Artistes oui

Cour Administrative d’Appel de Paris

N° 09PA02502

Inédit au recueil Lebon

8ème chambre

M. ROTH, président

M. Jean-Claude PRIVESSE, rapporteur

Mme SEULIN, commissaire du gouvernement

SONET, avocat(s)

lecture du lundi 29 novembre 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 30 avril 2009, présentée pour la Société à responsabilité limitée INTERNATIONAL SPECTACLES PRODUCTIONS (ISP), prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est 26 avenue de Thies à Caen (14000), par Me Sonet ; la société demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement nº 0510918/3-1 en date du 18 février 2009, par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet du directeur de l’Office des migrations internationales (OMI), par la suite devenu l’ANAEM, de sa demande reçue par ce dernier le 1er mars 2005, contestant l’état exécutoire émis à son encontre le 11 janvier 2005, pour le recouvrement d’une somme de 98 940 euros représentant le montant de la contribution spéciale mise à sa charge en application de l’article L. 341-7 du code du travail ;

2°) d’annuler ladite décision implicite de rejet ;

3°) subsidiairement, dans l’hypothèse où la Cour estimerait qu’une contribution spéciale est due, d’en réduire le montant ;

4°) de mettre à la charge de l’administration le versement d’une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ensemble le décret du 3 mai 1974 portant publication de la convention ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;

Vu le protocole n° 7 à la convention susvisée du 22 novembre 1984 ;

Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu le code du travail ;

Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946, modifié, réglementant les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 15 novembre 2010 :

"-" le rapport de M. Privesse, rapporteur,

"-" et les conclusions de Mme Seulin, rapporteur public ;

Considérant que la SARL INTERNATIONAL SPECTACLES PRODUCTIONS (ISP), fait régulièrement appel du jugement en date du 18 février 2009 par lequel le Tribunal administratif Paris a rejeté sa demande tendant à la décharger du paiement de la contribution spéciale prévue à l’article L. 41-7 du code du travail, faisant l’objet d’un état exécutoire en date du 11 janvier 2005, et demande subsidiairement dans sa requête la réduction de celle-ci, à raison de l’engagement signé avec la troupe dite ensemble national de chants et de danse d’Arménie ou Tatoul Altounian pour effectuer des représentations, notamment le 25 novembre 2001 dans les locaux du théâtre des Folies Bergères à Paris, les artistes de celle-ci s’étant produits ce même jour en ces lieux en étant démunis de titre de travail les autorisant à exercer une activité sur le sol français ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 341-6 du code du travail en vigueur à l’époque des faits : Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France... ; qu’aux termes de l’article L. 341-7 du même code alors en vigueur : Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L. 341-6, premier alinéa, sera tenu d’acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l’Office des migrations internationales. ; et qu’aux termes de l’article L. 762-1 dudit code applicable à l’espèce : Tout contrat par lequel une personne physique ou morale s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité, objet de ce contrat, dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties. Elle n’est pas non plus détruite par la preuve que l’artiste conserve la liberté d’expression de son art, qu’il est propriétaire de tout ou partie du matériel utilisé ou qu’il emploie lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder, dès lors qu’il participe personnellement au spectacle. Sont considérés comme artistes du spectacle, notamment... l’artiste chorégraphique, ... le musicien... Le contrat de travail doit être individuel. Toutefois, il peut être commun à plusieurs artistes lorsqu’il concerne des artistes se produisant dans un même numéro ou des musiciens appartenant au même orchestre. Dans ce cas, le contrat doit faire mention nominale de tous les artistes engagés et comporter le montant du salaire attribué à chacun d’eux. Ce contrat de travail peut n’être revêtu que de la signature d’un seul artiste, à condition que le signataire ait reçu mandat écrit de chacun des artistes figurant au contrat. Conserve la qualité de salarié, l’artiste contractant dans les conditions précitées. ;

