Publication de la loi mobilités

Publication de la loi d’orientation des mobilités : statut des travailleurs indépendants mobiles des plateformes numériques de mise en relation

Article 44 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019

Voir l’article 44 de la loi

Présentation

.1 L’article 44 de la loi du 24 décembre 2019, dite loi LOM, complète et modifie les dispositions déjà inscrites dans le code du travail depuis la loi du 8 août 2016 relatives aux travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique pour exercer leur activité professionnelle. L’article 44 reprend, à l’exception des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 décembre 2019, le contenu de l’article 20 du projet de loi (voir le projet de loi, sa présentation et son commentaire).
L’article 44 de la loi introduit dans le code du travail trois mesures, insérées aux articles L.7342-1, L.7342-3, L.7342-4, et L.7342-8 à L.7342-11 de ce code, dont l’objectif principal initial était de sécuriser d’un point de vue juridique les relations contractuelles entre une plateforme en ligne et un travailleur indépendant mobile qui exerce son activité professionnelle soit par la conduite d’une voiture de transport avec chauffeur, soit pour effectuer de la livraison de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non (l’expression sécuriser, sécurisation ou sécurisante est employée dix fois dans l’étude d’impact). Plus concrètement, il s’agissait ainsi d’éviter ou de limiter ou de contenir pour ces deux catégories de travailleurs indépendants, d’une part les requalifications en salariat prononcées par le juge à la demande du prétendu travailleur indépendant opérant par le biais d’une plateforme ou à la demande des organismes de recouvrement des cotisations sociales et d’autre part les condamnations pénales pour travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié prononcées à l’encontre des entreprises gérant ces plateformes.

.2 Pour atteindre cet objectif, l’article 44 offre la possibilité à la plateforme de mise en relation d’établir, de façon unilatérale, une charte déterminant les conditions et les modalités de sa responsabilité sociale, définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation. Cette charte, qui est donc facultative, précise notamment :
1° Les conditions d’exercice de l’activité professionnelle des travailleurs avec lesquels la plateforme est en relation, en particulier les règles selon lesquelles ils sont mis en relation avec ses utilisateurs. Ces règles garantissent le caractère non-exclusif de la relation entre les travailleurs et la plateforme et la liberté pour les travailleurs d’avoir recours à la plateforme ;
2° Les modalités visant à permettre aux travailleurs d’obtenir un prix décent pour leur prestation de services ;
3° Les modalités de développement des compétences professionnelles et de sécurisation des parcours professionnels ;
4° Les mesures visant notamment :
a) améliorer les conditions de travail ;
b) à prévenir les risques professionnels auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité ainsi que les dommages causés à des tiers ;
5° Les modalités de partage d’informations et de dialogue entre la plateforme et les travailleurs sur les conditions d’exercice de leur activité professionnelle ;
6° Les modalités selon lesquelles les travailleurs sont informés de tout changement relatif aux conditions d’exercice de leur activité professionnelle ;
7° La qualité de service attendue sur chaque plateforme et les circonstances qui peuvent conduire à une rupture des relations commerciales entre la plateforme et le travailleur ainsi que les garanties dont ce dernier bénéficie dans ce cas ;
8° Les garanties de protection sociale complémentaire négociées par la plateforme et dont les travailleurs peuvent bénéficier, notamment pour la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité, des risques d’inaptitude, ainsi que la constitution d’avantages sous forme de pensions de retraite, d’indemnités ou de primes de départ en retraite ou de fin de carrière.
La charte est publiée sur le site internet de la plateforme et annexée aux contrats ou aux conditions générales d’utilisation qui la lient aux travailleurs.

.3 L’entreprise, qui gère la plateforme, peut demander, si elle le souhaite, à l’autorité administrative de se prononcer sur la conformité du contenu de la charte aux dispositions des articles du code du travail relatives aux plateformes de mise en relation par voie électronique, dans des conditions fixées par décret.
L’article 44 de la loi votée ajoutait, ce qui en constituait sa disposition centrale aux fins de sécurisation juridique, que l’établissement de la charte et le respect des engagements pris par la plateforme dans les matières énumérées aux 1° à 8° ne pouvaient caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs indépendants.

