... Patrice,

 FONSECA Z..., contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 11° chambre, en date du 18 mars 1996, qui, sur renvoi après cassation, dans les poursuites suivies contre eux pour prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage, les a condamnés chacun à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d’amende, et a ordonné l’affichage de l’arrêt pendant un mois aux portes des entreprises DANZAS-SATEM et TRAMACO ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour Patrice B... et pris de la violation des articles L. 125-1 et L. 125-3 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Patrice B... coupable des délits prévus par les articles L. 125-1 et L. 125-3 du Code du travail et l’a condamné à une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 100 000 francs, et a ordonné l’affichage de cette décision ;

”aux motifs qu’il est établi que les prestations de manutention opérées par Tramaco sur le site de Danzas étaient peu spécialisées et nécessitaient un apprentissage des plus réduits ; qu’à la date des faits, il a été irrégulièrement fait usage des contrats de travail intermittent ; qu’à l’époque du contrôle au mois de décembre 1992, n’étaient pas réunies les conditions de l’article L. 212-4-8 du Code du travail alors applicable ; qu’il a été reconnu par les prévenus que le travail de Tramaco s’effectuait essentiellement avec le matériel de la société Danzas ; que, sur ce point, il a été personnellement constaté par le directeur adjoint du travail dans les transports, dont les observations sont en parfaite concordance avec celles des autres fonctionnaires ayant procédé au contrôle, que les trois lignes de machines utilisées par les salariés de Tramaco, de même que les outils de manutention (tables et supports divers) appartenaient à Danzas ;

que Diogo A... a indiqué qu’il ne versait aucune redevance à Danzas pour cette utilisation ; que les salariés Danzas intervenaient sur les lignes de production afin de régler les machines ou de remédier aux défauts de fonctionnement les plus sérieux ; qu’il a été reconnu également par Diogo A... que le personnel employé par Tramaco n’avait pas de formation poussée et que, si cinq chefs d’équipe Tramaco avaient été nommés à compter du mois de juillet 1992, les primes correspondant à ces fonctions demeuraient très faibles ; que Patrice B... a indiqué lors de l’audience des premiers juges que son personnel ne donnait pas d’ordre à Tramaco si ce n’est des ordres de plan de charges s’apparentant à des commandes ; que, devant la Cour, il a cependant admis que son personnel intervenait auprès de Tramaco pour un contrôle de qualité efficace, afin de satisfaire son propre client, Unisabi ; qu’il résulte des déclarations faites sous serment par le directeur adjoint du travail dans les transports, devant les premier juges, qu’un membre du personnel d’encadrement Danzas, M. C..., s’était mis en rapport personnellement avec lui pour régler des questions relatives au contrat de travail des salariés Tramaco, qu’il avait réglé également avec cette personne des réclamations formulées par les employés Tramaco à la suite d’un chantage à l’emploi exercé par un membre du personnel Danzas ; que l’ensemble de ces éléments établit le manque d’autonomie de Tramaco par rapport à Danzas et démontre que, sous l’apparence d’une sous-traitance, Tramaco, qui ne disposait pas d’un personnel d’encadrement véritable, effectuait des travaux ne présentant aucun caractère spécifique pour le compte de Danzas, et se trouvait en fait sous la subordination de cette dernière société, qui fixait notamment quotidiennement les opérations à réaliser, le nombre de salariés à appeler pour effectuer le travail et les délais de production à respecter ; que le mode de facturation et notamment la traduction d’heures de travail en unités de valeur, en fonction de la nature de la tâche à accomplir et non pas seulement du coût heure à la main d’oeuvre, Danzas démontre encore que le mode de rémunération ne correspondait pas à un montant forfaitaire effectif ;

que Patrice B... a admis devant les premiers juges que c’était la société Danzas qui procédait à une préfacturation, aboutissant à la traduction des coproductions horaires ; qu’il est ainsi établi en l’état de ces seuls faits et sans qu’il y ait lieu d’analyser d’autres éléments ni d’ordonner un supplément d’information que le contrat de sous-traitance allégué constituait en fait une opération illicite, comme étant faite en dehors des règles régissant les entreprises de travail temporaire, de fourniture de main d’oeuvre à but lucratif, ayant pour effet de priver les salariés Tramaco de nombreux avantages sociaux ;

que, pour la société Danzas, le recours à un tel type de main d’oeuvre et à sa réalisation s’avérait très avantageux ;

