Faux stagiaires indiens - restaurant

Cour Administrative d’Appel de Marseille

N° 10MA02066

Inédit au recueil Lebon

7ème chambre - formation à 3

M. MOUSSARON, président

Melle Muriel JOSSET, rapporteur

M. DELIANCOURT, rapporteur public

SOUSSI, avocat(s)

lecture du mardi 13 mars 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille le 31 mai 2010, sous le n° 10MA02066, présentée pour la SOCIETE JOGECIL, dont le siège est 79 Porte de France à Menton (06500), par Me Soussi, avocat ;

La SOCIETE JOGECIL demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0804595 - 0806643 du 25 février 2010 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 26 février 2008 par laquelle le directeur général de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations a délivré à son encontre un état exécutoire d’un montant de 6 120 euros au titre de la contribution spéciale instituée par les articles R. 341.34 et R. 341.35 du code du travail, ensemble la décision du 23 juin 2008 par laquelle le directeur général de l’ANAEM a rejeté le recours gracieux contre la décision du 26 février 2008 et du 30 juin 2008 par laquelle cette même agence a délivré un état exécutoire d’un montant de 612 euros relatif à la majoration de 10 % due au titre du non paiement de la contribution en cause ;

2°) d’annuler les décisions en cause du 26 février 2008 et 23 juin 2008 et de condamner l’ANAEM à lui verser une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu le jugement attaqué ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 24 janvier 2012 :

"-" le rapport de Mlle Josset, premier conseiller ;

"-" les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;

"-" les observations de Me Rebeyrol du cabinet Soussi pour la SARL JOGECIL ;

Considérant que le 24 juin 2005, les inspecteurs du travail du département des Alpes Maritimes ont diligenté un contrôle au sein du restaurant “ Le Paris Rome “ à Menton exploité par la SOCIETE JOGECIL ; qu’ils ont constaté que deux ressortissants indiens, MM. et , dépourvus d’autorisation de travail, étaient employés au sein de l’établissement ; que le directeur de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations a, sur le fondement des dispositions du code du travail, émis un état exécutoire à l’encontre de SOCIETE JOGECIL, notifié le 26 février 2008, en vue du versement par celle-ci d’une contribution spéciale de 6 120 euros ; que le 23 juin 2008, le directeur général de l’ANAEM a rejeté le recours gracieux formé par la requérante contre la décision du 26 février 2008 ; que le 30 juin 2008, l’ANAEM a délivré à l’encontre de la SARL JOGECIL un état exécutoire d’un montant de 612 euros au titre d’une majoration de 10 % de la contribution spéciale mise à la charge de la requérante en application des dispositions de l’article R. 341-35-4 du code du travail ; que la SOCIETE JOGECIL fait appel du jugement en date du 25 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté son recours contre ces trois décisions ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 341-6 du code du travail dans sa version applicable à l’époque des faits : “ Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France “ ; qu’aux termes de l’article L. 341-7 du même code : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L. 341-6, premier alinéa, sera tenu d’acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (...) “ ; qu’aux termes de l’article R. 341-35-4 du même code “ Une majoration de 10 % est ajoutée au montant de la contribution spéciale due par l’employeur, lorsque celui-ci n’aura pas acquitté cette contribution dans les deux mois suivant la date de notification du titre de recouvrement “ ; qu’aux termes de l’article L. 611-10 du code du travail en vigueur à la date de la décision attaquée : “ (...) les contrôleurs du travail (...) constatent les infractions par des procès verbaux qui font foi jusqu’à preuve du contraire “ ;

Considérant que, si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d’un jugement ayant acquis force de chose jugée s’imposent à l’administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité ; qu’il appartient, dans ce cas, à l’autorité administrative d’apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction administrative ; que, par suite, si, par arrêt du 14 avril 2009 la cour d’appel d’Aix-en-Provence, confirmant le jugement du 25 mai 2007 du Tribunal correctionnel de Grasse a relaxé le gérant de la société Paris-Rome des poursuites pénales engagées pour les mêmes faits d’emploi de deux travailleurs en situation irrégulière, après avoir estimé que la preuve du non-respect de la convention de stage, dont étaient bénéficiaires les intéressés, n’était pas rapportée, pas plus que l’intention frauduleuse n’était établie, le moyen tiré de l’autorité de la chose jugée doit être écarté ; que, dès lors, la décision du 23 juin 2008 par laquelle l’ANAEM a rejeté le recours gracieux invoquant contre l’état exécutoire du 26 février 2008 la décision du juge pénal n’est pas entachée d’erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du procès-verbal dressé le 24 juin 2005 par les services de l’inspection du travail, lequel fait foi jusqu’à preuve du contraire, que deux ressortissants indiens, titulaires de leurs seuls passeports, étaient occupés à diverses tâches en salle et en cuisine dans les locaux de l’établissement “le Paris Rome” ;

