Restauration - entraide familiale oui

CAA de VERSAILLES

N° 17VE02346

Inédit au recueil Lebon

4ème chambre

Mme BESSON-LEDEY, président

Mme Diane MARGERIT, rapporteur

Mme BRUNO-SALEL, rapporteur public

SCHEGIN, avocat(s)

lecture du mardi 18 juin 2019

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Hoki Sushi a demandé au Tribunal administratif de Versailles d’annuler la décision du 2 juin 2015 par laquelle l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 35 100 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 4 618 euros au titre de la contribution forfaitaire prévue à l’article L. 625-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Par un jugement n° 1504435 du 29 juin 2017, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 21 juillet 2017, la SARL Hoki Sushi, représentée par Me Calvo Pardo, avocat, demande à la Cour :

1° d’annuler le jugement du 29 juin 2017 ainsi que la décision du 2 juin 2015 et les titres de perception émis les 11 juin 2015 et 18 juin 2015 en vue du recouvrement des contributions litigieuses ;

2° de la décharger des contributions en cause ;

3° de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient que :

 la décision du 2 juin 2015 est insuffisamment motivée, en ce qui concerne notamment la façon dont les sommes réclamées ont été fixées ;

 il n’y a pas d’infraction à l’article L. 8251-1 du code du travail dans la mesure où les deux personnes présentes au restaurant le jour du contrôle n’étaient pas des salariés de l’entreprise, mais l’époux et l’oncle de la gérante, qui intervenaient au titre de l’aide familiale.

 une seule infraction ayant été constatée, l’OFII aurait dû fixer le montant de la contribution spéciale à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti en application du 1° du II de l’article R. 8253-1 du code du travail ;

 les titres de perception sont en conséquence dépourvus de base légale.

......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 le code du travail ;

 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de Mme Margerit,

 et les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 2 juin 2015, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a mis à la charge de la SARL Hoki Sushi la somme de 35 100 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 4 618 euros au titre de la contribution forfaitaire prévue à l’article L. 625-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La SARL Hoki Sushi a demandé au Tribunal administratif de Versailles d’annuler cette décision. Par un jugement du 29 juin 2017, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande. La SARL Hoki Sushi relève régulièrement appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé des contributions mises à la charge de la SARL Hoki Sushi, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens :

2. Aux termes de l’article L. 8251-1 du code du travail : “ Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France (...) “. En vertu de l’article L. 8253-1 de ce même code, dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d’infractions ou en cas de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l’article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) L’Office français de l’immigration et de l’intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. (...) “. Aux termes de l’article L. 8271-17 du même code, dans sa rédaction alors applicable : “ Outre les inspecteurs et contrôleurs du travail, les agents et officiers de police judiciaire, les agents de la direction générale des douanes sont compétents pour rechercher et constater, au moyen de procès-verbaux transmis directement au procureur de la République, les infractions aux dispositions de l’article L. 8251-1 relatif à l’emploi d’un étranger sans titre de travail et de l’article L. 8251-2 interdisant le recours aux services d’un employeur d’un étranger sans titre. / Afin de permettre la liquidation de la contribution spéciale mentionnée à l’article L. 8253-1 du présent code (...), le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration reçoit des agents mentionnés au premier alinéa du présent article une copie des procès-verbaux relatifs à ces infractions “. L’article L. 8113-7 de ce même code dispose : “ Les inspecteurs du travail, les contrôleurs du travail et les fonctionnaires de contrôle assimilés constatent les infractions par des procès-verbaux qui font foi jusqu’à preuve du contraire. (...). “.

3. Il résulte de ces dispositions combinées que les employeurs qui emploient, pour quelque durée que ce soit, des ressortissants étrangers dépourvus de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France sont redevables d’une contribution spéciale au bénéfice de l’OFII pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler. L’OFII est chargé de constater et de liquider cette contribution.

4. Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que l’employeur qui occupe un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier est redevable d’une contribution forfaitaire représentative des frais d’acheminement de l’étranger dans son pays d’origine.

