salarié oui

Cour d’Appel de Paris 8 octobre 2009 N° 07/07999
(n° 8 , 11 pages)

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Octobre 2007 par le conseil de prud’hommes de VILLENEUVE SAINT GEORGES section activités diverses RG n° 05/569

APPELANTE

1° - Madame Jana Vitezova

C/ Mme Sophie REVERDI - 18 rue Belahsen Ben Savane

SIDI BOU SAÏD

TUNISIE

représentée par Me Pierre Alain TOUCHARD, avocat au barreau de PARIS, toque : R.57

INTIMEE

2° - Madame Luisa Manzella divorcée Tosati

57 rue de la République

94470 BOISSY ST LEGER

représentée par Me Jacques BOEDELS, avocat au barreau de PARIS, R.131,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 Juin 2009, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente, chargée d’instruire l’affaire, en présence de Mme Hélène IMERGLIK.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Pierre DE LIEGE, président

Mme Irène LEBE, conseiller

Mme Hélène IMERGLIK, conseiller

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

"-" CONTRADICTOIRE

"-" prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du nouveau Code de procédure civile.

"-" signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LES FAITS :

Mme Jana VITEZOVA, de nationalité slovaque, dit être venue en France à l’âge de 19 ans en 1999 en qualité de jeune fille au pair et avoir été placée par l’intermédiaire de l’agence Perlangues, auprès de la famille DUVAL, avant d’être placée en novembre 1999 chez la famille TOSATI, qui avait deux filles.

Elle soutient avoir ensuite travaillé pendant six ans en qualité d’employé de maison au sein de cette famille, en violation de la réglementation applicable en matière de placement "au pair", sans être déclaré e, sans qu’aucun bulletin de paie ne lui soit délivré, ni que sa situation administrative soit régularisée, touchant une rémunération épisodique.

Elle prétend avoir subi des conditions de travail inacceptables pendant cinq ans, qui l’ont empêchée de réussir le diplôme de psychologie enfantine auquel elle s’était inscrite à l’université.

Elle a quitté la famille TOSATI, -en l’espèce, Mme Luisa MANZELLA, les époux TOSATI ayant entre-temps divorcé-, en juillet 2005 puis a saisi le conseil de prud’hommes de Villeneuve-Saint-Georges, le 25 octobre 2005, soutenant l’existence d’un contrat de travail verbal entre elle-même et la famille TOSATI, rompu de manière imputable à l’employeur, et demandant notamment en conséquence des rappels de salaires, une indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, diverses indemnités découlant de ce licenciement, une indemnité pour travail dissimulé ainsi qu’une indemnité pour préjudice moral.

Le conseil de prud’hommes, section activités diverses, par jugement de départage du 26 octobre 2007, relevant l’importance de la relation à tout le moins à caractère amical existant entre les parties, a considéré que Mme Jana VITEZOVA, ne rapportait pas la preuve de l’existence d’un contrat de travail et la déboutée de l’intégralité de ses prétentions.

Mme Jana VITEZOVA a régulièrement formé le présent appel contre cette décision.

Elle soutient rapporter la preuve de ce que la relation qui s’est nouée entre les parties a une origine professionnelle, ayant été placée au pair dans cette famille, régime relevant d’une réglementation particulière, puisque ce placement est limité à une durée de 18 mois, implique un travail au profit des enfants du foyer mais exclut selon elle les tâches ménagères, la jeune fille devant pouvoir suivre des cours.

Elle plaide avoir été en réalité employée comme une véritable employée de maison pendant près de six ans, accomplissant au quotidien un travail à plein temps, devant également travailler régulièrement le soir au-delà de 20 heures ou les week-ends.

Elle devait selon elle accompagner les fillettes en vacances chez leurs grands-parents en Italie, précisant qu’elle remplaçait la mère dans toutes les missions d’accompagnement des enfants, qu’il s’agisse des loisirs, de l’école, du médecin... Mais devait également accomplir les tâches ménagères quotidiennes, le jardinage...

Elle produit de nombreuses attestations confirmant ses dires.

Elle dit n’avoir été rémunérée que très épisodiquement, ayant reçu environ 20.000 euros en cinq ans, en espèce ou par virement bancaire depuis l’Italie, par l’intermédiaire de la mère de Mme Luisa MANZELLA, directement sur un compte qu’elle-même détenait en Slovaquie et n’avoir jamais été déclarée, aucun bulletin de paie n’étant établi.

