Chèques et espèces - blanchiment travail dissimulé et blanchiment fraude fiscale

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 1 avril 2020

N° de pourvoi : 19-81717

ECLI:FR:CCASS:2020:CR00635

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° R 19-81.717 F-D

N° 635

SM12

1ER AVRIL 2020

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 1ER AVRIL 2020

M. X... T..., M. U... I... et M. E... A... ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens, chambre correctionnelle, en date du 5 novembre 2018, qui a condamné, le premier, pour blanchiments aggravés, complicité de faux et usage, à quinze mois d’emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction de gérer une entreprise commerciale, le deuxième, pour travail dissimulé et blanchiments aggravés, à huit mois d’emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction de gérer une entreprise commerciale et, le troisième, pour blanchiment aggravé et complicité, à huit mois d’emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction de gérer une entreprise commerciale.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits en demande.

Sur le rapport de Mme Pichon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de M. X... T... et de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. E... A... et M. U... I..., et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l’audience publique du 4 mars 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Pichon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. A la suite d’une dénonciation anonyme, des investigations ont révélé que M. T..., inconnu de l’URSSAF et sans emploi, avait crédité ses comptes bancaires d’une somme supérieure à 400 000 euros entre janvier 2006 et mars 2007. M. T..., qui a prétendu tirer ses revenus de gains au poker et de la revente de véhicules et de meubles personnels sur des brocantes, a fait l’objet d’un redressement fiscal. Pour une part, ces chèques, initialement établis sans ordre, ont été identifiés comme provenant de l’activité non déclarée d’un cabinet d’épilation laser tenu par M. I... qui les a échangés, dans un premier temps, par l’intermédiaire de M. A..., dans un second temps, directement, contre des sommes remises en espèces par M. T....

3. A l’issue d’une information judiciaire, MM. T..., I... et A... ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel afin d’y être jugés pour plusieurs délits. Après requalification et relaxe partielles, le tribunal correctionnel a condamné M. T... des chefs de blanchiment aggravé de fraude fiscale, blanchiment aggravé de travail dissimulé, complicité, faux et usage, M. I..., pour travail dissimulé, blanchiment aggravé de fraude fiscale, blanchiment aggravé de travail dissimulé, et M. A..., pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et complicité de blanchiment de travail dissimulé.

4.Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen proposé pour M. T..., le premier moyen, pris en sa seconde branche, proposé pour M. I..., le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. A... et les seconds moyens proposés pour MM. T..., I... et A...

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. I...

Énoncé du moyen

6. Le moyen, pris en sa première branche, critique l’arrêt attaqué d’avoir déclaré M. I... coupable des chefs de blanchiment aggravé du produit d’un délit de fraude fiscale commis par M. T... et de blanchiment aggravé du produit d’un délit de travail dissimulé commis par lui-même, alors :

« 1°/ qu’en se fondant, pour juger M. I... coupable de blanchiment de fraude fiscale commise par M. T..., sur les remises, à ce dernier, de chèques provenant de son activité non déclarée en échange d’espèces, pour lesquelles elle l’a également déclaré coupable de blanchiment de travail dissimulé commis par lui-même, sans caractériser aucun fait ou intention coupable distincts, la cour d’appel a méconnu les articles 6 de la Convention des droits de l’homme , 4 du protocole n° 7 annexé à cette convention, 324-1 du code pénal, préliminaire, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale et le principe ne bis in idem. »

Réponse de la Cour

7. Pour déclarer M. I... coupable de blanchiment habituel du travail dissimulé commis par lui-même, l’arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, retient qu’il a remis à M. T..., en échange de sommes en espèces, quarante-huit chèques provenant de la clientèle de son activité occulte, d’abord par l’intermédiaire de M. A..., puis directement auprès de l’intéressé, et que cet échange est constitutif d’une opération de conversion.