Considérant en premier lieu, que le contrôle effectué le 25 novembre 2001 à 14 h 45 par deux contrôleurs du travail de la section spécialisée de lutte contre l’emploi illégal de la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle de Paris, lors de la représentation au théâtre des Folies Bergères de la troupe dénommée Tatoul Altounian , a fait l’objet d’un procès-verbal du même jour, et clos le 6 mars 2002, lequel fait foi jusqu’à preuve du contraire en ce qui concerne la constatation des faits constitutifs de l’infraction constatée ; qu’il n’est pas contesté que ces faits consistent en ce que la société requérante, s’étant jointe à l’association Coriandre qui détenait une licence d’entrepreneur de spectacle, avait sollicité successivement les 10 et 19 octobre 2001 les directions départementales du travail du Val-de-Marne et de Paris afin d’obtenir des autorisations provisoire de travail en France pour les artistes arméniens dont s’agit, ces directions ayant rejeté ces demandes respectivement les 23 novembre et 31 octobre 2001 ; qu’ainsi, les artistes présents sur scène étaient en situation irrégulière ;

Considérant en deuxième lieu, que si la société ISP fait principalement valoir qu’elle ne pouvait être qualifiée d’employeur de l’Ensemble susmentionné, ne versant directement aucune rémunération à ses membres, et aucun lien de subordination n’existant entre elle et les artistes, ces allégations ne sont pas de nature, en l’espèce, à combattre la présomption édictée par l’article L. 762-1 précité du code du travail selon laquelle les artistes engagés bénéficiaient de la qualité de salariés ; qu’en effet, il résulte de l’instruction que les intéressés étaient tenus de se produire suivant le programme établi par la société requérante et percevaient des allocations forfaitaires et journalières par personne de 120 F pour les 42 artistes et de 200 F pour les trois membres de la direction, soit un total pour 11 jours et 45 personnes de 62 040 francs, cette rémunération étant au demeurant inférieure au minimum requis de 556 F par personne et par représentation ; qu’en outre, le producteur ainsi dénommé notamment dans le contrat d’engagement signé à Alfortville le 29 mai 2001, prenait à sa charge l’hébergement, les repas et les frais de déplacements lors de la tournée des artistes dans des pays de la zone Schengen ; que les obligations dudit producteur énumérées dans ce même contrat, consistaient notamment à fournir les lieux de représentation en ordre de marche, à assurer le service général de ces lieux, notamment l’accueil et la publicité, et en sa qualité d’employeur à assurer les rémunérations du personnel, et les charges sociales et fiscales ; qu’enfin, la société ISP, qui ne dément plus utilement avoir été le seul contractant français du contrat d’engagement de la troupe Tatoul Altounian , a sollicité l’administration française, par deux fois, afin d’obtenir des autorisations provisoires de travail pour 45 artistes, alors qu’au demeurant 55 personnes étaient concernés ; que si le contrat d’engagement susmentionné était collectif et ne mentionnait pas nominativement les artistes concernés non plus que leurs salaires, ledit contrat était cependant cosigné avec l’Ensemble national de chant et de danse d’Arménie, visant ainsi la troupe dans son ensemble, les éléments de rémunération ayant été précisés comme il est dit précédemment ; que dans ces conditions et eu égard en outre aux constatations matérielles relevées par le juge pénal dans le jugement du 24 mars 2004 du Tribunal de grande instance de Paris, un tel contrat doit être qualifié de contrat de travail ; qu’il en résulte que la société ISP ne pouvait qu’être l’employeur de la troupe dont s’agit, au sens des dispositions de l’article L. 762-1 du code du travail alors applicable ;

Considérant en troisième lieu, qu’il résulte de ce qui précède, que la contribution spéciale résultant des dispositions précédemment rappelées, était due dès lors que l’infraction visée à l’article L 341-6 précité a été régulièrement constatée et que la société ISP, seul représentant de l’Ensemble constitué par la troupe Tatoul Altounian , en était effectivement son employeur au sens des dispositions susmentionnées du code du travail ; que si le paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de New-York stipule que : Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays. , il en résulte que la règle non bis in idem qu’elle énonce ne trouve à s’appliquer que dans le cas où une même infraction pénale ayant déjà donné lieu à un jugement définitif de condamnation ou d’acquittement ferait l’objet d’une nouvelle poursuite et, le cas échéant, d’une condamnation devant ou par une juridiction répressive ; qu’il suit de là que la procédure instaurée par l’article L. 341-7 du code du travail précité est indépendante des poursuites pénales dont a pu faire l’objet la société ISP en sa qualité d’employeur devant la juridiction pénale, ayant abouti au jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 24 mars 2004 condamnant les intéressés à des amendes délictuelles ;

