Particulier employeur - mineur étranger

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 20 novembre 2013

N° de pourvoi : 12-83938

ECLI:FR:CCASS:2013:CR05357

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Pometan (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
"-" Mme Tenin A..., épouse Y...,

"-" Mme Astan A..., partie civile,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de PARIS, 5e section, en date du 7 mai 2012, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 29 mars 2011, pourvoi n° 09-88. 575), a renvoyé la première devant le tribunal correctionnel sous la prévention d’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier en France d’un mineur étranger et a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction des chefs de soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine, travail dissimulé ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 9 octobre 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Pometan conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Caron conseiller rapporteur, MM. Foulquié, Moignard, Castel, Raybaud, Moreau, Mme Drai, conseillers de la chambre, M. Laurent, Mme Carbonaro, M. Beghin, conseillers référendaires ;
Avocat général : Mme Valdès Boulouque ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de Mme le conseiller CARON, les observations de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE de BRUNETON, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général VALDÈS BOULOUQUE ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I-Sur le pourvoi formé par Mme Y... :
Vu le mémoire personnel en demande et le mémoire en défense produits ;
Sur la recevabilité du pourvoi contestée en défense :
Attendu que le pourvoi formé par Mme Y...le lundi 11 juin 2012 contre l’arrêt attaqué du 7 mai 2012 qui lui a été signifié le 4 juin suivant est recevable dès lors que le délai de cinq jours francs, prévu par l’article 568 du code de procédure pénale, commence à courir à compter de la signification ou de la notification de l’arrêt de la chambre de l’instruction aux parties, conformément aux dispositions de l’article 217, alinéa 3, du même code ;
Sur la recevabilité du mémoire personnel :
Attendu que ce mémoire, qui ne vise aucun texte de loi et n’offre à juger aucun moyen de droit, ne remplit pas les conditions exigées par l’article 590 du code de procédure pénale ; qu’il est, dès lors, irrecevable ;
II-Sur le pourvoi formé par Mme A... :
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 4, 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, des articles 225-13, 225-14, 225-15-1 du code pénal, et des articles 176, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt a confirmé l’ordonnance de non-lieu en ce qui concerne le délit de soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine ;
” aux motifs qu’« Astan A... a affirmé avoir été victime de violences physiques, de brimades, avoir été contrainte à effectuer des journées de travail de 18 heures, avoir été victime de traitements discriminatoires et privée de sa liberté d’aller et venir, faits contestés par Mme A..., épouse Y... ; que l’ensemble des témoins entendus, notamment Mme B..., épouse C...et Mme D..., veuve E...travailleurs sociaux, indépendantes des parties, qui étaient présentes au domicile des deux parties deux demi-journées pendant une année, n’ont jamais constaté de blessures sur la plaignante, ni même reçu des doléances de sa part bien que l’une d’entre elle parlait la langue de cette dernière ; qu’Astan A... dormait effectivement dans la salle à manger sur un matelas posé à terre mais qu’il en était de même pour certains des enfants de Mme A..., épouse Y...compte tenu du nombre de personnes vivant dans un seul logement ; que le certificat médical fait état « de présence sur le corps de nombreuses lésions cicatricielles anciennes, de taille arrondie ou linéaire » « sur les extrémités des membres supérieurs et la face antérieure des jambes », et ne permet pas d’affirmer que les cicatrices que présentait Astan A... étaient dues aux sévices corporels que la victime déclare avoir subis ; qu’Astan Y...vivait dans un appartement à Chatenay Malabry, avec neuf autres personnes dont six enfants ; qu’il n’est pas établi que la partie civile était astreinte à des corvées incompatibles avec la dignité humaine mais plutôt en rapport avec les nombreuses tâches qu’il y avait à accomplir ; que bien qu’en contact par téléphone avec son père et avec des personnes étrangères à la famille dans le cadre de cours d’alphabétisation, elle n’a jamais essayé de s’enfuir ; qu’elle n’a quitté le domicile de la mise en examen qu’à compter de sa relation avec son ami Junior Kavungu qui a lui-même précisé qu’il n’a pas assisté à des scènes de violence ; qu’aucun élément de l’enquête ne permet, en conséquence, d’accréditer la thèse d’Astan Y...et de poursuivre Mme A..., épouse Y...sur la base des articles 225-14 et suivants du code pénal ;
