Salarié embauché à l’insu du chef d’entreprise - contribution spéciale oui

CAA de PARIS

N° 18PA03728

Inédit au recueil Lebon

8ème chambre

M. LAPOUZADE, président

Mme Virginie LARSONNIER, rapporteur

Mme BERNARD , rapporteur public

LOUE, avocat(s)

lecture du jeudi 4 avril 2019

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Ezo Bat a demandé au tribunal administratif de Melun d’annuler la décision du 20 avril 2016 du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration mettant à sa charge la somme de 17 600 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, ensemble la décision du 20 juin 2016 rejetant son recours gracieux, et de prononcer la décharge de la contribution en litige.

Par un jugement n° 1607024 du 28 septembre 2018, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2018, la SARL Ezo Bat, représentée par Me Loue, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1607024 du 28 septembre 2018 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d’annuler les décisions du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration des 20 avril 2016 et 20 juin 2016 ;

3°) de prononcer la décharge de la contribution spéciale mise à sa charge ;

4°) de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 le directeur général de l’OFII a méconnu les principes du contradictoire et des droits de la défense en ne lui communiquant pas, malgré sa demande du 1er juillet 2016, le procès-verbal du 24 août 2015 sur lequel il s’est fondé pour mettre à sa charge la contribution en litige ainsi que les autres pièces justificatives, en particulier la décision du juge judiciaire prise à l’issue de l’enquête qui aurait permis d’établir qu’elle n’était pas l’employeur du salarié en cause ;

 elle n’a pas été mise à même de demander la communication de son dossier ;

 elle n’a pas été informée avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction des griefs formulés à son encontre ;

 c’est à tort que le tribunal a jugé qu’il ne pouvait utilement soutenir que la décision du 20 juin 2016 était insuffisamment motivée ; un tel raisonnement porte atteinte aux droits de la défense ;

 la décision du 20 juin 2016 est insuffisamment motivée en méconnaissance de l’article L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration ;

 les informations données par l’OFII quant à l’auteur du procès-verbal du 24 août 2015 sont contradictoires ;

 elle n’est pas l’employeur de la personne qui a été contrôlée le 24 août 2015 et qui ne disposait pas d’une autorisation de travail ; aucune poursuite judiciaire n’a été engagée à son encontre, l’enquête ayant permis d’établir que le salarié en cause était employé par une autre société également présente sur le chantier ;

 le tribunal a renversé la charge de la preuve en exigeant qu’elle établisse ne pas avoir engagé le salarié en cause alors que seul l’OFII avait accès à tous les éléments de la procédure pénale ;

 le tribunal a méconnu le principe d’égalité des armes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2019, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la SARL Ezo Bat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 le code du travail,

 le code des relations entre le public et l’administration,

 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de Mme Larsonnier,

 les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

 et les observations de Me Loue, avocat de la société Ezo Bat.

Considérant ce qui suit :

1. Lors d’un contrôle effectué le 24 août 2015 sur un chantier de construction d’un immeuble d’habitation à Brie-Comte-B... (A...-et-Marne), les services de l’inspection du travail et de police ont constaté la présence en situation de travail pour le compte de la SARL Ezo Bat de M. A. Yakut, de nationalité turque, démuni d’autorisation de travail. Par une décision du 20 avril 2016, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a mis à la charge de la SARL Ezo Bat la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-3 du code du travail, d’un montant de 17 600 euros. Le recours gracieux formé par la SARL Ezo Bat à l’encontre de cette décision a été rejeté par une décision du 20 juin 2016. La SARL Ezo Bat relève appel du jugement du 28 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l’annulation des décisions de l’OFII des 20 avril 2016 et 20 juin 2016 et à la décharge de la contribution spéciale en litige.

2. En premier lieu, s’agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense, applicable même sans texte, suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu’elle en fait la demande. L’article L. 122-2 du code des relations entre le public et l’administration, entré en vigueur le 1er janvier 2016, précise d’ailleurs désormais que les sanctions “ n’interviennent qu’après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant “.