.4 L’article 44 apporte par ailleurs deux autres précisions concernant les droits sociaux du travailleur indépendant opérant pour le compte de la plateforme.
Il améliore les droits du travailleur indépendant en matière de formation professionnelle et validation des acquis de l’expérience ; il permet l’abondement du compte personnel de formation de l’intéressé.
Il modifie les conditions du bénéfice de l’assurance volontaire à laquelle il souscrit pour couvrir le risque d’accident du travail.

.5 Saisi par des parlementaires qui contestaient notamment la conformité de certaines dispositions de l’article 44 de la loi relatives à la charte sociale, le Conseil constitutionnel a été conduit à se prononcer sur la constitutionnalité de ce dispositif, innovation majeure dans le monde des plateformes numériques (voir la décision, sa présentation et son commentaire.).
Si le Conseil constitutionnel a rejeté la plupart des arguments présentés par les parlementaires pour juger les dispositions contestées conformes à la Constitution, il a en revanche censuré la disposition de l’article 44, qui avait vocation à être codifiée à l’article L.7342-9 du code du travail, qui interdisait au juge de requalifier en salarié le statut d’une personne exerçant officiellement son activité en qualité de travailleur indépendant dès lors que les engagements énumérés de façon unilatérale dans la charte étaient respectés.

.6 Le Conseil constitutionnel a jugé l’article 44 conforme à la Constitution sur les trois points suivants :
. – les modalités d’établissement de la charte
Le Conseil constitutionnel considère que l’élaboration de la charte par la plateforme n’est pas contraire au principe de participation des travailleurs, via leurs représentants, à la détermination de leurs conditions de travail, dès lors qu’il s’agit de travailleurs indépendants, sans relation exclusive avec la plateforme. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel note que l’élaboration de la charte est facultative, que son contenu mentionné est indicatif et que la notion de prix décent est suffisamment explicite.
.- la détermination des plateformes pouvant conclure la charte
Le Conseil constitutionnel déclare que l’article 44 de la loi n’introduit pas une rupture du principe d’égalité devant la loi, ni entre les plateformes, ni entre les travailleurs de ces plateformes. Il considère que la charte permet à la plateforme visée par la loi de prendre en compte les spécificités du secteur d’activité qu’elle couvre, notamment en ce qui concerne le risque d’accident ; il constate par ailleurs que la charte n’est pas obligatoire et que les travailleurs ont le choix de la plateforme pour laquelle ils exercent leur activité professionnelle.
.- la juridiction compétente pour connaître des contestations relatives à la charte
Le Conseil constitutionnel valide l’attribution de compétence au juge judiciaire, et non pas au juge administratif, pour examiner le contentieux portant sur la décision de l’autorité administrative d’homologuer ou non, la charte élaborée par une plateforme, lorsqu’elle est saisie d’une telle demande. Il considère, au nom d’une bonne administration de la justice, que le législateur pouvait confer à un seul ordre juridictionnel l’examen de la totalité du contentieux portant sur les relations entre la plateforme et le travailleur.

.7 Mais le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution le fait que la plateforme puisse de façon unilatérale, et sans recours possible devant le juge, insérer dans la charte des éléments excluant la relation contractuelle avec le travailleur de la définition du contrat de travail, et donc de son existence, alors que la détermination des critères de définition du contrat de travail ne peuvent relever que de la compétence du législateur au titre des principes fondamentaux du droit du travail.
Le fait que la charte puisse faire l’objet d’une homologation par l’administration ne modifie pas cette méconnaissance de ce principe fondamental du droit du travail, dès lors que l’administration se limite à vérifier de façon formelle la conformité du contenu de la charte à ce que prescrit la loi.
La loi LOM a donc été publiée au Journal Officiel du 26 décembre 2019 amputée des termes de l’article 44 censurés par le Conseil constitutionnel.

Commentaire

.1 L’article 44 de la loi est la réintroduction dans le code du travail des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 septembre 2018. Le Conseil constitutionnel avait considéré que ces dispositions, introduites par voie d’amendement lors des débats parlementaires relatifs à la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018, étaient sans relation avec l’objet de la loi et constituaient un cavalier législatif.

