Non respect de la loi - requalification en contrat de travail à durée indéterminée

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 23 mai 2013

N° de pourvoi : 12-14027

ECLI:FR:CCASS:2013:SO00932

Publié au bulletin

Cassation

M. Lacabarats (président), président

SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué que Mme X... a été engagée le 10 septembre 1994 par l’association intermédiaire Emplois services d’Epinal, en qualité de femme de ménage pour être mise à disposition de plusieurs utilisateurs de manière régulière et continue ; qu’elle a saisi, en 2009, la juridiction prud’homale de diverses demandes ;
Sur le premier moyen :
Vu les articles L. 5132-7 et L. 5132-14 du code du travail ;
Attendu, qu’il résulte de ces textes que l’obligation pour l’association intermédiaire d’assurer l’accueil ainsi que le suivi et l’accompagnement de ses salariés en vue de faciliter leur insertion sociale et de rechercher les conditions d’une insertion professionnelle durable constitue une des conditions d’existence de ce dispositif d’insertion par l’activité professionnelle à défaut de laquelle la relation de travail doit être requalifiée en contrat de travail de droit commun à durée indéterminée ;
Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes tendant à la requalification de ses contrats de travail en contrat à durée indéterminée et au paiement de rappel de salaire, d’indemnité de requalification et dommages-intérêts, l’arrêt énonce que les contrats signés avec l’association intermédiaire ne peuvent être qualifiés de contrats à durée déterminée de droit commun avec les conséquences que cette dénomination entraîne et ne sont pas davantage des contrats à durée indéterminée ; qu’il s’agit de contrats autonomes avec leurs règles propres résultant des dispositions des articles L. 5132-7 et suivants du code du travail ; que l’association a délivré à la salariée un certificat de validation de ses compétences professionnelles qui est de nature à faciliter son engagement par d’autres employeurs ; que le nombre d’heures travaillées en constante progression depuis 1994 permet d’affirmer que son insertion professionnelle est réalisée ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’augmentation du nombre d’heures travaillées et la délivrance d’un certificat de validation des compétences professionnelles ne sont pas de nature à établir que l’association intermédiaire a accompli sa mission d’assurer l’accompagnement de la salariée en vue de favoriser une réinsertion professionnelle durable, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen :
Vu l’article L. 5132-12 du code du travail ;
Attendu qu’il résulte de ce texte que la surveillance de la santé des personnes employées par une association intermédiaire, au titre de leur activité est assurée par un examen de médecine préventive ; qu’il appartient à l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat à l’égard des salariés, de prendre les mesures propres à assurer l’effectivité et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement ;
Attendu que pour rejeter la demande de la salariée en paiement de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation d’assurer le suivi médical, l’arrêt énonce qu’aucune pièce du dossier ne permet de vérifier que Mme X... n’a pas été convoquée régulièrement à l’examen périodique de la médecine préventive ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses constatations que l’employeur ne justifiait pas avoir satisfait à ses obligations, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 14 décembre 2011, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz ;
Condamne l’association Emplois services aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne l’association Emplois services à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils pour Mme X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté la salariée de ses demandes tendant à la requalification de ses contrats de travail en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, paiement des rappels de rémunération, indemnité de requalification et dommages et intérêts en conséquence.
AUX MOTIFS QUE Madame Michèle X... est salariée de l’A. E. S. d’EPINAL depuis le 10 septembre 1994 et, pour le compte de cette association, elle effectue des tâches ménagères chez des particuliers dans la région d’EPINAL ; l’A. E. S. d’EPINAL est une association intermédiaire qui a pour objectif de mettre à la disposition du personnel auprès d’utilisateurs tout en assurant le suivi et l’accompagnement des demandeurs d’emploi pour favoriser leur insertion professionnelle ; que ce type d’association est régi par les articles L. 5132-7 et suivants du code du travail ; les contrats de travail de Mme X... sont conclus entre l’association intermédiaire et elle même, qui exécute sa prestation de travail auprès d’un utilisateur qui n’est pas contractuellement lié avec la salariée ; un contrat de mise à disposition est établi entre l’association intermédiaire et l’utilisateur ; à chaque nouvelle mission, un nouveau contrat de mise à disposition est conclu ; si les contrats de travail ainsi conclus peuvent être soumis aux dispositions des articles L. 1242-2 3ème du code du travail et D. 1242-1 du même code sur les contrats à durée déterminée d’usage, cette possibilité offerte par ces textes n’a pas été expressément retenue par les parties ; en l’espèce, le contrat écrit de travail