Faux stagiaires indiens - restaurant

Cour Administrative d’Appel de Marseille

N° 10MA02087

Inédit au recueil Lebon

7ème chambre - formation à 3

M. MOUSSARON, président

Melle Muriel JOSSET, rapporteur

M. DELIANCOURT, rapporteur public

SCHEGIN, avocat(s)

lecture du mardi 13 mars 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille le 31 mai 2010, sous le n° 10MA02087, présentée pour la SOCIETE HOTEL AUBERGE DU REDIER, dont le siège est Quartier du Rédier à Colomars (06670), par Me Soussi, avocat ;

La SOCIETE HOTEL AUBERGE DU REDIER demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0804596 du 25 février 2010 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 12 février 2008 par laquelle le directeur général de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations a délivré à son encontre un état exécutoire d’un montant de 12 240 euros au titre de la contribution spéciale instituée par les articles R. 341.34 et R. 341.35 du code du travail, ensemble la décision du 9 juin 2008 par laquelle le directeur général de l’ANAEM a rejeté le recours gracieux contre la décision du 12 février 2008 ;

2°) d’annuler ces décisions et de condamner l’ANAEM à lui verser une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 24 janvier 2012 :

"-" le rapport de Mlle Josset, premier conseiller ;

"-" les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;

"-" les observations de Me Rebeyrol, avocat du cabinet Soussi, pour la société HOTEL AUBERGE DU REDIER ;

Considérant que, le 28 juin 2005, les inspecteurs et contrôleurs du travail du département des Alpes-Maritimes ont diligenté un contrôle au sein de la société HOTEL AUBERGE DU REDIER à Menton ; qu’ils ont constaté que quatre ressortissants indiens, dépourvus d’autorisation de travail, étaient employés au sein de l’établissement ; que le directeur de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations a, sur le fondement des dispositions du code du travail, émis un état exécutoire à l’encontre de la société, notifié le 12 février 2008, en vue du versement par celle-ci d’une contribution spéciale de 12 240 euros ; que le 9 juin 2008, le directeur général de l’ANAEM a rejeté le recours gracieux formé par la requérante contre la décision du 12 février 2008 ; que, le 16 octobre 2008, l’ANAEM a délivré à l’encontre de la société un état exécutoire d’un montant de 1 224 euros au titre d’une majoration de 10 % de la contribution spéciale mise à la charge de la requérante en application des dispositions de l’article R.341-35-4 du code du travail ; que la société HOTEL AUBERGE DU REDIER fait appel du jugement en date du 25 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté son recours contre ces trois décisions ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 341-6 du code du travail dans sa version applicable à l’époque des faits : “ Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France “ ; qu’aux termes de l’article L. 341-7 du même code : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L. 341-6, premier alinéa, sera tenu d’acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (...) “ ; qu’aux termes de l’article R. 341- 35-4 du même code : “ Une majoration de 10% est ajoutée au montant de la contribution spéciale due par l’employeur, lorsque celui-ci n’aura pas acquitté cette contribution dans les deux mois suivant la date de notification du titre de recouvrement “ ; qu’aux termes de l’article L. 611-10 du code du travail en vigueur à la date de la décision attaquée : “ (... ) les contrôleurs du travail (...) constatent les infractions par des procès verbaux qui font foi jusqu’à preuve du contraire “ ;

Considérant que, si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d’un jugement ayant acquis force de chose jugée s’imposent à l’administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité ; qu’il appartient, dans ce cas, à l’autorité administrative d’apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction administrative ; que, par suite, si, par arrêt du 14 avril 2009, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, confirmant le jugement du 25 mai 2007 du Tribunal correctionnel de Grasse a relaxé la gérante de la société des poursuites pénales engagées pour les mêmes faits d’emploi de quatre travailleurs en situation irrégulière, après avoir estimé que la preuve du non-respect de la convention de stage, dont étaient bénéficiaires les intéressés, n’était pas rapportée, pas plus que l’intention frauduleuse n’était établie, le moyen tiré de l’autorité de la chose jugée doit être écarté ; que, dès lors, la décision du 9 juin 2008 par laquelle l’ANAEM a rejeté le recours gracieux invoquant contre l’état exécutoire notifié le 12 février 2008 la décision du juge pénal n’est pas entachée d’erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du procès-verbal dressé le 28 juin 2005 par les services de l’inspection du travail, lequel fait foi jusqu’à preuve du contraire, que trois ressortissants indiens, titulaires de leurs seuls passeports, étaient occupés à diverses tâches en salle et en cuisine dans les locaux de l’établissement géré par la société HOTEL AUBERGE DU REDIER, le quatrième stagiaire, commis de cuisine, étant en repos ;