3. Si les dispositions législatives et réglementaires relatives à la contribution spéciale mentionnée à l’article L. 8253-1 du code du travail ne prévoient pas expressément que le procès-verbal transmis au directeur général de l’OFII en application de l’article L. 8271-17 du code du travail, constatant l’infraction aux dispositions de l’article L. 8251-1 relatif à l’emploi d’un étranger non autorisé à exercer une activité salariée en France, soit communiqué au contrevenant, le silence de ces dispositions sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, en particulier lorsque la personne visée en fait la demande, afin d’assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de cette contribution, qui revêt le caractère d’une sanction administrative. Il appartient seulement à l’administration, le cas échéant, d’occulter ou de disjoindre, préalablement à la communication du procès-verbal, celles de ses mentions qui seraient étrangères à la constatation de l’infraction sanctionnée par la liquidation de la contribution spéciale et susceptible de donner lieu à des poursuites pénales.

4. Le directeur général de l’OFII a informé la SARL Ezo Bat, par un courrier en date du 22 février 2016 reçu le 23 février 2016, qu’un procès-verbal du 24 août 2015 établissait qu’elle avait employé un salarié, dont le nom figurait en annexe de ce courrier, démuni de titre l’autorisant à exercer une activité salariée, qu’elle était donc susceptible, indépendamment des poursuites pénales susceptibles d’être engagées, de se voir appliquer la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail et qu’elle disposait d’un délai de quinze jours à compter de la réception de cette lettre pour faire valoir ses observations. La SARL Ezo Bat a ainsi été informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de solliciter en temps utile la communication du procès-verbal du 24 août 2015, l’OFII n’étant pas tenue par les dispositions de l’article L. 8253-1 du code du travail ou par toute autre disposition de l’inviter à demander la communication de son dossier. Il est constant que la SARL Ezo Bat, qui a pourtant présenté des observations par un courrier en date du 1er mars 2016, n’a demandé à l’OFII la communication de ce procès-verbal et de la décision judiciaire prise à l’issue de l’enquête que le 1er juillet 2016, soit postérieurement à la décision du 20 juin 2016 rejetant son recours gracieux contre la décision du 20 avril 2016 mettant à sa charge la contribution en cause. La demande de communication de la SARL Ezo Bat étant intervenue après que la sanction à son encontre soit prononcée par l’OFII et alors qu’elle avait été mise à même de faire sa demande en temps utile, l’OFII n’était pas tenue de lui communiquer les documents sollicités. Il s’ensuit que la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la contribution spéciale en litige aurait été établie à l’issue d’une procédure méconnaissant le principe général des droits de la défense et le principe du contradictoire. Enfin, la circonstance que l’OFII se réfère, dans sa décision du 20 juin 2016 rejetant le recours gracieux de la SARL Ezo Bat, à la fois au procès-verbal établi le 24 août 2015 par les services de police et, de manière générale, aux procès-verbaux des contrôleurs du travail est en tout état de cause sans incidence sur cette appréciation.

5. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration : “ Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction ; (...) “. Aux termes de l’article L. 211-5 de ce code : “ La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision “. Les décisions qui se bornent à rejeter un recours administratif dirigé contre une décision qui, en vertu des dispositions précitées, doit être motivée, n’ont pas elles-mêmes à être motivées si la décision initiale l’était suffisamment.