conclu à chaque mission par Mme X... et l’A. E. S. est un contrat qui ne peut être qualifié de contrat à durée déterminée de droit commun avec toutes les conséquences que cette dénomination entraîne : ainsi l’association intermédiaire prévoit la durée minimale de la mission mais ne garantit pas un horaire précis de travail ; ainsi encore, le salarié peut rompre le contrat de travail s’il retrouve un contrat à durée déterminée classique et non un contrat à durée indéterminée et cela en contradiction avec l’article L. 1243-2 du code du travail ; les contrats signés ne sont pas davantage des contrats à durée indéterminée dont, par définition, le terme n’est pas fixé et qui assurent au salarié une sécurité d’emploi ; en réalité, les contrats signés par Mme X... avec l’A. E. S. sont des contrats autonomes avec leurs propres règles résultant des dispositions des articles L. 5132-7 et suivants et R. 5132-11 et suivants ; ainsi, Mme X... peut refuser d’accomplir la mission qui lui est présentée comme l’utilisateur peut refuser d’utiliser les services de Mme X... ; le contrat de travail devient une relation triangulaire où une association rétribue le travail effectué par un salarié pour un tiers et assure la formation pour un retour à l’emploi du salarié ; Mme X... ne peut affirmer qu’elle se tient à la disposition de son employeur à temps plein alors que, comme le souligne à juste titre l’A. E. S., elle peut refuser une mission, un volume d’heures ou un créneau horaire qui ne lui convient pas ; les contrats de travail de Mme X... ne peuvent être requalifiés de contrat de travail à durée indéterminée à temps complet ; les heures de travail et les congés payés de Mme X... ont été intégralement payés ; Mme X... reproche à l’A. E. S. de ne pas lui avoir assuré une formation suffisante ; l’A. E. S. a délivré à Mme X... un certificat de validation de ses compétences professionnelles qui est de nature à faciliter son engagement par d’autres employeurs ; qu’au demeurant, le nombre d’heures travaillées par Mme X..., en constante progression depuis 1994 (sauf en 2009), passant de 18 heures en moyenne en 1994 à 82 heures en 2009 permet d’affirmer que son insertion professionnelle était réalisée ; si Mme X... est restée quinze ans dans l’association d’insertion, elle ne peut en faire le reproche à l’A. E. S. qui n’a pas vocation à exclure ses adhérents ; Mme X... a été rémunérée pour les heures de travail effectuées chez les utilisateurs de l’A. E. S. ; qu’elle n’établit pas le temps passé pour faire signer le contrat de mise à disposition et le relevé d’heures en fin de mission par les utilisateurs n’a pas été payé comme du temps de travail ; Mme X... est aussi dans l’impossibilité d’évaluer le temps nécessaire pour se rendre au siège de l’A. E. S. (à EPINAL) pour y déposer tous les documents signés par les usagers dans la boîte aux lettres ; qu’il convient de souligner que Mme X... résidait à l’origine à EPINAL et qu’elle a déménagé au SYNDICAT (88) en cours de contrat ; Mme X... fait grief à l’A. E. S. de l’employer comme d’autres prestataires (A. D. A. P. A. H., A. D. M. R.) auraient pu le faire et d’avoir ainsi fait acte de concurrence déloyale envers ces associations ; toutefois, il n’appartient pas à Madame X... de s’ériger en juge des relations entre associations d’aide à l’emploi : qu’il suffit en l’espèce de constater que l’A. E. S. a rempli sa mission à son égard en lui fournissant un emploi rémunéré en favorisant son insertion dans la vie professionnelle ; la durée de l’emploi de Mme X... au sein de l’A. E. S. au profit de plusieurs utilisateurs (particuliers) ne justifie pas davantage la requalification des contrats en contrat à durée indéterminée ; Mme X... soutient qu’elle n’a pas bénéficié de visites régulières de la Médecine du Travail ; l’article L. 5132-12 du code du travail prévoit que la surveillance de la santé des personnes employées par une association intermédiaire, au titre de leur activité, est assurée par un examen de Médecine Préventive ; aucune pièce du dossier ne permet de vérifier que Mme X... n’a pas été convoquée régulièrement à l’examen périodique de la Médecine Préventive ; qu’en revanche, il est bien établi qu’elle ne s’est pas rendue au dernier bilan de santé du 29 mars 2011, sans avertir quiconque ; les griefs faits par Mme X... à son employeur n’étant pas fondés, il y a lieu de débouter Mme X... de sa demande en paiement d’un salaire pour un emploi à temps complet au SMIC évalué par elle, selon ses dernières conclusions, à 46 046, 61 € ; Mme X... n’établit pas qu’elle a été victime d une précarisation de son emploi et de conditions de travail atypiques’ ; qu’elle doit être déboutée de sa demande en dommages-et-intérêts à ce titre ALORS QUE, que les associations intermédiaires, au sens de l’article L. 5132-7 du code du travail, sont des associations conventionnées par l’Etat ayant pour objet l’embauche des personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, en vue de faciliter leur insertion professionnelle en les mettant à titre onéreux à disposition de personnes physiques ou de personnes morales ; que ces associations, dont l’objet est la réinsertion des personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, ne peuvent, sans violer l’objet de la loi, échapper aux obligations de droit commun en embauchant et conservant à leur service une personne qui, certes sans emploi, ne rencontre aucune difficulté