S’inscrivant en faux contre les dires de Mme TOSATI, qui pour s’ opposer à ses demandes prétend qu’elle était en réalité sa concubine, Mme Jana VITEZOVA affirme qu’elle exerçait une activité au pair, mais était bien placée dans un lien de subordination juridique vis-à-vis de Mme TOSATI, en application d’un contrat de travail verbal, par définition à durée indéterminée et à plein temps.

Elle en conclut qu’elle relève de la Convention collective étendue du particulier employeur, et revendique compte tenu de l’expérience acquise le bénéfice du niveau 4.

Compte tenu de la prescription de cinq ans, s’agissant de rappel de salaire, et en application des dispositions de la convention collective revendiquée, la salariée sollicite :

"-" du 20 octobre 2000 au 5 juillet 2005 un rappel de salaire de 82.275,95 euros, congés payés inclus, dont à soustraire les 20 000 euros déjà versés.

"-" 50.000 euros à titre d’heures supplémentaires, sur une base moyenne de 78 heures de travail accomplies par semaine, et 5 000 euros de congés payés afférents ;

"-" 2.951,04 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, congés payés de 10% en sus ;

"-" 8.853,12 euros d’indemnité pour travail dissimulé ;

"-" subsidiairement 836,11 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

"-" 35.412,48 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

"-" 20.000 euros de préjudice moral ;

"-" 2.000 euros pour frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile. Elle sollicite également la remise attestation ASSEDIC et d’un certificat de travail conformes.

Mme Luisa MANZELLA, anciennement épouse TOSATI, a formé appel incident.

Elle soutient que les relations ayant existé entre elle-même et Mme Jana VITEZOVA étaient exclusives de tout lien de subordination, la communauté de vie ayant existé entre elles, empreinte d’une grande "complicité" ne comportant que des "aspects personnels et intimes", chacune ayant même été amenée à visiter la famille de l’autre dans son pays d’origine.

Elle rappelle qu’en début de procédure, Mme Jana VITEZOVA se présentait comme totalement démunie, elle disait être retournée chez ses parents en Slovaquie, alors qu’il est désormais établi qu’elle vit en Tunisie où elle exerce les fonctions de vice-président et de co-dirigeante d’une société Franco-Tunisienne développant des programmes d’amaigrissement pour une clientèle internationale.

Mme Luisa MANZELLA affirme qu’après avoir obtenu son diplôme en psychologie enfantine, et alors qu’elle prenait des cours de théâtre financés par Mme Luisa MANZELLA, Mme Jana VITEZOVA a, avec une amie Sophie R, qui aurait pris de plus en plus d’emprise sur elle, et sans le lui dire, assuré les fonctions de vice-présidente d’une entreprise commercialisant un concept d’amaigrissement, centre pour enfants obèses.

Elle indique que Mme Jana VITEZOVA est ensuite devenue co-dirigeante depuis 2005 d’une société de droit tunisien, pays dans lequel elle s’est installée avec Sophie R.

Mme Luisa MANZELLA soutient donc que la rupture des relations invoquées par Mme Jana VITEZOVA n’était pas la rupture d’une relation de travail mais une rupture d’une relation affective, dont elle suggère qu’elle aurait été de nature homosexuelle, rupture qui serait largement imputable à Sophie R.

Mme Luisa MANZELLA soutient que lesdites relations ont été effectivement "domestiques mais non de domesticité".

Elle conteste la valeur probante des attestations produites par Mme Jana VITEZOVA, les témoins qui les ont établies présentant un lien de parenté, d’amitié ou de subordination avec Mme Jana VITEZOVA et /ou avec Sophie R., nombre de ces témoins ne connaissant pas Mme Luisa MANZELLA et n’étant jamais venus chez elle.

Elle explique en outre s’agissant d’un certain nombre d’autres témoignages, qu’elle ne conteste pas que Mme Jana VITEZOVA qui partageait sa vie s’occupait également, normalement, de ses filles pour un certain nombre de leurs activités, leur apportant t soins et attention.

Mme Luisa MANZELLA en conclut que Mme Jana VITEZOVA ne rapporte nullement la preuve de l’existence d’un lien de subordination, indiquant qu’elle bénéficiait par ailleurs de la sécurité sociale étudiante. Elle plaide que les réclamations formulées par Mme Jana VITEZOVA, invoquant un contrat de travail, n’ont pour but que de lui soutirer des fonds pour financer le projet "smart and light" développé en Tunisie, dont le programme correspond à une méthode utilisée selon elle par la "secte de Scientologie".

Mme Luisa MANZELLA soutient donc qu’il n’y a pas eu relation de travail entre Mme Jana VITEZOVA et elle-même et que les litiges qui pourraient résulter de leurs relations relèvent des tribunaux civils et non de la juridiction du travail.

Elle demande donc à la cour de confirmer le jugement entrepris ou à titre subsidiaire de dire que les relations de travail étaient exclusives de tout lien de subordination et que le conseil de prud’hommes était incompétent pour connaître de ce litige, qui devrait être soumis au tribunal de grande instance de Créteil.

En tout état de cause Mme Luisa MANZELLA demande à la cour de condamner Mme Jana VITEZOVA à lui payer une somme de 10.000 euros pour procédure abusive vexatoire et 5.000 euros pour frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LES MOTIFS DE LA COUR :

Vu le jugement du conseil de prud’hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l’audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur la nature des relations avant lié Mme Jana VITEZOVA et Mme Luisa MANZELLA

Chacune des parties soutient une thèse fort différente quant à la nature des relations qui les liaient, Mme Jana VITEZOVA invoquant une relation de travail, Mme Luisa MANZELLA une relation strictement affective voire amoureuse.

Conformément à la loi, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention

Pour s’opposer à l’instance introduite en paiement de rappel de salaire par Mme Jana VITEZOVA, Mme Luisa MANZELLA, soutient que les relations entre elles deux n’étaient pas des relations de travail et ne relevaient d’aucun caractère de subordination, indiquant dans ses écritures : "la réalité est que la rupture des relations affectives entre Mme Luisa MANZELLA et Mlle Jana VITEZOVA et son départ avec Mme Sophie R constitue le noeud du problème".

Elle suggère et laisse entendre à travers divers autres éléments qu’elle produit dans le cadre de cette procédure que Mme Jana VITEZOVA aurait en réalité eue des relations homosexuelles avec elle-même avant de la quitter pour Sophie R, les deux femmes faisant "vie commune" depuis 2005 en Tunisie.

Toutefois, au-delà des insinuations de Mme Luisa MANZELLA, aucun élément concret précis, pas même les attestations que produisent ses propres témoins, n’étayent cette thèse.

En revanche, de très nombreux éléments du dossier indiquent, ce que d’ailleurs les deux parties reconnaissent, que Mme Jana VITEZOVA avait une très grande affection pour les deux enfants de Mme Luisa MANZELLA, dont elle s’occupait quotidiennement, prenant en charge la plupart des aspects de leur vie, (école, cours de musique, nourriture, garde le soir etc).

Il ressort d’ailleurs du dossier que lorsque le couple TOSATI s’est séparé et alors que les enfants faisaient l’objet d’une garde partagée, Mme Jana VITEZOVA s’occupait également des fillettes les jours où elles se trouvaient confiées à la garde du père.

La cour souligne en outre que la lettre adressée par Mme Jana VITEZOVA à Mme Luisa MANZELLA en juillet 2005 par laquelle celle-ci lui notifiait son désir d’interrompre les relations, si elle rend compte de l’affection que celle-ci portait aux enfants et même, dans une certaine mesure, à Mme Luisa MANZELLA, ne s’apparente ni à une lettre de jalousie, Mme Luisa MANZELLA s’étant entre-temps remariée, ni à une lettre de rupture amoureuse.

Cette thèse, développée par Mme Luisa MANZELLA, qu’aucun élément de preuve sérieux ne conforte, sera donc écartée par la cour.

Mme Jana VITEZOVA pour sa part soutient que les liens entre les parties doivent s’analyser comme une relation de travail dans laquelle il y avait subordination.

La cour relève tout d’abord que l’existence de relations de sympathie voire de relations affectives qui peuvent se développer dans le temps, notamment s’agissant d’une personne employée au sein d’une famille n’est pas exclusive d’une relation de travail.

En l’espèce, elle considère que, contrairement à ce qu’a jugé le conseil de prud’hommes, Mme Jana VITEZOVA était effectivement placée dans un lien de subordination lui conférant un statut de travailleur salarié vis-à-vis de Mme Jana VITEZOVA.

Elle rappelle tout d’abord qu’en effet il est constant que Mme Jana VITEZOVA, jeune fille slovaque était entrée dans la maison TOSATI, sous le statut d’étudiante au-pair, statut qui au terme des dispositions internationales applicables ne pouvait se prolonger au-delà d’une période de 18 mois.

Ce système, qui consiste en l’accueil temporaire au sein d’une famille en contrepartie de certaines prestations de jeunes gens étrangers, suppose la rédaction d’un accord écrit entre les parties et entraîne l’obligation pour la famille accueillante auprès de laquelle est "placée" la personne au pair de lui fournir nourriture et logement ainsi que, de l’argent de poche mais aussi de la faire bénéficier de la sécurité sociale et l’affilier à une institution de retraite complémentaire, en l’espèce cet accord écrit n’a pas été rédigé.

Ces employés au pair étrangers constituent une catégorie particulière qui ne relève pas de la catégorie des salariés ni de l’application de la convention collective nationale des salariés du particulier emploi.

De manière évidente, la relation qui s’est engagée sous ce régime, sans que pour autant que les époux TOSATI ne régularisent la situation de la jeune fille notamment au regard de la sécurité sociale, s’est ensuite poursuivie à partir de 2001 dans des conditions proches, sans aucune formalisation.

Mme Jana VITEZOVA, comme en atteste l’ensemble des témoins, les siens comme ceux de Mme Luisa MANZELLA, a continué à prendre en charge au quotidien, et dans tous les aspects de leur vie, les deux enfants de cette dernière.

Des témoignages, nombreux et variés, réguliers en la forme, émanant de personnes qui ont eu l’occasion de connaître l’intéressée dans des cadres différents, produits par Mme Jana VITEZOVA, indiquent que celle-ci, parfois présentée par Mme Luisa MANZELLA comme son "employée de maison", a continué à s’occuper régulièrement des deux fillettes mais assurait également, en réalité, l’entretien de la maison (d’environ 250 m2), voire du jardin de Mme Luisa MANZELLA. Celle-ci, qui ne contredit d’ailleurs pas réellement les dires de Mme Jana VITEZOVA à ce sujet, se contentant plutôt de la contredire quant au statut sous lequel elle effectuait ces tâches, n’apporte aucun élément contraire comme, par exemple, la justification de ce qu’elle aurait employé d’autres personnes pour entretenir sa propriété.

Pour combattre ces témoignages, et leur valeur probante, Mme Luisa MANZELLA se borne à souligner pour chacun des témoins la nature des relations (congénères, ami(e), relations de théâtre etc) qu’il entretenait avec Mme Jana VITEZOVA. Cette critique est en elle-même vaine, dans la mesure où il est, en fait, quasiment impossible, de témoigner dans ce type d’espèce si l’on n’a aucune relation avec l’une ou l’autre partie.

Par ailleurs, les photos produites par Mme Luisa MANZELLA montrant que Mme Jana VITEZOVA participait à la vie de famille, ne suffisent pas à contredire son statut de salariée, ni à faire d’elle "un membre de la famille à part entière". Elles indiquent seulement que Mme Jana VITEZOVA était très souvent présente auprès de cette famille, y compris lorsque celle-ci se rendait en vacances en Italie son pays d’origine.

Ceci démontre autant l’importance et le caractère indispensable du rôle qu’assurait Mme Jana VITEZOVA, que la qualité des liens d’amitié qui liaient les parties, étant relevé qu’une prestation de travail n’empêche pas une relation d’amitié, comme celle dont témoigne plusieurs amies et relations de Mme Luisa MANZELLA, de même que l’amitié n’est pas exclusive de relation de subordination.

La cour considère donc que Mme Jana VITEZOVA rapporte la preuve du lien de subordination et donc de travail qui la liait à Mme Luisa MANZELLA. Ce lien de travail n’est pas contredit ni empêché par le fait que Mme Jana VITEZOVA a eu en outre, selon les époques, des activités extérieures, théâtrales, estudiantines ou en tant que vice-présidente d’une petite entreprise.

Plusieurs témoignages concordants indiquent d’ailleurs que Mme Luisa MANZELLA n’hésitait pas à requérir, au dernier moment ou en urgence, l’intervention de Mme Jana VITEZOVA y compris le soir ou les week-ends, à des moments où elle était supposée disposer de son temps.

La relation de travail étant établie, les avantages en nature qui lui ont été maintenus faisaient d’elle non plus une étudiante au pair mais une "employée au pair".

Les employés au pair, qui constituent une variante des employées de maison et relèvent de leur statut légal et conventionnel, sont des salariés.

La valeur des avantages en nature dont ils bénéficient doit être en rapport avec le travail fourni, au-delà, le travail doit être rémunéré.

L’employeur qui doit le déclarer est tenu au versement des charges patronales et le salarié doit bénéficier de la sécurité sociale.

Le syndicat d’employeurs d’employés de maison de la région Ile-de-France recommandant de considérer qu’une chambre meublée avec chauffage, éclairage, eau à proximité vaut une heure de travail par jour, de même qu’un repas vaut également une heure de travail par jour, la cour retiendra cette équivalence pour calculer le rappel de salaire dû à Mme Jana VITEZOVA.

En l’absence de contrat de travail écrit, la cour dira que les parties étaient liées par un contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein, ce temps plein étant d’ailleurs attesté par de nombreux témoins. Ce contrat de travail était régi par la convention collective nationale des employées de maison qui prévoit un horaire hebdomadaire pour un temps plein de 40 heures.

Il lui était donc dû, à tout le moins, un salaire équivalent au salaire minimum prévu par la convention collective des salariés du particulier employeur, dont il convenait de déduire le montant des avantages en nature, à hauteur d’un quart de l’horaire effectué, soit à régler six heures de travail par jour équivalent à 30 heures par semaine.

L’employeur devait en outre payer les charges sociales patronales, ce qu’il n’a pas fait et la salariée devait bénéficier de la sécurité sociale, ce dont il est établi qu’elle n’a pas bénéficié.

En l’espèce, la salariée reconnaît avoir touché de manière irrégulière et toujours avec retard des salaires pour un montant de l’ordre de 20 000 euros pendant toute la durée de sa prestation de travail, sans qu’il lui soit délivré de bulletins de salaire, et sans qu’elle ne soit déclarée. Cette somme lui était versée depuis un compte en Italie sur un compte à son nom qu’elle détenait en Slovaquie, ce que ne contredit pas l’employeur.

L’employeur prétend, en revanche, avoir versé davantage produisant pour preuve un courrier de l’avocat de Mme Jana VITEZOVA à qui celle-ci avait indiqué qu’il lui avait été payé un salaire mensuel compris entre 500 et 600 euros.

La cour retiendra donc dès un versement à hauteur de 30.000 euros sur l’ensemble de là période.

En conséquence, et au vu du décompte dressé par la salariée, décompte précis et exact, les salaires qui auraient dû lui être versés depuis le 20 octobre 2000 (date retenue en application de la prescription de cinq ans) jusqu’au 5 juillet 2005, correspondant à trois quarts des sommes sollicitées par la salariée s’élève en conséquence à un montant global de 56.097,24 euros auxquels il convient d’ajouter 5.609,72 euros de congés payés.

De cette somme et il convient de retirer les 30.000 euros, mentionnés ci-dessus d’où il ressort un solde dû de 26.097,24 euros.

En revanche, Mme Luisa MANZELLA mentionne un prêt de 10.000 qu’elle aurait fait à Mme Jana VITEZOVA mais n’en rapporte nullement la preuve. Il n’en sera donc pas tenu compte.

Sur les heures supplémentaires :

La salariée prétend qu’elle accomplissait en moyenne 78 heures par semaine soit 38 heures supplémentaires correspondant sur cinq ans à un total de 9.208,16 heures, qu’elle chiffre forfaitairement à 50.000 euros bruts.

L’employeur se contentant de contester le statut de salarié, ne discute pas le chiffrage des heures supplémentaires.

En application de l’article L.3171-4 du code du travail, la charge de la preuve des heures supplémentaires n’incombe spécialement ni à l’une ni à l’autre partie. Si l’employeur doit fournir au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, ce dernier doit d’abord fournir des éléments pour étayer sa demande. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par chacune des parties.

Les nombreux témoignages produits au dossier font apparaître la salariée comme "corvéable à merci" y compris en soirée, pendant les week-ends, ou pendant les vacances, ce qui démontre nécessairement l’existence d’heures supplémentaires sans que pour autant l’appréciation du nombre d’heures faites par l’intéressée ne soit clairement établie.

L’employeur qui se borne à expliquer pour d’autres raisons la présence quasi permanente de Mme Jana VITEZOVA, ne fournit de ce fait à la cour aucun élément d’appréciation.

La cour considère qu’elle dispose des éléments pour fixer à la somme de 10.000 euros bruts la somme due par l’ employeur, congés payé compris, au titre des heures supplémentaires.