Considérant en quatrième lieu, que si la société ISP entend soutenir que la contribution spéciale instituée par les dispositions précitées du code du travail appartient à la matière pénale au sens des stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, cette sanction, prononcée au terme d’une procédure administrative permettant aux employeurs de faire valoir leurs observations avant son intervention, peut faire l’objet d’un recours de pleine juridiction devant la juridiction administrative, dans des conditions permettant au juge de moduler le montant de la contribution en appliquant, le cas échéant et compte tenu des circonstances de chaque espèce, l’un des trois taux prévus par la réglementation pour en déterminer le montant ; qu’ainsi le régime de la dite sanction ne contredit pas les dispositions de l’article 6-1 susmentionné aux termes duquel : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) équitablement (...) par un tribunal qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ;

Considérant en cinquième lieu, qu’aux termes de l’article R. 341-35 pris pour l’application et sur le fondement des dispositions de l’article L. 341-7 du code du travail alors applicable, le montant de la contribution spéciale due pour chaque étranger en infraction est égal à mille fois le taux horaire, à la date de la constatation de l’infraction, du minimum garanti prévu à l’article L. 141-8. Lorsque l’emploi de l’étranger n’a pas donné lieu à la constatation d’une infraction autre que l’infraction au premier alinéa de l’article L. 341-6, le directeur de l’Office des migrations internationales peut (...) réduire ce montant à cinq cents fois (...). Le montant de la contribution spéciale est porté à deux mille fois (...) lorsqu’une infraction (...) aura donné lieu à l’application de la contribution spéciale à l’encontre de l’employeur au cours de la période de cinq années précédant la constatation de l’infraction ; que lorsque le juge administratif est, comme en l’espèce, saisi de conclusions dirigées contre un état exécutoire établi sur le fondement des dispositions des articles L. 341-7 et R. 341-35 du code du travail, il lui appartient, après avoir contrôlé les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration, de décider, selon le résultat de ce contrôle, soit de maintenir le taux retenu, soit de lui substituer celui des deux autres taux qu’il estime légalement justifié, soit, s’il n’est pas établi que l’employeur se serait rendu coupable des faits visés au premier alinéa de l’article L. 341-6 du code du travail, de le décharger de la contribution spéciale ; qu’en revanche, les dispositions précitées ne l’habilitent pas davantage que l’administration elle-même à moduler les taux qu’elles ont fixés ; que le respect des stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’implique pas non plus que le juge module l’application du barème résultant des dispositions précitées ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que le montant de la contribution spéciale mise à la charge de la société ISP sur la base de 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti, ne serait pas proportionné à la gravité des infractions commises, ne saurait être accueilli ;

Considérant en sixième lieu, qu’il résulte de l’instruction, que l’infraction commise et caractérisée selon ce qui précède, par le procès-verbal dressé le 25 novembre 2001, a également été sanctionnée devant la juridiction pénale, celle-ci s’étant prononcée par le jugement susmentionné du 24 mars 2004, en retenant l’existence de deux infractions distinctes, à savoir le délit de dissimulation d’emploi venant s’ajouter à celui d’emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail faisant l’objet du présent litige, prévue au premier alinéa de l’article L. 341-6 du code du travail ; que dans ces conditions, et alors que les spectacles prévus ont été maintenus nonobstant les refus d’autorisation de travail prononcés les 31 octobre et 23 novembre 2001 à la fois par les directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle respectivement de Paris et du Val-de-Marne, la société ISP n’est fondée ni à soutenir que c’est à tort que le directeur de l’OMI a refusé de réduire, sur le fondement de l’article R. 341-35 précité du code du travail, le montant de la contribution spéciale qui lui a été appliquée, ni à demander à la Cour de décider cette réduction ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société INTERNATIONAL SPECTACLES PRODUCTIONS n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que sa requête doit être rejetée ;

Sur l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, supporte le versement à la société ISP de la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de la société ISP le paiement à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), d’une somme de 1 500 euros au titre de ces mêmes frais ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société à responsabilité limitée INTERNATIONAL SPECTACLES PRODUCTIONS est rejetée.

Article 2 : La société à responsabilité limitée INTERNATIONAL SPECTACLES PRODUCTIONS versera à l’Office français de l’immigration et de l’intégration une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en vertu des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions reconventionnelles de l’Office français de l’immigration et de l’intégration est rejeté.

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N° 09PA02502