Faux stagiaires indiens - restaurant

Cour Administrative d’Appel de Marseille

N° 10MA01776

Inédit au recueil Lebon

7ème chambre - formation à 3

M. MOUSSARON, président

Mme Isabelle BUCCAFURRI, rapporteur

M. DELIANCOURT, rapporteur public

SCHEGIN, avocat(s)

lecture du mardi 13 mars 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille, sous le n° 10MA01776, le 7 mai 2010, présentée pour la société à responsabilité limitée (SARL) SERA-BIJOU PLAGE, représentée par son représentant légal en exercice, dont le siège social est Boulevard Guillaumont à Juan-Les-Pins (06160), par la SCP d’avocats Stifani Fenoud ;

La SOCIETE SERA-BIJOU PLAGE demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0702614, 0704157 du 28 janvier 2010 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes tendant à l’annulation, d’une part, de l’état exécutoire en date du 13 décembre 2006, d’un montant de 30 600 euros, émis à son encontre par l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) et relatif à l’application de la contribution spéciale prévue par l’article R. 341-34 du code du travail pour l’emploi de travailleurs étrangers en situation irrégulière et, d’autre part, de l’état exécutoire du 6 mars 2007, d’un montant de 3 060 euros, émis à son encontre par le même organisme et relatif à la majoration de 10 % prévue par l’article R. 341-35 du même code, ensemble les décisions implicites de rejet des recours gracieux qu’elle a formés à l’encontre de ces deux états exécutoires ;

2°) d’annuler lesdits états exécutoires et décisions ;

3°) de mettre à la charge de l’ANAEM une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

........................................................

Vu le jugement attaqué ;

.....................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 7 février 2012 :

"-" le rapport de Mme Buccafurri, président assesseur,

"-" et les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;

Considérant que la SARL SERA-BIJOU PLAGE relève appel du jugement n° 0702614, 0704157 du 28 janvier 2010 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes tendant à l’annulation, d’une part, de l’état exécutoire en date du 13 décembre 2006, d’un montant de 30 600 euros, émis à son encontre par l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) et relatif à l’application de la contribution spéciale prévue par l’article R. 341-34 du code du travail pour l’emploi de travailleurs étrangers en situation irrégulière et, d’autre part, de l’état exécutoire du 6 mars 2007, d’un montant de 3 060 euros, émis à son encontre par le même organisme et relatif à la majoration de 10 % prévue par l’article R. 341-35 du même code, ensemble les décisions implicites de rejet des recours gracieux qu’elle a formés à l’encontre de ces deux états exécutoires ; que l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), venant aux droits de l’ANAEM, demande, pour sa part, à la Cour de condamner la société appelante au paiement des sommes de 30 600 euros et 3 060 euros précitées ;

Sur la légalité des états exécutoires contestés :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 8253-1 du code du travail, anciennement L. 341-6 : “ Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) “ ; qu’aux termes de l’article L. 8253-2 du même code, anciennement L. 341-7 : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat et est au moins égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12 et, en cas de réitération, à 25 000 fois ce même taux. L’Office français de l’immigration et de l’intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution (...) “ ; qu’aux termes de l’article R. 8253-14 du code du travail, anciennement R. 341-29 alinéa 5 : “ Une majoration de 10 % est ajoutée au montant de la contribution spéciale due par l’employeur lorsque celui-ci n’a pas acquitté cette contribution dans les deux mois suivant la date de la notification du titre de recouvrement “ ;