” 1°/ alors qu’est soumise à des conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine au sens de l’article 225-14 du code pénal, la personne qui est venue de l’étranger pour s’occuper des enfants du prévenu et qui est employée sans rémunération aux soins de ces derniers et aux tâches domestiques ; que les mineurs victimes des faits décrits par l’article 225-14 du code pénal à leur arrivée sur le territoire français sont considérées comme des personnes vulnérables ; qu’en confirmant l’ordonnance de non-lieu en ce qui concerne le délit de soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail indigne tout en relevant qu’Astan A... était arrivée du Mali à l’âge de treize ans et qu’il ressortait des auditions des personnes vivant au domicile de Mme Y...qu’« Astan A... était venue en France aux fins de s’occuper des enfants de Mme Y...qui n’avait pas reçu de réponse favorable à ses demandes d’aide à domicile » et qu’« Astan A... avait particulièrement pour charge de s’occuper de Mobido Y... ; qu’elle effectuait, en outre, les courses et les tâches ménagères courantes du foyer, pour lesquelles elle n’était pas rémunérée » constatant par-là même qu’Astan A... était une mineure venue en France pour être employée sans rémunération comme garde d’enfants et pour effectuer les tâches domestiques, la Chambre de l’instruction n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des textes susvisés ;
” 2°/ alors que tout travail forcé est incompatible avec la dignité humaine ; qu’effectue un travail forcé la personne en situation irrégulière, chargée en permanence d’exécuter des tâches domestiques, sans bénéficier de congés, rétribuée par quelque argent de poche ou envoi de subsides à des proches, dont le passeport était conservé par son employeur ; qu’en confirmant l’ordonnance de non-lieu en ce qui concerne le délit de soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail indignes tout en constatant qu’Astan A... était mineure, en situation irrégulière, sans ressources propres, que Mme Y..., chez laquelle elle vivait, détenait son passeport et qu’il ressortait des auditions des personnes vivant au domicile de Mme Y...qu’« Astan A... était venue en France aux fins de s’occuper des enfants de Mme Y...qui n’avait pas reçu de réponse favorable à ses demandes d’aide à domicile » et qu’« Astan A... avait particulièrement pour charge de s’occuper de Mobido Y... ; qu’elle effectuait, en outre, les courses et les tâches ménagères courantes du foyer, pour lesquelles elle n’était pas rémunérée », la Chambre de l’instruction n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des textes susvisés ;
” 3°/ alors qu’il appartient à la chambre de l’instruction d’examiner les faits objet de la plainte, sous toutes les qualifications possibles ; que caractérise le délit de rétribution inexistante ou insuffisante de travail fourni par une personne vulnérable, le fait d’obtenir d’une personne vulnérable la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli ; que les mineurs victimes des faits décrits par l’article 225-13 du code pénal à leur arrivée sur le territoire français sont considérées comme des personnes vulnérables ; qu’en confirmant l’ordonnance de non-lieu en ce qui concerne le délit de soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail indignes tout en relevant qu’il ressortait des auditions des personnes vivant au domicile de Mme Y...qu’« Astan A... était venue en France aux fins de s’occuper des enfants de Mme Y...qui n’avait pas reçu de réponse favorable à ses demandes d’aide à domicile » et qu’« Astan A... avait particulièrement pour charge de s’occuper de Mobido Y... ; qu’elle effectuait, en outre, les courses et les tâches ménagères courantes du foyer, pour lesquelles elle n’était pas rémunérée » et sans rechercher si ces faits, qui établissaient qu’Astan A..., mineure vulnérable, employée sans rémunération aux soins des enfants et aux tâches domestiques, fournissait un service non rétribué ou insuffisamment rétribué à Mme Y..., ne caractérisaient pas le délit de rétribution inexistante ou insuffisante de travail fourni par une personne vulnérable réprimé par l’article 225-13 du code pénal, la chambre de l’instruction a violé les textes susvisés “ ;
