étrangers sans titre

Le : 06/06/2012

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 6 mai 1997

N° de pourvoi : 95-82746

Publié au bulletin

Rejet

Président : M. Milleville, conseiller doyen faisant fonction., président

Rapporteur : Mme Karsenty., conseiller apporteur

Avocat général : M. Cotte., avocat général

Avocat : la SCP Waquet, Farge et Hazan., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET du pourvoi formé par :
"-" X...,
contre l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, 3e chambre, en date du 3 avril 1995, qui l’a condamné, pour travail clandestin, aide au séjour irrégulier d’étrangers en France et obtention de services insuffisamment rétribués par abus de vulnérabilité ou de dépendance, à 18 mois d’emprisonnement avec maintien en détention, à 300 000 francs d’amende et à l’interdiction du territoire français pour une durée de 10 ans.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 21 et 21 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
” en ce que l’arrêt attaqué a prononcé à l’encontre de X..., sur le fondement de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, tel que modifié par la loi n° 93-1027 du 25 août 1993, une mesure d’interdiction du territoire français pour une durée de 10 ans ;
” aux motifs que, bien que le prévenu réside en France régulièrement depuis plus de quinze ans, l’interdiction de séjour sera prononcée à son encontre ; qu’en effet les faits précités sont extrêmement graves et révèlent une violation de la législation sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France et une atteinte à la dignité humaine ; qu’ils troublent profondément l’ordre public ;
” alors, d’une part, que, aux termes de l’article 21 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, tel que résultant de la loi n° 93-1027 du 24 août 1993, le tribunal ne peut prononcer que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l’infraction l’interdiction du territoire français prévue par l’article 21 à l’encontre d’un condamné étranger qui justifie qu’il réside régulièrement en France depuis plus de quinze ans ; qu’en se bornant à justifier la mesure d’interdiction du territoire français prononcée contre X..., qui réside en France depuis plus de quinze ans, par “ une violation de la législation sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France “, c’est-à-dire en rappelant seulement le délit, prévu à l’article 21 de l’ordonnance susvisée, dont X... a été déclaré coupable, sans motiver spécialement, au regard de la gravité de l’infraction, la mesure d’interdiction du territoire français prononcée, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
” alors, d’autre part, que la seule affirmation que “ les faits sont extrêmement graves “ ne constitue pas une motivation spéciale, au regard de la gravité de l’infraction, de l’interdiction du territoire français prononcée ; qu’il s’ensuit que la mesure prononcée n’est pas légalement justifiée ;
” alors, enfin, que l’article 225-13 du Code pénal, qui punit l’atteinte à la dignité humaine que constitue le délit d’obtention d’une fourniture de services contre une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli par une personne en état de dépendance, ne prévoit pas la possibilité de prononcer une interdiction du territoire français ; qu’il s’ensuit que l’” atteinte à la dignité humaine “ ne saurait constituer la motivation spéciale au regard de la gravité de l’infraction exigée par l’article 21 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui vise l’infraction prévue par l’article 21 de ladite ordonnance ; que, dès lors, la mesure d’interdiction du territoire français n’est pas légalement justifiée “ ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 21 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
” en ce que l’arrêt attaqué a prononcé à l’encontre de X... une mesure d’interdiction du territoire français pour une durée de 10 ans ;
” aux motifs que, bien que le prévenu réside en France régulièrement depuis plus de quinze ans, l’interdiction de séjour sera prononcée à son encontre ;
” alors que, aux termes de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, et il ne peut être porté atteinte à ce droit que si la mesure est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui ; qu’en s’abstenant de justifier, au regard de ce texte, la mesure d’interdiction du territoire français prononcée à l’encontre d’un étranger résidant régulièrement en France depuis plus de quinze ans, marié en France, père de deux enfants nés en France et régulièrement scolarisés, et notamment de préciser si la mesure prise était nécessaire à la prévention des infractions pénales, c’est-à-dire seule de nature à prévenir le renouvellement de l’infraction, la cour d’appel a violé les textes susvisés “ ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer X... coupable des chefs susénoncés et le condamner, notamment, à une interdiction du territoire français pour une durée de 10 ans, la cour d’appel retient que le prévenu, précédemment importateur de chaussures fabriquées en Chine, a décidé d’installer un atelier de production en France ; que le contrôle effectué a permis de constater l’existence de trente-six postes de travail, et la présence sur place de dix-sept salariés, parmi lesquels douze Chinois sans titres de séjour ni de travail ; que ces salariés, à l’exception d’un seul, étaient employés clandestinement, six jours par semaine, de 8 heures à 22 heures, moyennant une rémunération mensuelle de trois à quatre mille francs, envoyée directement en Chine à leurs familles ; que les juges concluent que les faits relatés sont extrêmement graves, qu’ils révèlent une violation de la législation sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, une atteinte à la dignité humaine et troublent gravement l’ordre public ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui caractérisent la gravité de l’infraction au regard de l’ensemble des circonstances de fait qui l’ont accompagnée, les juges ont fait l’exacte application de l’article 21 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 sans méconnaître l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’en effet l’interdiction du territoire français, spécialement motivée lorsqu’elle est prononcée contre un étranger résidant en France depuis plus de quinze ans, est une mesure nécessaire à la défense de l’ordre, à la prévention des infractions pénales et à la protection des droits d’autrui, conformément au point 2 dudit article ;
D’où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.
Publication : Bulletin criminel 1997 N° 172 p. 570

Décision attaquée : Cour d’appel de Rennes, du 3 avril 1995

Titrages et résumés : CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME - Article 8.1 - Droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance - Etranger - Interdiction du territoire français. Les dispositions de l’article 21 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, issues de la loi n° 93-1027 du 24 août 1993, qui prévoient que l’interdiction du territoire français doit être spécialement motivée lorsqu’elle est notamment prononcée contre un étranger résidant en France depuis plus de quinze ans, ne sont pas incompatibles avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Justifie sa décision la cour d’appel qui caractérise la gravité de l’infraction et prononce ainsi à l’encontre du prévenu une interdiction du territoire français pour une durée de 10 ans, mesure nécessaire à la défense de l’ordre, à la prévention des infractions pénales et à la protection des droits d’autrui, conformément à l’article 8-2 de la Convention européenne des droits de l’homme. (1).

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME - Article 8.2 - Ingérence d’une autorité publique dans le domicile d’un particulier - Etranger - Interdiction du territoire français ETRANGER - Interdiction du territoire français - Interdiction temporaire du territoire français - Convention européenne des droits de l’homme - Article 8

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1991-10-23, Bulletin criminel 1991, n° 371, p. 923 (rejet).

Textes appliqués :
* Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales 1950-11-04 art. 8
* Ordonnance 45-2658 1945-11-02, art. 21 bis (rédaction loi 93-1027 1993-08-24)