Considérant que, si M. était présent dans l’établissement exploité par la SOCIETE JOGECIL en vertu d’une convention de stage d’une durée de six mois, renouvelable une fois, conclue le 6 mars 2005 avec l’école “ Jenneys french departement “ et approuvée par une décision du 15 mars 2005 de la direction départementale du travail et de l’emploi des Alpes-Maritimes, il ne ressort pas des pièces du dossier, contrairement aux allégations de la requérante que la convention de stage de M. avait fait l’objet d’une acceptation de la part de la direction départementale du travail et de l’emploi des Alpes-Maritimes ; que la circonstance que la convention concernant M. avait été approuvée par la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, ne faisait pas obstacle au contrôle, et à la requalification éventuelle, de l’activité réellement exercée par l’intéressé ;

Considérant qu’il ressort des énonciations du procès-verbal déjà mentionné et notamment des propres déclarations du gérant, lesquelles corroborent celles des salariés, que ceux-ci assuraient les mêmes tâches, selon les mêmes horaires, que les salariés de la société, soit, neuf heures par jour de 9 heures à 14 heures et de 18 à 22 heures, avec un jour et demi de repos hebdomadaires, soit un volume horaire hebdomadaire largement supérieur à celui de trente-cinq heures prévu par l’article 4 de la convention de stage ; que si la convention ne prévoit aucune gratification, les deux personnes concernées percevaient une somme mensuelle d’un montant de 300 euros, et bénéficiaient de la prise en charge par la société de leurs frais de logement, de nourriture et de blanchissage, sans charges sociales ni remise de bulletin de salaire ; qu’aucun cours de langue ne leur était dispensé, qu’aucun tuteur ne leur était affecté, qu’aucun programme de formation n’avait été élaboré et qu’ainsi le volet pédagogique de la convention de stage, pourtant exprimé en termes très vagues de “ formation en Hôtellerie-Restauration et Linguistique “, n’était pas respecté ; qu’aucun maître de stage n’a été désigné dans l’encart prévu à cet effet dans la convention, la seule mention du nom du gérant dans l’encart “entreprise d’accueil” ne prédisposait pas ce dernier à être à assurer ces fonctions ; qu’il ressort ainsi des pièces du dossier que la présence dans l’entreprise de ces deux personnes qui avaient déjà obtenu leur diplôme, depuis un an pour l’un et depuis trois ans pour l’autre, ne répondait en réalité à aucun objectif de formation ; que, dans ces conditions, les deux ressortissants indiens doivent être regardés comme n’étant pas en situation de stage mais comme étant employés par la SOCIETE JOGECIL bien qu’ils aient été dépourvus de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France ; qu’ainsi, c’est à bon droit que la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-2 du code du travail a été mise à la charge de la société ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE JOGECIL n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que par jugement du 25 février 2010, le tribunal administratif de Marseille a rejeté son recours contre les décisions en litige du directeur général de l’ANAEM ;

Sur les conclusions incidentes de l’OFII :

Considérant que, si l’OFII demande à la Cour de condamner la société appelante au paiement d’une somme en principal de 6 732 euros, ladite somme correspond au montant du titre exécutoire contesté ; que le présent arrêt rejetant comme non fondées les conclusions aux fins d’annulation du titre en question, il appartient à l’OFII de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’exécution matérielle de cette procédure de recouvrement d’office ; que, par suite, les conclusions aux fins de condamnation présentées, à ce titre, doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SOCIETE JOGECIL demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SOCIETE JOGECIL une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’OFII et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE JOGECIL est rejetée.

Article 2 : La SOCIETE JOGECIL est condamnée à verser une somme de 2 000 euros à l’OFII (Office français d’immigration et d’intégration) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE JOGECIL, à l’Office Français d’Immigration et d’Intégration et au ministre du travail, de l’emploi et de la santé.

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Abstrats : 335-06 Étrangers. Emploi des étrangers.