Vu l’article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l’instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’en 2006, Mme A..., de nationalité malienne, a porté plainte auprès du procureur de la République en exposant qu’en 2000, alors qu’elle était âgée de treize ans, elle avait été conduite en France par une parente, Mme Y..., avec l’accord de son père ; qu’elle était hébergée dans un appartement de quatre pièces, occupé par neuf personnes, et dormait sur un matelas posé sur le sol, ne se nourrissait qu’une fois par jour et subissait des violences infligées par sa parente ; qu’elle avait été astreinte pendant cinq ans à effectuer toutes les tâches ménagères et à s’occuper des enfants, sans recevoir aucune rétribution, en l’absence de toute déclaration aux organismes sociaux et alors que son passeport lui avait été confisqué par Mme Y... ;
Attendu qu’une information a été ouverte des chefs de soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, aide à l’entrée ou au séjour irrégulier d’un mineur étranger en France ayant pour effet de l’éloigner de son milieu familial ou de son environnement traditionnel et travail dissimulé ; que, Mme Y..., mise en examen de ces chefs, a reconnu avoir ramené Astan A... en France, avoir bénéficié de son aide pour effectuer les tâches ménagères et s’occuper des enfants, elle-même étant handicapée, lui avoir donné de l’argent de poche occasionnellement, n’avoir pu la faire scolariser, avoir été dépossédée du passeport de la jeune fille lors du vol de son sac ; qu’elle a soutenu qu’elle n’avait jamais exercé de violences sur elle, qu’elle subvenait à ses besoins, prenait en charge ses soins médicaux, que la plaignante sortait, fréquentait des amies, suivait des cours d’alphabétisation et que sa participation aux tâches de la maison, occupée par une famille nombreuse, était normale ;
Attendu que, pour confirmer l’ordonnance portant non-lieu du chef de soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine et travail dissimulé, l’arrêt attaqué retient que les violences imputées par la plaignante à Mme Y...ne sont corroborées ni par les témoins ni par l’expertise médicale, qu’il n’est pas établi que la partie civile eût été astreinte à des corvées incompatibles avec la dignité humaine mais qu’elles étaient plutôt en rapport avec les tâches qu’elle avait à accomplir en tant que membre d’une famille nombreuse ainsi qu’en raison du handicap de Mme Y..., qu’elle n’avait jamais cherché à s’enfuir et n’entretenait pas un rapport de salarié à employeur avec sa parente ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait, d’une part, qu’il résultait des déclarations de membres du foyer familial qu’Astan A... était venue en France à l’âge de treize ans pour s’occuper des enfants, qu’elle effectuait les courses et les tâches ménagères courantes de l’appartement occupé par neuf personnes sans être rémunérée, d’autre part, qu’elle ne parlait pas français, n’était pas scolarisée, se trouvait en séjour irrégulier, dépossédée de son passeport et, alors que l’intéressée était une personne vulnérable au sens de l’article 225-15-1 du code pénal, la chambre de l’instruction, qui n’a pas recherché si la plaignante n’avait pas été ainsi soumise à des conditions d’hébergement ou de travail contraires à la dignité humaine, n’a pas justifié sa décision au regard des dispositions de l’article 225-14 du code pénal ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs et sans qu’il soit besoin d’examiner le second moyen de cassation proposé :
I-Sur le pourvoi de Mme Tenin A... épouse Y... :
Le REJETTE ;
II-Sur le pourvoi formé par Mme Astan A... :
CASSE et ANNULE, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, en date du 7 mai 2012, en ses seules dispositions disant n’y avoir lieu à suivre des chefs de soumission d’une personne vulnérable, en l’espèce un mineur, à des conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ainsi que de travail dissimulé, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et, pour qu’il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Orléans, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Et pour le cas où ladite chambre de l’instruction déclarerait qu’il y a lieu à renvoi devant le tribunal correctionnel de Mme Y...,
Réglant de juges par avance,
ORDONNE, dès à présent, que l’intéressée sera renvoyée par elle devant le tribunal correctionnel de Nanterre ;
DIT n’y avoir lieu à application, au profit de Mme Astan A..., des dispositions de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt novembre deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris , du 7 mai 2012