Réquisitions par opj - agent des services fiscaux

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 3 avril 2019

N° de pourvoi : 18-82298

ECLI:FR:CCASS:2019:CR00435

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Soulard (président), président

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 M. L... M...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de VERSAILLES, 9e chambre, en date du 15 mars 2018, qui, pour abus de biens sociaux, travail dissimulé et blanchiment, l’a condamné à un an d’emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d’amende, et a ordonné une mesure de confiscation ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 13 février 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Darcheux ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Ascensi, les observations de la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général PETITPREZ ;

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. F..., gérant de la société Qilas Rotas exploitant le restaurant Les délices du Kashmir à Pontoise (95), a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs d’abus de biens sociaux, travail dissimulé par dissimulation d’activité et d’heures de travail, et blanchiment de ce dernier délit, et de fraude fiscale ; qu’il est notamment reproché au prévenu de s’être abstenu de déclarer à l’administration fiscale et aux organismes de protection sociale une partie des recettes du restaurant, ainsi que de déclarer certaines heures de travail effectuées par les salariés de la société, dont une partie des salaires était payée au moyen de la remise de chèques émis par les clients du restaurant ; que, par jugement du 3 mai 2017, l’intéressé a été déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés ; qu’il a relevé appel de la décision ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la convention européenne des droits de l’homme, L. 47 du livre des procédures fiscales, préliminaire, 60, 77-1, 77-1-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a rejeté l’exception de nullité de la procédure tirée de l’absence d’envoi d’un avis de vérification de comptabilité et de débat contradictoire pendant les opérations d’examen de la sincérité de la comptabilité de la société Qilas Rothas et de reconstitution de son chiffre d’affaires, déclaré M. F... coupable des faits d’abus de biens sociaux, de travail dissimulé, de blanchiment de fraude fiscale, de blanchiment de travail dissimulé et l’a condamné à douze mois d’emprisonnement avec sursis et à 10 000 euros d’amende ;

”aux motifs que la cour relève que la procédure soumise à son appréciation n’est pas une procédure fiscale, qu’il n’y a pas eu de vérification fiscale régie par le livre des procédures fiscales mais qu’il s’agit d’une enquête initiée et diligentée par la police de l’air et des frontières du Val-d’Oise ; qu’ainsi, aucune nullité ne peut être alléguée à la suite du non-respect des articles 47 et suivants du LPF, non applicable en l’espèce ; que l’inspecteur de la DGFIP est intervenu pour assister les enquêteurs dans la démonstration de la fraude fiscale, base du délit de blanchiment, infraction distincte et autonome non soumise aux dispositions de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales ; qu’il convient aussi de rappeler, comme l’a fait le tribunal, que l’article 324-1 du code pénal n’impose pas que des poursuites aient préalablement été engagées ni qu’une condamnation ait été prononcée du chef du délit ayant permis d’obtenir les sommes d’argent blanchies ; qu’il suffit que soient établis les éléments constitutifs de l’infraction principale ayant procuré les sommes litigieuses ; que la cour rejettera dès lors la demande de nullité non fondée ;

”et aux motifs éventuellement adoptés que l’article 324-1 du code pénal n’impose pas que des poursuites aient été préalablement engagées ni qu’une condamnation ait été prononcée du chef du délit ayant permis d’obtenir les sommes blanchies mais qu’il suffit que soient établis les éléments constitutifs de l’infraction principale ayant procuré les sommes litigieuses ; qu’en l’espèce, le délit de fraude fiscale résulte de dissimulations de sommes sujettes à l’impôt, notamment par l’omission de déclaration de ressources ou la perception de recette occultes, et que l’intention coupable se déduit de la volonté de soustraire ces sommes à l’administration fiscale ; que l’infraction générale de blanchiment, distincte et autonome, n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales ; que l’intervention de l’inspecteur de la DGFIP apparaît comme le recours à un sachant, venant porter assistance à la démonstration de l’infraction socle à partir des constatations des enquêteurs ; que l’exception de nullité soulevée sera rejetée ;

”alors que toute vérification de comptabilité par les agents de l’administration fiscale doit être précédée par l’envoi d’un avis de vérification à peine de nullité de la procédure que le contribuable a la faculté de se faire assister d’un conseil ; que l’observation d’un débat oral et contradictoire lors de l’examen des pièces de comptabilité constitue une garantie essentielle des droits de la défense dont il appartient à la juridiction pénale d’assurer le respect ; qu’il appartient alors au juge pénal de rechercher si, sous couvert de la réquisition autorisée sur le fondement de l’article 77-1 du code de procédure pénale, un inspecteur des impôts, sollicité en tant que personne qualifiée pour assister les enquêteurs dans la démonstration de la fraude fiscale, n’a pas outrepassé la mission d’assistance qui lui a été confiée et réalisé, dans le cadre de la procédure pénale, une vérification de comptabilité déguisée et non contradictoire ; qu’en jugeant qu’aucune nullité ne pouvait être alléguée à la suite du non-respect des articles 47 et suivants du LPF, en l’absence de toute procédure fiscale, la cour d’appel a violé le principe des droits de la défense, ensemble les textes susvisés” ;

