élément intentionnel indifférent

Le : 30/05/2013

Cour administrative d’appel de Paris

N° 12PA00709

Inédit au recueil Lebon

3 ème chambre

Mme VETTRAINO, président

Mme Audrey MACAUD, rapporteur

Mme MERLOZ, rapporteur public

JACQUES, avocat(s)

lecture du jeudi 17 janvier 2013

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 9 février 2012, présentée pour la société Isa Paris, dont le siège est 105 route de Canta Galet à Nice (06200), par Me Jacques ; la société Isa Paris demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1011448/3-2 du 21 décembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) du 28 décembre 2009 éditant à son encontre un état exécutoire afférent à la contribution spéciale pour un montant de 148 950 euros ;

2°) d’annuler ladite décision ;

3°) à titre subsidiaire, d’annuler la décision du 28 décembre 2009 en tant qu’elle concerne les trente personnes au sujet desquelles elle a été relaxée de toute poursuite et de fixer le montant de la contribution à cinq cents fois le taux horaire du minimum garanti ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 3 janvier 2013 :

"-" le rapport de Mme Macaud, rapporteur,

"-" les conclusions de Mme Merloz, rapporteur public,

"-" et les observations de Me Jacques, pour la société Isa Paris ;

1. Considérant qu’à la suite d’un renseignement anonyme, un contrôle a été diligenté par les services de police, le 30 juin 2009, dans les locaux de l’agence d’intérim appartenant à la société Isa Paris ; que ce contrôle a permis de constater que quarante-cinq salariés employés par la société étaient des ressortissants étrangers dépourvus d’autorisations de travail ; qu’indépendamment des poursuites pénales qui ont été engagées à l’encontre de la société et qui ont donné lieu à un jugement de la 31ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris du 26 octobre 2011, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a, en application de l’article L. 8253-1 du code du travail, réclamé à la société Isa Paris, par un titre exécutoire du 28 décembre 2009, une somme de 148 950 euros correspondant au montant de la contribution spéciale due ; que, par un jugement du 21 décembre 2011 dont la société Isa Paris relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société tendant à être déchargée, totalement ou partiellement, de la somme réclamée par l’OFII ;

Sur les conclusions de la société Isa Paris tendant à être déchargée de la somme de 148 950 euros :

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 8251-1 du code du travail : “ Nul ne peut, directement ou par personne interposée, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. “ ; qu’aux termes de l’article L. 8253-1 du même code alors en vigueur : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale au bénéfice de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ou de l’établissement public appelé à lui succéder. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat et est au moins égal à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12 et, en cas de réitération, à 5 000 fois ce même taux. “ ; qu’en vertu de l’article R. 8253-8 du code du travail, dans sa version en vigueur à la date de l’infraction, le montant de la contribution spéciale est égal à mille fois le taux horaire, à la date de la constatation de l’infraction, du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12 ; qu’aux termes de l’article R. 8253-11 du code du travail, dans sa version applicable à la date du présent arrêt : “ Lorsque l’emploi de l’étranger n’a pas donné lieu à la constatation d’une infraction autre que l’infraction prévue au premier alinéa de l’article L. 8251-1, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration peut, sur proposition du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du département dans lequel l’infraction a été constatée, réduire le montant de la contribution spéciale à cinq cents fois le taux horaire du minimum garanti. “ ;

3. Considérant, en premier lieu, que l’article L. 8253-1 du code du travail se borne à fixer le minimum de la contribution spéciale exigible de l’employeur pour chaque travailleur étranger dépourvu de titre de travail ; que cet article, qui prévoit que le montant de la sanction financière globale est fonction du nombre de travailleurs embauchés ou employés en situation irrégulière, n’interdit pas, au-delà de ce minimum et sous le contrôle du juge administratif, la modulation de cette sanction en fonction de la gravité des comportements réprimés si les dispositions précitées du code du travail ; que lorsque le juge administratif est, comme en l’espèce, saisi de conclusions dirigées contre un état exécutoire établi sur le fondement des dispositions précitées du code du travail, il lui appartient, après avoir contrôlé les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration, de décider, selon le résultat de ce contrôle, soit de maintenir le taux retenu, soit de lui substituer celui des autres taux qu’il estime légalement justifié, soit, s’il n’est pas établi que l’employeur se serait rendu coupable des faits visés au premier alinéa de l’article L. 8251-1 du code du travail, de le décharger de la contribution spéciale ; que si les dispositions précitées applicables n’habilitent pas davantage le juge administratif que l’administration elle-même à moduler les taux qu’elles ont fixés, le respect des stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’implique pas que le juge module l’application du barème résultant de ces dispositions ; que, dans ces conditions, la société Isa Paris n’est pas fondée à soutenir que l’article L. 8253-1 du code du travail méconnaîtrait les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’en outre, et en tout état de cause, elle ne saurait davantage, ainsi que l’a jugé le Conseil d’Etat dans sa décision du 4 mai 2011, faire valoir que l’article L. 8253-1 du code du travail porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d’un jugement ayant acquis force de chose jugée s’imposent à l’administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité ; qu’il appartient, dans ce cas, à l’autorité administrative d’apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction ou d’une amende administrative ; qu’en l’espèce, si la société Isa Paris fait valoir qu’elle a été relaxée par un jugement définitif du Tribunal de grande instance de Paris du 26 octobre 2011 pour trente salariés et dispensée de peine pour les quinze autres, il résulte dudit jugement, qui a déclaré la société coupable de l’infraction reprochée pour quinze salariés, que la relaxe a été prononcée pour trente salariés au motif qu’il n’était pas établi que les représentants de la société avaient connaissance du caractère irrégulier de leur situation ; que, dans ces conditions, la société Isa Paris n’est pas fondée à soutenir que le jugement du tribunal de grande instance fait obstacle à ce que la contribution spéciale soit mise à sa charge ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’instruction, en particulier du