Considérant que la circonstance que les conventions de stage d’une durée de six mois, renouvelables une fois, conclues le 6 mars 2005 avec l’école “ Jenneys french departement “, avaient été approuvées par la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, ne faisait pas obstacle au contrôle, et à la requalification éventuelle, de l’activité réellement exercée par les intéressés ; qu’au demeurant, la société n’a pu produire que trois conventions de stage ;

Considérant qu’il ressort des énonciations du procès-verbal déjà mentionné et notamment des déclarations des salariés, corroborées par celles du chef de cuisine et d’un autre membre du personnel employé en salle, que ceux-ci assuraient les mêmes tâches, selon les mêmes horaires, que les salariés de la société, soit neuf heures par jour environ, de 9 heures à 14 heures et de 19 à 22 heures 30 ou 23 heures, avec deux jours de repos hebdomadaires, soit quarante-cinq heures par semaine, alors que l’article 4 de la convention de stage prévoit un volume horaire hebdomadaire de trente-cinq heures ; que si la convention ne prévoit aucune gratification, les quatre personnes concernées percevaient une somme mensuelle d’un montant de 300 euros, et bénéficiaient de la prise en charge par la société de leurs frais de logement, de nourriture et de blanchissage, sans charges sociales ni remise de bulletin de salaire ; qu’aucun cours de langue ne leur était dispensé, qu’aucun tuteur ne leur était affecté, qu’aucun programme de formation n’avait été élaboré et qu’ainsi le volet pédagogique de la convention de stage, pourtant exprimé en termes très vagues de “ formation en Hôtellerie-Restauration et Linguistique “, n’était pas respecté ; qu’il ressort ainsi des pièces du dossier que la présence dans l’entreprise de ces quatre personnes, qui avaient déjà obtenu leur diplôme, ne répondait en réalité à aucun objectif de formation ; que, dans ces conditions, les quatre ressortissants indiens doivent être regardés comme n’étant pas en situation de stage mais comme étant employés par la SOCIETE HOTEL AUBERGE DU REDIER bien qu’ils aient été dépourvus de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France ; qu’ainsi, c’est à bon droit que la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-2 du code du travail a été mise à la charge de la société ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société HOTEL AUBERGE DU REDIER n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que par jugement du 25 février 2010, le tribunal administratif de Marseille a rejeté son recours contre les décisions en litige du directeur général de l’ANAEM ;

Sur les conclusions incidentes de l’OFII :

Considérant que, si l’OFII demande à la Cour de condamner la société appelante au paiement d’une somme en principal de 12 240 euros, ladite somme correspond au montant du titre exécutoire contesté ; que le présent arrêt rejetant comme non fondées les conclusions aux fins d’annulation de ce titre, il appartient à l’OFII de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’exécution matérielle de cette procédure de recouvrement d’office ; que, par suite, les conclusions aux fins de condamnation présentées, à ce titre, doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société HOTEL AUBERGE DU REDIER demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société HOTEL AUBERGE DU REDIER une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’OFII et non compris dans les dépens ;

D E C I D E

Article 1er : La requête de la société HOTEL AUBERGE DU REDIER est rejetée.

Article 2 : La société HOTEL AUBERGE DU REDIER est condamnée à verser une somme de 2 000 euros à l’OFII au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions incidentes de l’OFII est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société HOTEL AUBERGE DU REDIER, à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, et au ministre du travail, de l’emploi et de la santé.

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N° 10MA02087 2

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Abstrats : 335-06 Étrangers. Emploi des étrangers.