Attendu que pour rejeter le moyen pris de la nullité de la procédure, tiré de l’absence d’envoi d’un avis de vérification de comptabilité et de débat contradictoire pendant les opérations d’examen de la sincérité de la comptabilité de la société Qilas Rotas et de reconstitution de son chiffre d’affaires auxquelles il aurait été procédé par un inspecteur des impôts sous couvert d’une réquisition délivrée par l’officier de police judiciaire sur le fondement de l’article 77-1 du code de procédure pénale, l’arrêt relève que le délit de blanchiment de fraude fiscale n’est pas soumis aux dispositions de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales et que l’intervention de l’inspecteur de la direction générale des finances publiques apparaît comme le recours à un sachant, venant porter assistance à la démonstration de l’infraction socle à partir des constatations des enquêteurs ;

Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s’assurer au moyen du contrôle des pièces de la procédure, que l’analyse de la comptabilité de la société Qilas Rotas a été effectuée par un officier de police judiciaire dans le cadre de l’enquête préliminaire auquel a seulement prêté son assistance un inspecteur des impôts, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 324-1 et suivants du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, 4 du protocole n° 7 à la convention européenne des droits de l’homme et du principe ne bis in idem ;

”en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. F... coupable des faits de blanchiment consistant en un concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d’un délit de travail dissimulé et l’a condamné à douze mois d’emprisonnement avec sursis et à 10 000 euros d’amende ;

”aux motifs propres que s’agissant des faits de travail dissimulé, il est établi par la procédure que le prévenu, qui l’a reconnu, a remis des chèques de clients à ses salariés pour les rémunérer et a ainsi dissimulé l’activité de sa société ; que les faits de travail dissimulé par dissimulation d’activité sont caractérisés, les heures de travail déclarées ne permettant pas au surplus de faire face à l’amplitude horaire de l’activité du restaurant ; que de même, il n’a pas procédé aux déclarations devant être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale ; que la cour confirmera le jugement sur la culpabilité de ce chef de travail dissimulé ; [

] que s’agissant des faits de blanchiment en rémunérant ses salariés à l’aide de chèques émis par les clients du restaurant, les faits, pour partie reconnus par le prévenu, sont établis par la découverte de photocopies de chèques non comptabilisés et par le dépôt de chèques clients sur le compte de M. R... G..., dissimulant les heures travaillées et donc éludant les cotisations sociales ; que le délit de blanchiment de travail dissimulé est établi et la cour confirmera le jugement de ce chef ;

”et aux motifs éventuellement adoptés que sur le fond, il ressort de l’ensemble de ces éléments que les chèques en possession des salariés apportent la démonstration qu’ils en constituaient un mode de rémunération loin d’être accidentel, caractérisant ainsi le travail dissimulé ; qu’en outre, quelle que soit la méthode de calcul retenue, il apparaît que les heures de travail déclarées ne permettent pas de faire face à l’amplitude horaire de l’activité du restaurant ; que de plus, lors de la perquisition dans les locaux du restaurant, il est apparu que le pourcentage d’espèces et de tickets restaurant constaté dans la recette du jour n’était pas cohérent avec la comptabilité de l’entreprise alors que par ailleurs des factures fournisseurs ont été payées en espèces et ont donné lieu à reconstitution par le comptable ; qu’en l’absence de comptabilité probante, la découverte de photocopies de chèques non comptabilisés, la dissimulation d’heures travaillées et donc de cotisations sociales éludées, ainsi que la minoration du chiffre d’affaires caractérisent les faits de blanchiment de fraude fiscale et de travail dissimulé ;

”alors que des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale ; qu’en déclarant le prévenu coupable de travail dissimulé et de blanchiment de travail dissimulé, pour les mêmes faits et la même intention coupable, la cour d’appel a méconnu les règles relatives au cumul de qualifications et violé les textes susvisés” ;

Vu l’article 593 du code de procédure pénale et le principe ne bis in idem ;