”alors, d’une part, que la cour d’appel, qui a constaté la présence de cinq chefs d’équipe, s’est bornée à relever que les primes correspondant à ces fonctions étaient très faibles et qu’un membre du personnel d’encadrement de la société Danzas avait été en rapport avec le directeur adjoint du travail dans les transports au sujet du contrat de travail et de certaines réclamations de salariés de la société Tramaco sans examiner les conditions dans lesquelles la discipline était exercée sur ces salariés pendant l’exécution de leurs tâches et sans rechercher si, comme l’avaient retenu les premiers juges et comme le soutenait le demandeur, l’encadrement du personnel n’était pas assuré par deux contremaîtresses, Mmes Y... et X... ;

qu’elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard des textes précités ;

”alors, d’autre part, qu’en retenant que le personnel de la société Danzas intervenait auprès de la société Tramaco pour un contrôle de qualité efficace afin de satisfaire son propre client, Unisabi, sans rechercher si ce contrôle ne s’analysait pas en une réception des travaux rendues nécessaire par le respect des obligations de la société Danzas à l’égard de son client, la cour d’appel a de nouveau privé sa décision de base légale ;

”alors, d’une troisième part, qu’il résulte des énonciations de l’arrêt et des mentions des procès-verbaux qui sont à la base des poursuites que les juges du fond se sont fondés sur les seules déclarations des témoins entendus par les rédacteurs des procès-verbaux pour retenir le fait que la société Danzas fixait quotidiennement le nombre de salariés à appeler pour effectuer le travail ; qu’ainsi, la cour d’appel a violé l’article 429 du Code de procédure pénale ;

”alors, enfin, que la cour d’appel qui a relevé que la facturation ne dépendait pas seulement du nombre d’heures de travail mais aussi de la nature de la tâche à accomplir et en a déduit que la rémunération de la société Tramaco ne correspondait pas à un montant forfaitaire effectif sans rechercher si, comme le soutenait le demandeur, le coût horaire retenu ne se rapportait pas au temps moyen nécessaire par type d’opération, et non au nombre de salariés effectivement affectés à la réalisation de chaque opération, a privé sa décision de base légale au regard des textes précités” ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour Diogo A... et pris de la violation des articles L. 125-1, L. 125-3 et L. 152-3 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Diogo A... coupable de fourniture de main d’oeuvre ayant pour effet de causer un préjudice aux salariés qu’elle concerne et de prêt illicite de main d’oeuvre ;

”aux motifs qu’il ressort de la procédure et des débats que les prestations de manutention opérées par Tramaco sur le site de Danzas étaient peu spécialisées et nécessitaient un apprentissage des plus réduits ;

”qu’à la date des faits, il a été irrégulièrement fait usage de contrats de travail intermittents, les conditions de l’article L. 212-4-8 du Code du travail alors applicable n’étant pas réunies ;

”que le travail de Tramaco s’effectuait essentiellement avec le matériel de la société Danzas à laquelle aucune redevance n’était versée pour cette utilisation et dont les salariés réglaient les machines ou remédiaient aux défauts de fonctionnement les plus sérieux ;

”que le personnel employé par Tramaco n’avait pas de formation poussée, que les cinq chefs d’équipe nommés par Tramaco percevaient des primes très faibles correspondant à ces fonctions ;

”que si le personnel de Danzas a indiqué que son personnel ne donnait pas d’ordre à Tramaco, ce prévenu a admis devant la Cour que son personnel intervenait auprès de cette entreprise, pour un contrôle de qualité efficace afin de satisfaire son propre client ;

”qu’un membre du personnel d’encadrement Danzas s’est mis personnellement en rapport avec le directeur adjoint du travail dans les transports pour régler des questions relatives aux contrats de travail des salariés Tramaco et qu’il avait réglé avec cette personne des réclamations des employés Tramaco à la suite d’un “chantage à l’emploi” exercé par un membre du personnel Danzas ;

”que l’ensemble de ces éléments établissent le manque d’autonomie de Tramaco par rapport à Danzas et démontrent que, sous l’apparence d’un contrat de sous-traitance, Tramaco, qui ne disposait pas d’un personnel d’encadrement véritable, effectuait des travaux ne présentant aucun caractère spécifique pour le compte de Danzas et se trouvait en fait sous la subordination de cette dernière société qui fixait quotidiennement les opérations à réaliser et le nombre de salariés à appeler pour effectuer le travail et les délais de production à respecter ;

”que le mode de facturation des prestations fournies et notamment la traduction d’heures de travail en unités de valeur (en fonction de la nature de la tâche à accomplir et non pas seulement du coût horaire de la main d’oeuvre) préparée par Danzas, démontre encore que le mode de rémunération ne correspondait pas à un paiement forfaitaire effectif ;

”que c’était Danzas qui procédait à une préfacturation aboutissant à des coûts de production horaires ;

