Contribution non due - faux titre d’identité français

CAA de PARIS

N° 16PA03074

Inédit au recueil Lebon

8ème chambre

M. LAPOUZADE, président

Mme Marianne JULLIARD, rapporteur

M. SORIN, rapporteur public

CABINET SCHEGIN, avocat(s)

lecture du jeudi 21 juin 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Immo France Prévention 77 a demandé au Tribunal administratif de Melun d’annuler la décision du 12 janvier 2015 par laquelle l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 17 450 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail pour l’emploi irrégulier d’un travailleur étranger démuni d’autorisation de travail et la somme de 2 124 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement prévue à l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ainsi que la décision implicite de l’Office portant rejet implicite de son recours gracieux.

Par un jugement n° 1505380 du 21 septembre 2016, le Tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 octobre 2016, l’OFII, représenté par MeC..., demande la Cour :

1°) d’annuler le jugement du 21 septembre 2016 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande de la société Immo France Prévention 77 présentée devant le Tribunal administratif de Melun ;

3°) de condamner la société Immo France Prévention 77 à lui verser la somme de 2 800 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 la signataire de la décision du 12 janvier 2015 de l’OFII disposait d’une délégation pour ce faire ;

 cette décision est suffisamment motivée ;

 contrairement à ce que soutient la société Immo France Prévention 77, les modalités de calcul de la contribution spéciale lui ont été indiquées par mention des textes de lois applicables et par la reproduction de l’article R. 8253-2 du code du travail au verso de la décision ;

 la société Immo France Prévention 77 n’a apporté aucune preuve d’avoir acquitté spontanément les salaires du ressortissant étranger dans les conditions prévues par l’article R. 8252-2 du code du travail pour bénéficier d’un taux minoré de la contribution spéciale ;

 si la société Immo France Prévention 77 soutient que la matérialité des faits n’est pas établie, elle a recruté un employé sur simple photocopie d’une carte d’identité en renonçant à la production des originaux ;

 le contrat de travail a été produit postérieurement à son recours gracieux du 9 mars 2015 devant le tribunal administratif vierge de toute signature, date ou tampon ;

 les signatures du salarié figurant sur le procès-verbal d’audition et sur le contrat d’embauche sont très différentes et l’étranger n’a à aucun moment du contrôle tenté d’utiliser sa fausse carte d’identité, ni indiqué qu’il l’aurait utilisée pour être embauché ;

 en tout état de cause, quand bien même le ressortissant étranger aurait présenté une fausse carte d’identité française, il a été employé par la société requérante et le procès-verbal qui établit à lui seul la matérialité de l’infraction, est suffisant pour mettre oeuvre les contributions spéciale et forfaitaire sans qu’il y ait lieu pour l’OFII d’apporter la preuve d’un quelconque lien de subordination entre le ressortissant étranger et l’entreprise ;

 la bonne foi de l’employeur et l’absence d’élément intentionnel, qui ne peuvent être invoquées que devant la juridiction répressive, sont sans influence sur le bien fondé de la contribution spéciale ;

 eu égard à l’indépendance des sanctions pénale et administrative, la qualification juridique des faits retenue par le ministère public ne peut être utilement invoquée devant le juge administratif ;

 l’application de la contribution forfaitaire n’est pas subordonnée à la justification matérielle du réacheminement de l’étranger.

La requête a été communiquée à la société Immo France Prévention 77 qui n’a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 le code du travail,

 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile,

 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de MmeD...,

 et les conclusions de M. Sorin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A l’occasion d’un contrôle routier intervenu le 31 mai 2013, les services de gendarmerie du groupement de Seine et Marne ont constaté qu’un ressortissant étranger démuni d’un titre de séjour l’autorisant à travailler se trouvait à bord d’un véhicule appartenant à la société Immo France Prévention 77 et déclarait se rendre sur un chantier pour le compte de cette société. Par une décision du 12 janvier 2015, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a mis à la charge de la société Immo France Prévention 77 la somme de 17 450 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail pour l’emploi irrégulier d’un travailleur étranger démuni d’autorisation de travail et la somme de 2 124 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement prévue à l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. L’OFII relève appel du jugement du 21 septembre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Melun a annulé sa décision et déchargé la société Immo France Prévention 77 des contributions mises à sa charge.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. L’article L. 5221-8 du code du travail dispose que : “ L’employeur s’assure auprès des administrations territorialement compétentes de l’existence du titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi tenue par l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1. “ et aux termes de l’article R. 5221-41 du même code : “ Pour s’assurer de l’existence de l’autorisation de travail d’un étranger qu’il se propose d’embaucher, en application de l’article L. 5221-8, l’employeur adresse au préfet du département du lieu d’embauche ou, à Paris, au préfet de police une lettre datée, signée et recommandée avec avis de réception ou un courrier électronique, comportant la transmission d’une copie du document produit par l’étranger. A la demande du préfet, il peut être exigé la production par l’étranger du document original. “.

3. Pour annuler la décision de l’OFII mettant à la charge de la société Immo France Prévention 77 les sommes litigieuses, le tribunal administratif a estimé qu’il ne pouvait être reproché à cette dernière d’avoir employé un salarié étranger démuni de tout titre de séjour et de toute autorisation de travailler alors que celui-ci avait produit lors de son embauche une carte nationale d’identité française dont l’OFII n’établit pas qu’elle aurait été fausse ou qu’elle aurait permis à l’employeur de présumer qu’elle était usurpée, notamment en raison de ce qu’il existerait une dissemblance entre l’apparence physique du ressortissant étranger et celle résultant de la photographie figurant sur la carte nationale d’identité. En effet, si pour la première fois en appel, l’OFII soutient que la société Immo France Prévention 77 a recruté un employé sur simple photocopie d’une carte d’identité en renonçant à la production des originaux, elle ne l’établit pas, alors que le procès-verbal d’audition de son gérant en date du 13 juin 2013 mentionne que le salarié avait présenté lors de son embauche “ sa carte d’identité “. Si l’OFII fait également valoir devant la Cour que le contrat de travail, établi avec le ressortissant étranger sous une identité française usurpée, est vierge de toute signature, date ou tampon, ce moyen manque en fait puisque ce contrat, daté du 1er mars 2013, est revêtu du tampon de l’entreprise ainsi que de la signature de son gérant et du salarié. Enfin, s’il appartient aux employeurs de ressortissants étrangers, en vertu des dispositions précitées du code du travail, de s’assurer, en saisissant le cas échéant les autorités préfectorales, de l’authenticité des documents attestant la régularité du séjour et l’existence d’une autorisation de travail des ressortissants étrangers, il en va différemment du recrutement de travailleurs se présentant comme des ressortissants français dont les documents d’identité qu’ils produisent ne présentent pas le caractère de documents manifestement falsifiés ou usurpés. Par suite, en l’absence d’éléments circonstanciés permettant d’établir que la société Immo France Prévention 77 était en mesure de déceler l’existence d’une fraude lors de l’embauche à laquelle elle a procédé, l’OFII n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a annulé sa décision du 12 janvier 2015.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

4. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Immo France Prévention 77, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à l’OFII la somme qu’il demande au titre des frais liés à l’instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l’OFII est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l’Office français de l’immigration et de l’intégration et à M. E...A...mandataire liquidateur de la société Immo France Prévention 77.

Délibéré après l’audience du 7 juin 2018, à laquelle siégeaient :

 M. Lapouzade, président de chambre,

 MmeD..., première conseillère,

 MmeB..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 21 juin 2018.

La rapporteure,

M. D...Le président,

J. LAPOUZADE La greffière,

Y. HERBER La République mande et ordonne à la ministre du travail et au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.