procès-verbal dressé le 30 juin 2009 qui fait foi jusqu’à la preuve du contraire, que les auditions de certains personnels de la société Isa Paris et les investigations menées à partir, notamment, des fichiers des personnels de la société, des contrats de travail, des bulletins de paie, du fichier national sur les étrangers, du fichier de déclaration préalable à l’embauche et du tableau des déclarations automatisées des données sociales ont permis d’établir que quarante-cinq salariés de la société étaient des étrangers dépourvus de document les autorisant à travailler en France ; qu’il résulte de l’instruction que les neuf salariés qui auraient remis, selon la société Isa Paris, une copie de carte d’identité française ou portugaise sont de nationalité malienne, mauritanienne ou capverdienne et qu’ils n’étaient pas détenteurs d’une autorisation de travail ; qu’en outre, si, en vertu des articles R. 5221-41 et R. 5221-43 du code du travail, l’employeur n’est pas tenu de saisir les services de la préfecture aux fins de vérification des autorisations de travail lorsque le salarié produit un justificatif d’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi délivré par Pôle emploi, ou anciennement par l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), il résulte de l’instruction, d’une part, que pour quatre des quatorze salariés qui auraient, selon la société, remis une carte délivrée par l’ANPE, la société Isa Paris a été reconnue coupable de l’infraction reprochée par le jugement du 26 octobre 2011 qui précise que les représentants de la société avaient connaissance de la situation irrégulière de ces salariés ; que les documents produits devant la Cour par la société Isa Paris, qui ont été édités, pour la plupart, au mois de juillet 2010, ne sont pas de nature à établir, en tout état de cause, que l’employeur s’était vu remettre par les dix autres salariés en cause, préalablement à leur embauche, le justificatif d’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi visé à l’article R. 5221-43 du code du travail, ces salariés étant, en outre, tous en situation irrégulière et dépourvus d’autorisation de travail ; que la société Isa Paris ne saurait en outre se prévaloir du fait que dix autres salariés auraient été employés avant l’entrée en vigueur du décret n° 2007-801 du 11 mai 2007, créant l’article R. 341-6 du code du travail, recodifié à l’article R. 5221-43, et qui impose à l’employeur de vérifier auprès des services de la préfecture l’authenticité de l’autorisation de travail délivrée par le salarié préalablement à son embauche, l’employeur n’étant pas dispensé, avant le 11 juillet 2007, date d’entrée en vigueur de l’article R. 341-6, de vérifier que le salarié étranger candidat à l’embauche était bien muni d’une telle autorisation de travail ; qu’il résulte de l’instruction que les dix salariés en cause, dont il n’est au demeurant pas démontré qu’ils auraient été employés par la société Isa Paris avant le 11 juillet 2007, étaient des ressortissants étrangers en situation irrégulière et dépourvus d’autorisation de travail ; que la société Isa Paris ne conteste pas la situation irrégulière des dix derniers salariés, dont il résulte du procès-verbal qu’ils étaient dépourvus d’autorisation de travail ; qu’enfin, si la société requérante soutient qu’elle est de bonne foi, l’infraction aux dispositions de l’article L. 8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l’emploi d’un travailleur étranger démuni de titre l’autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français, l’élément intentionnel étant sans influence sur le bien-fondé de la contribution spéciale mise à la charge de l’employeur qui a contrevenu à ces dispositions ; que, dans ces conditions, la société Isa Paris n’est pas fondée à soutenir que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis et qu’ils ne sauraient justifier la contribution spéciale mise à sa charge ;

6. Considérant, en dernier lieu, que si la société Isa Paris demande, à titre subsidiaire, que le montant de la contribution spéciale soit réduit à cinq cents fois le taux horaire du minimum garanti, faculté prévue à l’article R. 8253-11 du code du travail précité et qui peut être mise en oeuvre par l’Office lorsque l’emploi de l’étranger n’a pas donné lieu à la constatation d’une infraction autre que l’infraction prévue au premier alinéa de l’article L. 8251-1 précité, il résulte de l’instruction que la société Isa Paris a employé quarante-cinq salariés étrangers dépourvus d’autorisation de travail, situation qu’elle n’ignorait pas pour au moins quinze d’entre eux ; que, dans ces conditions, la demande de la société Isa Paris, tendant à ce que le taux de mille fois le taux horaire minimum garanti, qui n’est pas, en l’espèce, exagéré, soit ramené à cinq cents fois, doit, en tout état de cause, être rejetée ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société Isa Paris n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à être déchargée, totalement ou partiellement, de la somme de 148 950 euros qui lui est réclamée par l’OFII ;

Sur les conclusions de l’Office français de l’immigration et de l’intégration :

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il appartient à l’OFII de procéder à l’exécution matérielle de l’état exécutoire qu’il a émis le 28 décembre 2009 à l’encontre de la société Isa Paris pour le recouvrement d’office de la somme de 148 950 euros ; que, par suite, les conclusions de l’Office tendant à ce que la Cour condamne, en tant que de besoin, la société Isa Paris au versement de cette somme doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de de la société Isa Paris une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’OFII et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Isa Paris est rejetée.

Article 2 : La société Isa Paris versera à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

’’

’’

’’

’’

5

N° 10PA03855

4

N° 12PA00709