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que, le 23 juin 2005, les services de l’inspection du travail des Alpes-Maritimes ont effectué, à la suite de la plainte de l’un des stagiaires, un contrôle sur les conditions dans lesquelles des stagiaires, de nationalité indienne, de l’école indienne Jenneys French Departement, accueillis par la société requérante dans le restaurant qu’elle exploite sous l’enseigne “ Bijou Plage “ à Juan-Les-Pins, effectuaient leur stage ; qu’il résulte du procès-verbal, dressé par les contrôleurs du travail le même jour, dont les mentions font foi jusqu’à preuve du contraire, que les ressortissants indiens exerçaient leurs activités en moyenne entre 10 et 11 heures par jour, soit compte tenu de leurs jours de repos hebdomadaire entre 55 et 60 heures par semaine pour certains d’entre eux, alors qu’il n’est pas contesté que les conventions de stage qui avaient été conclues prévoyaient une durée de travail limitée à 35 heures par semaine ; qu’il est constant qu’à l’exception d’un seul stagiaire, qui n’avait pas terminé ses études de restauration en Inde, les autres ressortissants indiens avaient tous un diplôme de restauration délivré en Inde et ne poursuivaient plus d’études dans ce pays en dehors de cours d’apprentissage du français ; que, par ailleurs, il ressort dudit procès-verbal ainsi que des pièces qui y sont annexées qu’aucune formation n’était dispensée aux intéressés dans le cadre de leur stage et que les stagiaires étaient intégrés dans le planning des salariés du restaurant exploité par la société requérante ; qu’en outre, les stagiaires recevaient une gratification mensuelle de 300 euros et bénéficiaient d’avantages en nature ; que, comme l’ont estimé à bon droit les premiers juges, ces éléments de fait ne sont pas combattus par le constat dressé le 22 septembre 2005 à la demande de la société requérante par un huissier de justice, qui fait état essentiellement de ce que les stagiaires sont satisfaits de leurs conditions de travail et d’accueil et mentionne des déclarations des stagiaires concernés selon lesquelles ils auraient “ appris beaucoup de choses dans la confection et le service des plats et des vins “, sans que soient précisées ni la nature, ni la durée ni la consistance de cet apprentissage ; que, par ailleurs, les faits constatés par le procès-verbal dressé par les services de l’inspection du travail ne sont pas en contradiction avec le jugement de relaxe du chef d’infraction de l’emploi d’étrangers démunis d’une autorisation de travail en France, prononcée par le Tribunal correctionnel de Grasse du 25 mai 2007, confirmé par un arrêt du 14 avril 2009 de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, fondé sur la circonstance que la direction du travail ne démontrait pas que les conventions de stages conclues par le gérant de la société n’avaient pas été respectées ; qu’il suit de là que, contrairement à ce que soutient la société appelante, la matérialité des faits qui lui étaient reprochés, en l’occurrence l’emploi, non de stagiaires mais de salariés étrangers démunis de titres les autorisant à travailler en France, est établie et ce, quand bien même le procès-verbal précité du 23 juin 2005 serait basé sur des déclarations des stagiaires et non pas sur le constat de faits matériels ; qu’à cet égard, il ne résulte pas de l’instruction que la circonstance que les stagiaires maîtrisaient mal la langue française ait été de nature à les empêcher de comprendre le sens des questions posées par les contrôleurs du travail et de répondre de façon intelligible sur les conditions dans lesquelles se déroulait leur stage ; qu’ainsi la nécessité d’un interprète n’est pas en l’espèce démontrée ; que par ailleurs, aucune disposition législative ou règlementaire n’exige que, lors de ces opérations de contrôle, les intéressés soient entendus en présence de leur employeur ; que, dans ces conditions, et alors qu’il résulte de l’instruction que la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l’article R. 341-27 du code du travail alors en vigueur a été mise en oeuvre, le moyen tiré de la violation de la procédure contradictoire et des droits de la défense n’est pas davantage fondé ;

Considérant, en second lieu, que la société requérante soutient que c’est à tort que l’administration a considéré que les ressortissants indiens concernés étaient des salariés et non des stagiaires ; que, toutefois, eu égard aux conditions ci-dessus rappelées de l’exercice de l’activité des ressortissants indiens concernés, et notamment de la durée hebdomadaire de cette activité, les intéressés devaient être regardés comme étant employés par l’entreprise non comme des stagiaires mais comme des salariés ; que la société requérante ne peut, pour contester cette qualification, se référer à des textes postérieurs à la conclusion des conventions de stage ici en cause ; que la double circonstance que la durée d’exercice de cette activité dépassait les mois d’été de juillet et août et que l’effectif des salariés du restaurant n’ait pas varié entre 2003 et 2005 n’est pas de nature, à elle seule, à remettre en cause la nature salariée des conditions d’emploi des ressortissants indiens ; que, par ailleurs, si la société requérante fait valoir que des stagiaires peuvent percevoir une gratification, l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration soutient, sans être ultérieurement contredit sur ce point, que ni le principe ni le montant d’une telle gratification n’étaient mentionnés dans les conventions de stage conclues avec les ressortissants indiens concernés ; qu’ainsi, c’est à juste titre que l’administration a estimé que ces derniers étaient des salariés de l’entreprise ; qu’enfin, si la société requérante fait valoir qu’elle ignorait que les ressortissants indiens avaient, pour certains, terminé leur scolarité en Inde et que les autorités françaises en Inde leur avaient délivré des titres de séjour en qualité d’étudiant, ces circonstances ne dispensaient pas la société requérante, compte tenu de la relation salariée existant en fait entre elle-même et ces ressortissants étrangers, de s’assurer de ce que ces derniers disposaient d’un titre les autorisant à exercer une activité salariée en France ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les états exécutoires contestés ont légalement mis à la charge de la SARL SERA-BIJOU PLAGE la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-2 du code du travail ainsi qu’une majoration de 10 % des sommes ainsi réclamées en l’absence de paiement de cette somme dans le délai prévu par les dispositions de l’article R. 8253-14 de ce code ; que, dès lors, la SARL SERA-BIJOU PLAGE n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué du 28 janvier 2010, le Tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes sus-analysées ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu’en revanche, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à sa charge une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration et non compris dans les dépens ;

Sur les conclusions de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration tendant à la condamnation de la SARL SERA-BIJOU PLAGE au paiement des sommes de 30 600 euros et 3 060 euros :

Considérant que l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration a émis à l’encontre de la société requérante les états exécutoires susvisés dont la légalité a été reconnue par le présent arrêt ; que, par suite, il appartient à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration de procéder à l’exécution matérielle des états exécutoires en cause pour le recouvrement d’office de ces sommes ; que, par suite, les conclusions de cet organisme, tendant à ce que la Cour condamne la SARL SERA-BIJOU PLAGE au versement de ces même sommes, doivent être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL SERA-BIJOU PLAGE est rejetée.

Article 2 : La SARL SERA-BIJOU PLAGE versera à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration une somme de 2 000 (deux mille) euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL SERA-BIJOU PLAGE et à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration.

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N° 10MA01776 2

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Abstrats : 66-032-01 Travail et emploi. Réglementations spéciales à l’emploi de certaines catégories de travailleurs. Emploi des étrangers (voir Étrangers).