Attendu que des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que pour déclarer le demandeur coupable de travail dissimulé, l’arrêt retient qu’il est établi par la procédure que le prévenu, qui l’a reconnu, a remis des chèques de clients à ses salariés pour les rémunérer, que les heures de travail déclarées ne permettent pas au surplus de faire face à l’amplitude horaire de l’activité du restaurant, et qu’enfin le prévenu n’a pas procédé aux déclarations devant être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale ; que les juges ajoutent, pour entrer en voie de condamnation du chef de blanchiment de travail dissimulé, que les faits, pour partie reconnus par le prévenu, sont établis par la découverte de photocopies de chèques non comptabilisés et par le dépôt de chèques clients sur le compte de M. R... G..., salarié de la société, dissimulant les heures travaillées et donc éludant les cotisations sociales ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, sans mieux s’expliquer sur le caractère distinct des faits constitutifs de blanchiment et de ceux pour lesquels elle a déclaré le prévenu coupable de travail dissimulé, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 324-1 et suivants du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. F... coupable des faits de blanchiment consistant en un concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d’un délit de fraude fiscale et l’a condamné à douze mois d’emprisonnement avec sursis et à 10 000 euros d’amende ;

”aux motifs que s’agissant des faits de blanchiment de fraude fiscale d’un montant de 448 220 euros, le délit de fraude fiscale résulte de la dissimulation de sommes sujettes à l’impôt, notamment par l’omission de déclaration de ressources ou la perception de recettes occultes et l’intention coupable se déduit de la volonté de soustraire ces sommes à l’administration fiscale ; qu’en l’espèce, le faible taux d’espèces et de chèques remis pour un restaurant, l’absence de dépôt d’espèces à la banque, l’encaissement de chèques clients par des tiers ou des salariés, le caractère occulte et non probant de la comptabilité frauduleuse démontre que le prévenu a sciemment omis d’enregistrer et de déclarer une partie de ses recettes ; que la reconstitution des recettes et des résultats de la société Lilas Rothas évalue le montant de la fraude à 448 200 euros, montant estimé par l’inspecteur des impôts ; que le délit de blanchiment de fraude fiscale est établi et la cour confirmera le jugement de ce chef ;

”et aux motifs éventuellement adoptés que sur le fond, il ressort de l’ensemble de ces éléments que les chèques en possession des salariés apportent la démonstration qu’ils en constituaient un mode de rémunération loin d’être accidentel, caractérisant ainsi le travail dissimulé ; qu’en outre, quelle que soit la méthode de calcul retenue, il apparaît que les heures de travail déclarées ne permettent pas de faire face à l’amplitude horaire de l’activité du restaurant ; que de plus, lors de la perquisition dans les locaux du restaurant, il est apparu que le pourcentage d’espèces et de tickets restaurant constaté dans la recette du jour n’était pas cohérent avec la comptabilité de l’entreprise alors que par ailleurs des factures fournisseurs ont été payées en espèces et ont donné lieu à reconstitution par le comptable ; qu’en l’absence de comptabilité probante, la découverte de photocopies de chèques non comptabilisés, la dissimulation d’heures travaillées et donc de cotisations sociales éludées, ainsi que la minoration du chiffre d’affaires caractérisent les faits de blanchiment de fraude fiscale et de travail dissimulé ;

”alors que si une infraction et son blanchiment peuvent faire l’objet d’un cumul réel de qualifications, c’est à la condition que des faits matériels distincts caractérisent l’infraction d’une part et son blanchiment de l’autre ; qu’en déduisant le blanchiment de fraude fiscale de l’existence de faits caractérisant une fraude fiscale, sans relever un élément matériel et une intention distincts, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés” ;

Vu les articles 324-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu qu’il résulte du premier de ces textes que le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect ; que constitue également un blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que pour déclarer le prévenu coupable de blanchiment de fraude fiscale, l’arrêt retient que le délit de fraude fiscale résulte de la dissimulation de sommes sujettes à l’impôt notamment par l’omission de déclaration de ressources ou la perception de recettes occultes, et l’intention coupable se déduit de la volonté de soustraire ces sommes à l’administration fiscale ; que les juges ajoutent qu’en l’espèce le faible taux d’espèces et de chèques remis pour un restaurant, l’absence de dépôt d’espèces à la banque, l’encaissement de chèques clients par des tiers ou des salariés, le caractère occulte et non probant de la comptabilité frauduleuse démontre que le prévenu a sciemment omis d’enregistrer et de déclarer une partie de ses recettes pour un montant de 448 220 euros ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, par des motifs impropres à caractériser le délit de blanchiment de fraude fiscale poursuivi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

D’où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Versailles, en date du 15 mars 2018, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité des chefs de travail dissimulé et blanchiment, et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trois avril deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 15 mars 2018