6. La décision du 20 avril 2016 du directeur général de l’OFII vise les articles L. 8251-1, L. 8253-1, R. 8253-4 et R. 8253-2 du code du travail et mentionne le procès-verbal établi à la suite du contrôle du 24 août 2015 au cours duquel l’infraction aux dispositions de l’article L. 8251-1 du code du travail a été constatée. Elle précise le montant de la somme due et mentionne en annexe le nom du salarié concerné. Ainsi, la décision du 20 avril 2016 comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il s’ensuit qu’elle est suffisamment motivée. Dans ces conditions, comme il a été dit au point précédent, la décision du 20 juin 2016 du directeur général de l’OFII rejetant le recours gracieux de la SARL Ezo Bat dirigé contre la décision du 20 avril 2016 n’a pas à comporter de motivation particulière et ne peut dès lors être regardée comme étant intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration. En tout état de cause, si dans son recours gracieux du 13 mai 2016, la SARL Ezo Bat faisait notamment valoir qu’elle n’était pas l’employeur du salarié en cause, il ressort des termes de la décision du 20 juin 2016 que le directeur général de l’OFII a répondu de manière suffisamment précise à ce nouvel élément en rappelant que les procès-verbaux des contrôleurs du travail font foi jusqu’à preuve du contraire incombant à l’employeur en vertu de l’article L. 8113-7 du code du travail et en mentionnant qu’en l’espèce, les “ faits matériels étaient incontestables “, le ressortissant étranger en cause ayant été surpris, lors du contrôle des services de l’inspection du travail assistés des services de police, en situation de travail pour le compte de la SARL Ezo Bat. Par suite, c’est à bon droit que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de l’insuffisante motivation de la décision du 20 juin 2016 rejetant le recours gracieux de la SARL Ezo Bat.

7. En troisième et dernier lieu, aux termes de l’article L. 8251-1 du code du travail : “ Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. Il est également interdit à toute personne d’engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa “. L’article L. 8253-1 de ce code dispose que : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d’infractions ou en cas de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l’article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. L’Office français de l’immigration et de l’intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. “.

8. Il appartient au juge administratif, saisi d’un recours contre une décision mettant à la charge d’un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions précitées de l’article L. 8253-1 du code du travail pour avoir méconnu les dispositions de l’article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l’employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient également de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d’en diminuer le montant jusqu’au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d’en décharger l’employeur.

9. Il résulte de l’instruction, et notamment des procès-verbaux établis par les services de police le 24 août 2015 qui font foi jusqu’à preuve du contraire et du compte rendu d’enquête transmis au procureur du tribunal de grande instance de Melun versés au dossier, que M. A. Yakut a été contrôlé en action de travail sur le chantier de construction d’un immeuble d’habitation à Brie-Comte B...(A...-et-Marne). Il a déclaré lors de son audition par les services de police travailler à la demande d’un autre salarié, M. E. Yakut, pour le compte de la SARL Ezo Bat et a reconnu avoir présenté lors du contrôle un titre de séjour appartenant à un tiers et être dépourvu d’autorisation de travail. Si la société requérante soutient qu’elle n’était pas l’employeur de M. A. Yakut, elle n’apporte aucun élément de nature à remettre en cause les constatations des procès-verbaux établis par les services de police. La circonstance à la supposer établie que le gérant de la SARL Ezo Bat n’était pas informé de cette embauche est sans incidence dès lors que le salarié en cause travaillait pour le compte de la société. La décision de rappel à la loi prise par le substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Melun ne remet pas en cause les constatations effectuées par les services de police le 24 août 2015. Dans ces conditions, c’est à bon droit que les premiers juges, qui n’ont pas inversé la charge de la preuve, ont estimé que la matérialité de l’infraction était établie.

10. Enfin, la circonstance que les faits en cause n’aient pas donné lieu à des poursuites judiciaires ne fait pas obstacle à la mise à la charge de la SARL Ezo Bat de la contribution en litige.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Ezo Bat n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la SARL Ezo Bat au titre des frais liés à l’instance. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la SARL Ezo Bat une somme de 1 500 euros à verser à l’Office français de l’immigration et de l’intégration sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Ezo Bat est rejetée.

Article 2 : La SARL Ezo Bat versera à l’Office français de l’immigration et de l’intégration la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Ezo Bat et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Délibéré après l’audience du 21 mars 2019, à laquelle siégeaient :

 M. Lapouzade, président,

 Mme Larsonnier, premier conseiller,

 Mme Guilloteau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 avril 2019.

Le rapporteur,

V. LARSONNIERLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et au ministre du travail en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision