En relation avec l’emploi illégal d’un salarié étranger

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 11 septembre 2002

N° de pourvoi : 01-86830

Non publié au bulletin

Cassation

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze septembre deux mille deux, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller ARNOULD, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... OU Y... Yili ou Ylli,

contre l’arrêt de la cour d’appel de DOUAI, 4ème chambre, en date du 31 mai 2001, qui, pour aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’étrangers en France, l’a condamné à 4 ans d’emprisonnement avec maintien en détention et 10 ans d’interdiction du territoire français ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 21 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défauts de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France et l’a condamné à la peine de quatre ans d’emprisonnement ;

”aux motifs que c’est par des motifs exempts d’insuffisance et que la Cour adopte que les premiers juges, après avoir exposé les faits et analysé les éléments de preuve, se sont prononcés affirmativement sur leur culpabilité ; qu’en effet X... Ylli était interpellé à bord d’une BMW, sur un parking d’autoroute après que plusieurs personnes, s’affairant autour d’un camion, prenaient la fuite ; qu’il était appréhendé en compagnie de deux personnes en situation irrégulière dont une, Z..., reconnaissait qu’il tentait un passage pour l’Angleterre avec aide de passeurs ; que l’enquête permettait de déterminer que A... avait donné une fausse identité et était déjà connu en Allemagne et s’appelait en fait Y... Ylli ; que X... avait déjà été interpellé mi-août en compagnie d’un yougoslave en situation irrégulière et 3 passeports étaient retrouvés dans son véhicule, que mis en cause par plusieurs gérants d’hôtel, tels l’hôtel Faidherbe et I’hôtel de la Plage à Boulogne, il accompagnait des étrangers en situation irrégulière dans des chambres louées au préalable, toujours payées en espèces ; que bien que ne bénéficiant d’aucun revenu, sans emploi, il montrait à ses amis de nombreuses devises qu’il détenait ;

que l’enquête a également permis d’établir qu’il se faisait adresser de nombreux mandats de l’étranger, mode de paiement usuel des passeurs ; que son épouse B... Annie, confirmait ses activités ;

qu’au domicile de celle-ci, étaient retrouvés de nombreux documents appartenant à X..., notamment son passeport à l’identité d’Allkushi Ylli et une facture de téléphone d’un montant de 4 370,12 francs, appels qu’elle déclarait avoir été donnés par Ylli Y... alias X... dans le cadre de ses activités ; qu’en conséquence, le jugement sera confirmé sur la culpabilité du prévenu ;

”alors qu’en l’absence d’aide directe ou indirecte à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier sur le territoire français, la seule présence du prévenu sur une aire de stationnement en compagnie d’une personne de nationalité étrangère et en situation irrégulière ne saurait caractériser l’élément matériel du délit visé à l’article 21, alinéa 1, de l’ordonnance du 2 novembre 1945” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

”Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 131-30 du Code pénal, 21 de l’ordonnance n 75-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a prononcé à l’égard du prévenu l’interdiction du territoire français d’une durée de dix ans ;

”alors que la juridiction correctionnelle ne peut prononcer l’interdiction du territoire français à l’encontre de tout étranger reconnu coupable de l’une des infractions visées à l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, qui se trouve dans l’un des cas prévus à l’alinéa 4 de l’article 131-30 du Code pénal qu’après avoir spécialement motivé le choix de cette peine au regard de la gravité de l’infraction et de la situation personnelle et familiale de cet étranger ; que l’arrêt relève que M. X... était au moment des faits marié, depuis plus de deux ans, à Annie B... de nationalité française ; qu’en s’abstenant de motiver le choix de la peine de l’interdiction du territoire au regard de la situation personnelle et familiale du prévenu marié depuis au moins un an avec un conjoint de nationalité française, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision” ;

Vu l’article 593 du Code de procédure pénale, ensemble l’article 131-30 du Code pénal ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu’après avoir, par motifs propres et adoptés, déclaré le prévenu coupable et retenu qu’en raison de sa personnalité et des circonstances de ses agissements, le jugement serait confirmé sur les peines, l’arrêt attaqué, ajoutant que l’intéressé réitère les faits après plusieurs condamnations, prononce à son encontre l’interdiction du territoire français pour une durée de 10 ans ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, sans motiver spécialement sa décision, comme le lui en faisait obligation l’article 131-30, alinéa 4, du Code pénal, au regard de la situation personnelle et familiale de l’intéressé qui, selon les énonciations non contredites des premiers juges, avait fait état de son mariage depuis plus d’un an avec un conjoint de nationalité française, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Qu’elle sera limitée à la peine complémentaire d’interdiction du territoire français prononcée, les autres dispositions de l’arrêt n’encourant pas elles-mêmes la censure ;

Par ces motifs,

CASSE ET ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Douai, en date du 31 mai 2001, mais en ses seules dispositions relatives à la peine de 10 ans d’interdiction du territoire français prononcée à l’encontre du demandeur, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Arnould conseiller rapporteur, M. Le Gall conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de DOUAI 4ème chambre , du 31 mai 2001

Titrages et résumés : PEINES - Peines complémentaires - Interdictions, déchéances ou incapacités professionnelles - Interdiction du territoire français - Interdiction temporaire du territoire français - Prononcé - Motivation spéciale - Nécessité.

Textes appliqués :
• Code de procédure pénale 593
• Code pénal 131-30 al. 4