sociale et professionnelle et qui ne bénéficie d’aucune action de réinsertion ; que le caractère dérogatoire des dispositions qui gouvernent le régime du contrat de travail qui unit le salarié à l’association ne peut trouver application que dans la limite de son objet, à savoir la mission de réinsertion sociale et professionnelle ; que pour dire que le contrat conclu avec’association emplois services relevait du champ d’application de l’article L. 5132-7 du code du travail, la cour d’appel a seulement retenu que « l’A. E. S. d’EPINAL est une association intermédiaire qui a pour objectif de mettre à la disposition du personnel auprès d’utilisateurs tout en assurant le suivi et l’accompagnement des demandeurs d’emploi pour favoriser leur insertion professionnelle ; que ce type d’association est régi par les articles L. 5132-7 et suivants du code du travail ; qu’en statuant ainsi, alors même qu’elle avait constaté que Mme X... était restée au service de l’association emplois services plus de quinze ans, qu’elle n’avait aucune difficulté sociale ou professionnelle particulière, et que la seule mesure d’insertion avait consisté à permettre à la salariée d’exercer une activité qu’elle effectuait auparavant, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations, violant ainsi les dispositions de l’article L. 5132-7 du code du travail ;
ALORS ENCORE QUE, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ; que sauf cas particulier prévu par le législateur, un contrat de travail est soit à durée déterminée, soit à durée indéterminée ; qu’en aucun cas les parties ne peuvent être créer un contrat sui generis extra legem ; que le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail ; qu’en l’espèce, concernant la nature du contrat conclu entre Mme X... et l’association, la cour d’appel a retenu que « si les contrats de travail ainsi conclus peuvent être soumis aux dispositions des articles L. 1242-2 3ème du code du travail et D. 1242-1 du même code sur les contrats à durée déterminée d’usage, cette possibilité offerte par ces textes n’a pas été expressément retenue par les parties ; en l’espèce, le contrat écrit de travail conclu à chaque mission par Mme X... et l’A. E. S. est un contrat qui ne peut être qualifié de contrat à durée déterminée de droit commun avec toutes les conséquences que cette dénomination entraîne : ainsi l’association intermédiaire prévoit la durée minimale de la mission mais ne garantit pas un horaire précis de travail ; ainsi encore, le salarié peut rompre le contrat de travail s’il retrouve un contrat à durée déterminée classique et non un contrat à durée indéterminée et cela en contradiction avec l’article L. 1243-2 du code du travail ; les contrats signés ne sont pas davantage des contrats à durée indéterminée dont, par définition, le terme n’est pas fixé et qui assurent au salarié une sécurité d’emploi ; en réalité, les contrats signés par Mme X... avec l’A. E. S. sont des contrats autonomes avec leurs propres règles résultant des dispositions des articles L 5132-7 et suivants et R. 5132-11 et suivants » ; qu’en statuant ainsi, alors qu’elle était dans l’obligation de redonner son exacte qualification à l’acte conclu, la cour d’appel a violé les articles L. 1221-2, L. 5132-7, R. 5132-11 du code du travail et 12 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté Mme X... de ses demandes de dommages et intérêts fondées sur la précarité de ses conditions d’emploi et le non respect, par l’employeur, de son obligation d’assurer le suivi médical des salariés des associations intermédiaires.
AUX MOTIFS QUE Madame X... soutient qu’elle n’a pas bénéficié de visites régulières de la Médecine du Travail ; l’article L. 5132-12 du code du travail prévoit que la surveillance de la santé des personnes employées par une association intermédiaire, au titre de leur activité, est assurée par un examen de Médecine Préventive ; aucune pièce du dossier ne permet de vérifier que Madame X... n’a pas été convoquée régulièrement à l’examen périodique de la Médecine Préventive ; qu’en revanche, il est bien établi qu’elle ne s’est pas rendue au dernier bilan de santé du 29 mars 2011, sans avertir quiconque ; les griefs faits par Madame X... à son employeur n’étant pas fondés.
ALORS QUE, l’employeur est tenu à l’égard de son salarié d’une obligation de sécurité de résultat ; qu’il appartient à l’employeur d’apporter la preuve qu’il a respecté son obligation, sauf être sanctionné ; que pour débouter Mme X... de ses demandes de dommages-et-intérêts fondées sur l’absence de visites régulières auprès de la médecine du travail, la cour d’appel retient que « aucune pièce du dossier ne permet de vérifier que Mme X... n’a pas été convoquée régulièrement à l’examen périodique de la Médecine Préventive ; qu’en revanche, il est bien établi qu’elle ne s’est pas rendue au dernier bilan de santé du 29 mars 2011, sans avertir quiconque » ; qu’en statuant ainsi, alors qu’il appartenait à l’employeur d’apporter la preuve qu’il avait été diligent dans le suivi médical du salarié, la cour d’appel n’a pas respecté les principes probatoires applicables en matière d’obligation de sécurité de résultat et violé en conséquence les articles 1147 et 1315 du code civil, et les principes généraux de prévention issus de cette directive et de la loi no 91-1414 du 31 décembre 1991.

Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Nancy , du 14 décembre 2011