”qu’il est ainsi établi, en l’état de ces seuls faits et circonstances, que le contrat de sous-traitance allégué constituait en fait une opération illicite, comme étant faite hors des règles régissant les entreprises de travail temporaire, la fourniture de main d’oeuvre à but lucratif ayant pour effet de priver les salariés de Tramaco de nombreux avantages sociaux ;

”alors que le prêt de main d’oeuvre à but lucratif visé par l’article L. 125-3 du Code du travail résulte de la mise à la disposition de l’utilisateur d’un certain nombre de salariés pour une durée déterminée dont la rémunération est calculée en fonction de cette durée, du nombre et de la qualification des travailleurs placés sous la seule autorité de l’entreprise utilisatrice, alors que le contrat d’entreprise a pour objet, l’exécution d’une tâche objective, nettement définie, habituellement rémunérée de façon forfaitaire, le sous-entrepreneur conservant son autorité sur le personnel ; que dès lors, en l’espèce où il résulte des constatations matérielles des fonctionnaires de l’inspection du travail, qui sont à l’origine des poursuites, que les salariés de Tramaco travaillaient sous les ordres d’un contre-maître et d’un chef d’équipe de cette société présents sur les lieux, au conditionnement de boîtes de conserve d’aliments pour chien dans une zone des locaux de l’entreprise de transport et de magasinage Danzas qui était affectée à ce travail spécifique et où avait été installé un abri de chantier servant de bureau à l’entreprise Tramaco, la Cour n’a pas caractérisé l’existence d’un contrat de prêt de main d’oeuvre à but lucratif conclu entre Tramaco et Danzas en invoquant vainement la prétendue irrégularité des contrats de travail intermittents passés entre la première société et ses salariés, le fait que le travail de ces derniers s’effectuait avec le matériel de la société Danzas, la faible qualification des employés de Tramaco, les interventions du personnel de Danzas auprès de Tramaco pour un contrôle de qualité efficace et d’un membre du personnel de Danzas auprès de fonctionnaires de l’administration du travail pour régler des litiges entre des salariés de son entreprise et le personnel de Tramaco ainsi que l’absence de paiement forfaitaire effectif du travail effectué par les salariés de cette entreprise, ces éléments de fait qui s’expliquaient par les conditions dans lesquelles le travail confié chaque jour à la société Tramaco devait être réalisé par elle pour Danzas afin d’éviter des frais de transport inutiles, ne faisant pas disparaître l’existence d’une tâche spécifique accomplie par les salariés de Tramaco placés sous la seule autorité du personnel d’encadrement de cette société” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué ainsi que des procès-verbaux de l’inspection du travail, base de la poursuite, que Patrice B... et Diogo A..., respectivement, directeur régional de la société Danzas-Satem et gérant de la SARL Tramaco, ont été poursuivis devant la juridiction répressive des chefs de prêt illicite de main d’oeuvre et de marchandage pour avoir, alors que les sociétés qu’ils dirigeaient n’avaient pas le statut d’une entreprise de travail temporaire, recouru irrégulièrement à des opérations à but lucratif de fourniture de main d’oeuvre ayant eu pour effet de causer préjudice aux salariés ;

Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables des infractions prévues par les articles L. 125-1 et L. 125-3 du Code du travail, les juges du fond constatent tout d’abord que “sous l’apparence d’une sous-traitance, Tramaco, qui ne disposait pas d’un personnel d’encadrement véritable, effectuait des travaux ne présentant aucun caractère spécifique pour le compte de Danzas, et se trouvait sous la subordination de cette dernière société qui fixait notamment les opérations à réaliser, le nombre des salariés à appeler pour effectuer le travail et les délais de production à respecter” ; qu’ils relèvent ensuite que le mode de rémunération des prestations fournies ne correspondait pas à un paiement forfaitaire effectif ;

qu’ils ajoutent que cette opération illicite, comme étant faite en dehors des règles régissant les entreprises de travail temporaire, a eu pour effet de priver les salariés de Tramaco de nombreux avantages sociaux ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs fondés sur son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause ainsi que de la valeur des preuves contradictoirement débattues, la cour d’appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, et qui a recherché comme elle le devait la véritable nature des conventions litigieuses, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués aux moyens, lesquels, dès lors, doivent être écartés ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché , M. Joly conseiller rapporteur, MM. Guerder, Pinsseau, Mmes Françoise Simon, Anzani conseillers de la chambre, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires,

Avocat général : M. Dintilhac ;

Greffier de chambre : Mme Mazard ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Paris 11° chambre , du 18 mars 1996

Titrages et résumés : TRAVAIL - Travail temporaire - Contrat - Prêt de main d’oeuvre à but lucratif - Contrat d’entreprise - Distinction - Analyse des conventions litigieuses par les juges du fond.

Textes appliqués :
• Code du travail L125-1 et L125-3