8. Pour le déclarer également coupable de blanchiment habituel de la fraude fiscale commise par M. T..., l’arrêt, par motifs propres et adoptés, relève que les chèques précités ont été versés sur le compte de ce dernier et que M. I... ne pouvait valablement ignorer l’origine illicite des fonds qui lui étaient remis par M. T... en échange de ses chèques qu’il savait provenir de son activité non déclarée et qu’un tel mécanisme de blanchiment réciproque est constitutif d’une opération de conversion.

9. En prononçant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître le principe ne bis in idem.

10. En effet, il résulte de ces énonciations que les faits retenus ne procèdent pas de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable dès lors qu’en l’espèce, par des opérations de conversion croisées, le prévenu a, d’une part, blanchi des chèques correspondant au produit de son propre travail dissimulé, d’autre part, participé au blanchiment d’espèces provenant de la fraude fiscale commise par un tiers, peu important que ces opérations croisées aient été concomitantes.

11. Dès lors, le grief doit être écarté.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, proposé pour M. A...

12. Le moyen, en sa seconde branche, critique l’arrêt attaqué d’avoir déclaré M. A... coupable de complicité de blanchiment aggravé, du 1er janvier 2006 au 6 octobre 2008, du produit d’un délit de travail dissimulé commis par M. I... et de l’avoir déclaré coupable de blanchiment aggravé, au cours des années 2006 et 2007, du produit d’un délit de fraude fiscale commise par M. T..., alors :

« 2°/ qu’en retenant, pour déclarer M. A... coupable du délit de complicité de blanchiment du travail dissimulé commis par M. I..., qu’il avait « servi d’intermédiaire, puis mis en relation U... I... et X... T... » (arrêt, p. 14, al. 3) et, pour le déclarer coupable du délit de blanchiment de la fraude fiscale commise par M. T..., qu’il « avait servi d’intermédiaire [...] entre MM. U... I... et X... T... » (arrêt, p. 13, dernier al.), la cour d’appel, qui a prononcé une double déclaration de culpabilité à raison des mêmes faits, a violé les articles 6 de la Convention des droits de l’homme, 4 du protocole n° 7 annexé à cette convention, du code pénal, préliminaire, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale et le principe ne bis in idem. »

Réponse de la Cour

13. Pour déclarer M. A... coupable de complicité de blanchiment habituel du travail dissimulé commis par M. I..., l’arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, retient qu’il a échangé des espèces provenant de M. T... contre des chèques qu’il savait provenir de l’activité non déclarée de M. I... et que ce rôle d’intermédiaire, qui a matériellement procédé aux échanges et a permis la prise de contact de MM. I... et T..., caractérise le délit de complicité par aide ou assistance.

14. Pour le déclarer également coupable de blanchiment habituel de la fraude fiscale commise par M. T..., l’arrêt, par motifs propres et adoptés, relève que M. A... a établi des chèques au nom de M. T... en contrepartie d’espèces et qu’il ne saurait sérieusement soutenir qu’il n’avait pas connaissance de l’origine illicite des fonds remis par M. T..., le caractère frauduleux d’une telle opération se déduisant du procédé, du montant des sommes en cause et de la répétition dans le temps du procédé ainsi que des contradictions existant entre les discours des prévenus. Il énonce que M. A... a aussi joué le rôle d’intermédiaire dans l’opération de blanchiment passée entre M. T... et M. I... . Les juges concluent qu’un tel mécanisme consistant à convertir les revenus occultes de M. T... revenus légaux et auquel a volontairement participé M. A... est constitutif d’une opération de conversion.

15. En prononçant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître le principe ne bis in idem.

16. En effet, il résulte de ses énonciations que les faits retenus ne procèdent pas de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable dès lors qu’en l’espèce, le prévenu a, d’une part, aidé, directement et indirectement, un co-prévenu à blanchir des chèques correspondant au produit d’un travail dissimulé, d’autre part, participé au blanchiment d’espèces provenant de la fraude fiscale commise par un troisième co-prévenu, peu important que ces opérations croisées aient été pour une part concomitantes.

17. Dès lors, le grief doit être écarté.

18. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier avril deux mille vingt.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Amiens , du 5 novembre 2018