Chantier du bâtiment - recouvrement utilisateur employeur de fait

Cour administrative d’appel de Douai

N° 10DA01590

Inédit au recueil Lebon

3e chambre - formation à 3

M. Nowak, président

M. Bertrand Boutou, rapporteur

Mme Baes Honoré, rapporteur public

ROUSSEL, avocat(s)

lecture du jeudi 22 mars 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d’appel de Douai le 15 décembre 2010, présentée pour la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION, dite société SAC, dont le siège social est situé rue du parc à Anizy-le-château (02320), par Me Roussel, avocat ; la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0802262 du 26 octobre 2010 par lequel le tribunal administratif d’Amiens a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 5 mars 2008 par laquelle le directeur général de l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) lui a demandé de verser la contribution spéciale prévue par l’article L. 341-7 du code du travail, ensemble le rejet du recours gracieux qu’elle a formé le 24 avril 2008 et l’état exécutoire émis le même jour pour un montant de 3 110 euros ;

2°) d’annuler ces décisions ;

3°) de mettre à la charge de l’ANAEM la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

"-" le rapport de M. Bertrand Boutou, premier conseiller,

"-" les conclusions de Mme Corinne Baes Honoré, rapporteur public ;

Considérant qu’à la suite d’un contrôle effectué par les services de la direction du travail de l’Aisne le 18 octobre 2005 sur un chantier de construction de logements situé à Belleu (Aisne), l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations, devenue office français de l’immigration et de l’intégration, a mis à la charge de la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION, par décision du 5 mars 2008, la contribution spéciale prévue par l’article L. 341-7 du code du travail alors en vigueur, pour un montant de 3 110 euros, à raison de ce que cette société avait employé sur ce chantier un ressortissant turc dépourvu de toute autorisation de travail, M. Mustapha A ; que la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION relève appel du jugement du tribunal administratif d’Amiens du 26 octobre 2010 qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision du 5 mars 2008, du titre de recettes y afférent et de la décision implicite par laquelle l’agence a rejeté son recours gracieux dirigé contre cette décision ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation des décisions attaquées :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 341-6 du code du travail alors en vigueur : “ Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. Il est également interdit à toute personne d’engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu à l’alinéa précédent. Dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, l’employeur est tenu de s’assurer auprès des administrations territorialement compétentes de l’existence du titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi tenue par l’Agence nationale pour l’emploi “ ; qu’aux termes de l’article L. 341-7 du même code alors en vigueur : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L. 341-6, premier alinéa, sera tenu d’acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (...) “ ;

Considérant, en premier lieu, que si l’état exécutoire émis pour le recouvrement de la contribution spéciale en litige mentionne que le procès-verbal sur le fondement duquel la décision a été prise a été dressé le 18 octobre 2005 alors qu’il a été signé le 19 décembre 2005, cette circonstance est sans influence sur la régularité de cet état exécutoire dès lors qu’il résulte de l’instruction que le contrôle du chantier a été effectué le 18 octobre 2005 par les agents compétents de la direction du travail de l’Aisne ;

Considérant, en deuxième lieu, que ni l’article L. 341-6, ni l’article L. 362-4 du code du travail alors en vigueur ne prescrivent de règles de forme quant à l’établissement des procès-verbaux dressés par les services de la direction du travail ; que le moyen tiré, pour ce motif, de l’irrégularité du procès-verbal du 18 octobre 2005 est, par suite, inopérant ; qu’en tout état de cause, l’irrégularité en la forme dudit procès-verbal ne prive pas les constatations qu’il opère de leur caractère probant ;

Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’instruction, et notamment du procès-verbal dressé le 18 octobre 2005 et des déclarations faites auprès des services de contrôle par M. A, par les autres ouvriers interrogés, lors de cette procédure, employés par la société Master construction, ainsi que par le gérant de fait et le gérant de droit de cette entreprise, que M. A et ses collègues de la société Master construction travaillaient sur le chantier de construction de logements de Belleu sous la seule direction du personnel d’encadrement de la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION ; qu’ils ne disposaient d’aucun matériel propre mis à disposition par la société Master construction ; que le contrat de “ sous-traitance “ conclu entre la société Master construction et la société requérante était occulte et se limitait à la mise à disposition de cette dernière de la main d’oeuvre recrutée par la première ; qu’ainsi, M. A devait être regardé comme se trouvant, en réalité, dans un lien de subordination vis-à-vis de la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION, à laquelle pouvait par suite être imputés les faits d’emploi d’un travailleur étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France, dès lors qu’il lui incombait, en vertu des dispositions précitées de l’article L. 341-6 du code du travail, de s’assurer auprès des administrations concernées de la régularité de la situation de cet employé ; que, par voie de conséquence, l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations pouvait valablement mettre à la charge de la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION la contribution spéciale prévue à l’article L. 341-7 précité du code du travail alors en vigueur ;

Considérant, en quatrième lieu, que si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d’un jugement ayant acquis force de chose jugée s’imposent à l’administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité ; qu’il appartient, dans ce cas, à l’autorité administrative d’apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction ou d’une amende administrative ; qu’en l’espèce, il est constant que M. A se trouvait, le 18 octobre 2005, en situation de travail, sur le chantier de construction situé à Belleu, sous la direction exclusive de la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION ; que si la société requérante oppose l’autorité de la chose jugée par la cour d’appel d’Amiens le 10 mars 2010 en ce qui concerne divers délits pour lesquels la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION et son gérant salarié, M. B étaient poursuivis et ont été relaxés, il résulte de la lecture de cet arrêt qu’il avait pour unique objet de statuer en appel sur les condamnations prononcées à l’encontre de ces personnes en première instance par le tribunal correctionnel de Laon, le 16 septembre 2009, à raison de l’emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié concernant la seule personne de M. C ; que si la requérante oppose l’autorité de la chose jugée en première instance par ce tribunal correctionnel, il résulte des termes du jugement du 16 septembre 2009 que la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION a été relaxée du chef d’emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié concernant M. A, au motif que les faits n’étaient pas établis ; que, par suite, l’exception de chose jugée opposée par la requérante ne peut qu’être écartée ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 26 octobre 2010, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions de l’office français de l’immigration et de l’intégration tendant à la condamnation de la société requérante à lui verser une somme de 3 110 euros :

Considérant qu’il n’appartient pas au juge administratif d’ordonner les mesures que l’administration a le pouvoir de mettre en oeuvre elle-même ; que, par suite, les conclusions de l’office français de l’immigration et de l’intégration tendant à ce que la cour condamne la société requérante à verser la somme de 3 110 euros pour paiement de la contribution spéciale en litige, alors que cet office dispose, en vertu des dispositions de l’article L. 8253-1 du code du travail de la faculté d’émettre un titre exécutoire pour recouvrer cette somme sont irrecevables ; que, d’ailleurs, l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations a émis le titre exécutoire correspondant, qui fait l’objet de la présente requête ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’office français de l’immigration et de l’intégration, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION le versement à l’office français de l’immigration et de l’intégration d’une somme de 1 500 euros au titre des frais de même nature exposés par lui ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l’office français de l’immigration et de l’intégration tendant à la condamnation de la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION à lui verser une somme de 3 110 euros sont rejetées.

Article 3 : La SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION versera à l’office français de l’immigration et de l’intégration une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE ANIZIENNE DE CONSTRUCTION et à l’office français de l’immigration et de l’intégration.

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N°10DA01590

Abstrats : 335-06-02-02 Étrangers. Emploi des étrangers. Mesures individuelles. Contribution spéciale due à raison de l’emploi irrégulier d’un travailleur étranger.