.2 La censure opérée par la Conseil constitutionnel est loin d’être anodine car elle vise la disposition centrale que les pouvoirs publics et le législateur voulaient insérer dans la législation du travail pour mettre à l’abri les plateformes numériques contre un risque de requalification judiciaire et sécuriser ainsi, non seulement les relations de travail entre un donneur d’ordre et un sous-traitant, mais aussi sécuriser et pérenniser un certain modèle économique dans l’usage du numérique considéré comme créant de l’emploi, voire assurant une certaine fonction d’insertion sociale et professionnelle.

. 3 La décision du Conseil constitutionnel ne remet pas en cause l’existence même de la charte, considérée comme conforme, qui pourra donc être élaborée de façon unilatérale par toute plateforme numérique intéressée, ciblée par l’article 44, être soumise pour homologation à l’administration et homologuée par celle-ci.
Cependant cette charte homologuée ne sera opposable ni au travailleur, ni aux agents de contrôle, ni aux organismes de recouvrement, ni au juge, pour leur interdire de s’engager dans une procédure de requalification judiciaire et pour interdire de requalifier. Le contenu et les clauses de la charte ne pourront pas être un écran à la requalification ou être utilisé pour faire échec à la requalification du statut du travailleur et décider que la plateforme n’est pas l’employeur du travailleur.
La charte homologuée par l’administration sera un simple document formel, dont le contenu et les mentions n’auront pas de valeur contraignante si une procédure de requalification du statut de travailleur indépendant au statut de salarié est ouverte.

.4 L’article 44 n’aura aucun effet sur la jurisprudence actuelle relative à la requalification de la situation de travail, notamment sur l’analyse et la grille de lecture résultant de l’arrêt du 28 novembre 2018 de la chambre sociale de la Cour de cassation (voir la décision et son commentaire), qui a censuré un arrêt de cour d’appel qui avait refusé de reconnaître le statut de salarié des coursiers livreurs portant des repas à domicile pour le compte d’une entreprise gérant une plateforme numérique de mise en relation. La Cour de cassation a considéré le système de géolocalisation des coursiers livreurs et de pénalités sanctions mis en place par l’entreprise caractérisait un lien de subordination juridique, et donc du salariat.

.5 Dès lors, parmi les nombreuses interrogations que suscite la décision du Conseil constitutionnel une double question se pose :
.- quel est l’intérêt désormais pour une plateforme d’élaborer une telle charte sociale, sauf à rendre plus transparentes les conditions d’emploi et de travail des travailleurs indépendants à qui elle recourt ? En tout état cause, la rédaction d’une telle charte devra se faire avec la grande prudence et dextérité puisque le Conseil constitutionnel a refusé de lui donner un blanc-seing contre le risque de requalification.
.- quelle est l’utilité pour l’administration d’intervenir dans la seule perspective de valider de façon purement formelle le contenu matériel d’un document à un texte de loi, sans que cette homologation n’ait d’autre effet ? L’administration a sans doute des tâches plus justifiées à accomplir.

.6 La décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2019 marque le second échec du législateur à vouloir corseter le pourvoir du juge en matière de faux travail indépendant, de fausse sous-traitance et de dissimulation d’emploi salarié. Les dispositions censurées de l’article 44 de la loi LOM ressemblent fort au sort réservé par le juge aux articles 35, 49 et 50 de la loi du 11 février 1994, dite loi Madelin (voir la loi), dont l’objectif était lui aussi de limiter les requalifications de travailleur indépendant en salarié, en introduisant pour la première fois dans le code du travail une présomption de non salariat fondée sur l’absence d’un lien de subordination juridique permanente.
Cette modification du code du travail était demeurée vaine, puisque dès sa première saisine sur les effets de cette évolution législative, la Cour de cassation avait procédé à une analyse classique et orthodoxe, conforme à sa jurisprudence de requalification en la matière, qui l’avait d’ailleurs conduit à confirmer une condamnation pénale d’une entreprise pour de la dissimulation d’emploi salarié sous un prétendu statut de travailleur indépendant (voir la décision).