Sur la rupture du contrat de travail :

Mme Jana VITEZOVA qui ne conteste pas avoir pris l’initiative de cette rupture en juillet 2005 dit que celle-ci est entièrement imputable à l’employeur compte tenu du régime de travail auquel il la soumettait en ne respectant en rien les droits qui étaient les siens en tant que salariée.

La lettre adressée par Mme Jana VITEZOVA à ce moment à Mme Luisa MANZELLA, quoique rédigée dans un français hésitant et bien que rendant compte clairement du sentiment d’affection et de l’attachement que celle-ci éprouvait pour les enfants TOSATI, voire pour leur mère, expose clairement que l’intéressée rompt la relation parce qu’elle ne l’estime plus supportable.

Les éléments exposés ci-dessus suffisent à eux seuls à déclarer cette rupture du contrat de travail imputable à l’employeur.

Cette rupture s’analyse donc comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en application de l’article L.1235-5 du code du travail, il ouvre droit pour la salariée au paiement d’une indemnité pour rupture abusive ainsi qu’au paiement de son indemnité compensatrice de préavis, et de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

Les circonstances dans lesquelles s’est déroulé pendant cinq ans ce contrat de travail, mais aussi, la manière dont a agi l’employeur lors de la rupture et après celle-ci, a nécessairement créé un préjudice moral non négligeable pour Mme Jana VITEZOVA, préjudice dont la cour tiendra compte dans l’évaluation de l’indemnité de rupture.

Compte tenu des circonstances de l’espèce, de l’ancienneté dans son emploi de la salariée, de son âge lors du licenciement et du préjudice qu’il établit avoir subi la cour fixe à 20.000 euros la somme due en application de l’article L.1235-5 du code du travail.

En ce qui concerne l’indemnité compensatrice de préavis, les avantages en nature n’étant plus fournis celle-ci sera réglée sur la base d’un salaire intégral, soit 1.475,52 euros bruts par mois.

Il sera donc alloué une somme de 2.951,04 euros, congés payés de 10% en sus.

L’indemnité conventionnelle de licenciement sera fixée à 836,11 euros

Sur le travail dissimulé :

En application de l’article L.8221-du code du travail est réputé travail dissimulé, par dissimulation d’emploi salarié, le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité de déclaration préalable à l’embauche, de se soustraire à la délivrance de bulletins de paie ou de mentionner sur ce dernier un nombreux d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Or il est constant que depuis son embauche en qualité d’étudiante au pair, comme pendant toute la période où elle a continué d’employer Mme Jana VITEZOVA sous le statut d’employée au pair, Mme Luisa MANZELLA n’a jamais déclaré celle-ci aux organismes sociaux, ni jamais réglé les cotisations afférentes.

Le versement des salaires depuis un compte à l’étranger sur un autre compte à l’étranger confirme l’intention de dissimulation.

La cour fera donc droit à la demande d’indemnité forfaitaire formulée par la salariée, indemnité correspondant à six mois de salaire soit 8.853,12 euros.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l’article 700 du Code de procédure civile :

La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l’espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par Mme Jana VITEZOVA la totalité des frais de procédure qu’elle a été contrainte d’exposer. Il sera donc alloué une somme de 2.000 euros, à ce titre pour l’ensemble de la procédure.

PAR CES MOTIFS.

En conséquence, la Cour,

Infirme la décision du Conseil de prud’hommes dans toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau :

Dit que les parties ont été liées par un contrat de travail, la salariée relevant du statut des employés au pair, et que la rupture de celui-ci s’analyse comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Condamne Mme Luisa MANZELLA à payer à Mme Jana VITEZOVA :

"-" 26.097,24 euros à titre de rappel de salaire et 2.609,72 euros de congés payés afférents,

"-" 10.000 euros en paiement des heures supplémentaires, congés payés inclus,

"-" 2.951,04 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 295,10 euros de congés payés afférents,

"-" 836,11 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement,

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes,

"-" 20.000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, préjudice moral inclus,

"-" 8.853,12 euros d’indemnité pour travail dissimule,

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Déboute Mme Jana VITEZOVA du surplus de ses demandes,

Déboute Mme Luisa MANZELLA de ses demandes,

La condamne à régler à Mme Jana VITEZOVA la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure,

La condamne aux entiers dépens de l’instance.

LA PRESIDENTE.

LE GREFFIER.

CA Paris, 8 octobre 2009, pôle 6, ch. 8, Mme Vitezova c/ Mme Manzella.

Demandeur : Vitezova
Défendeur : Manzella divorcée Tosati