5. Pour l’application de ces dispositions il appartient à l’autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d’établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu’il emploie. La qualification de contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont entendu donner à la convention qui les lie mais des seules conditions de fait dans lesquelles le travailleur exerce son activité. A cet égard, la qualité de salarié suppose nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l’emploie, le contrat de travail ayant pour objet et pour effet de placer le travailleur sous la direction, la surveillance et l’autorité de son cocontractant, lequel dispose de la faculté de donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution dudit contrat et de sanctionner les manquements de son subordonné.

6. Il ressort des pièces du dossier que, le 10 décembre 2014, les services de la direction départementale de la police aux frontières de l’Essonne ont procédé au contrôle du restaurant exploité sous l’enseigne “ Hokifa Sushi “ par la SARL Hoki Sushi, et situé rue Mercure à Montgeron (91). Ils ont constaté, outre la présence de clients, la présence de deux ressortissants chinois portant des chaussures de cuisine et occupés dans la cuisine de l’établissement à la confection de plats cuisinés. Ces personnes n’étaient pas déclarées aux organismes sociaux et étaient dépourvues de titre de séjour et d’autorisation de travail. La société Hoki Sushi soutient qu’il n’existait aucune relation de travail avec ces deux ressortissants chinois, dès lors que l’un était l’époux de la gérante, et l’autre à la fois l’oncle de la gérante et le frère de son associé, qui étaient en simple visite et ont à cette occasion apporté une simple aide familiale et ponctuelle à l’entreprise, sans être en lien de subordination. Ces deux personnes ont déclaré venir dans ce restaurant une à deux fois par semaine, l’oncle de la gérante ayant en outre dit apporter régulièrement une aide au restaurant. Alors que le seul fait qu’un procès-verbal dressé par le contrôleur du travail ou les services de police mentionnent qu’un étranger a été trouvé, lors d’un contrôle, “ en position de travail “ dans la cuisine du restaurant appartenant à un membre de sa famille, ne suffit pas à établir que l’intéressé effectuait ce travail en échange d’une rémunération, ni donc qu’il était engagé au service du gérant du restaurant, en l’absence d’autres éléments permettant de corroborer l’existence d’une relation de travail entre l’étranger concerné et le responsable du restaurant, aucun élément de nature matérielle ou financière ne permet de corroborer l’existence d’une relation de travail avec les deux ressortissants chinois en cause. Notamment, il ne résulte pas de l’instruction qu’ils auraient perçu une rémunération.

7. Il s’ensuit, ainsi que le soutient la SARL Hoki Sushi, que c’est à tort que, par les décisions contestées, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration lui a réclamé la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail, ainsi que, par voie de conséquence, la contribution forfaitaire prévue par l’article

L. 625-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la SARL Hoki Sushi est fondée à demander l’annulation du jugement du tribunal administratif de Versailles du 29 juin 2017 et de la décision du 2 juin 2015 par laquelle l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 35 100 euros ainsi que, par voie de conséquence, la décharge de la somme litigieuse de 35 100 euros.

Sur les conclusions dirigées contre les titres de perception :

9. Les conclusions par lesquelles la SARL Hoki Sushi demande à la Cour d’annuler les titres de perception émis les 11 et 18 juin 2015 présentent le caractère de conclusions nouvelles en cause d’appel et sont, par suite, irrecevables.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. D’une part, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une quelconque somme soit mise à la charge de la SARL Hoki Sushi, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration et non compris dans les dépens. D’autre part, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas partie à l’instance, au titre des frais exposés par la SARL Hoki Sushi et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1504435 du 29 juin 2017 du Tribunal administratif de Versailles et la décision du 2 juin 2015 par laquelle l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a mis à la charge de la SARL Hoki Sushi la somme de 35 100 euros sont annulés.

Article 2 : La SARL Hoki Sushi est déchargée du versement à l’OFII de la somme de

35 100 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Hoki Sushi est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par l’OFII au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.