Personnel navigant - juridiction française

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 11 avril 2012

N° de pourvoi : 11-17096 11-17097

Publié au bulletin

Rejet

M. Lacabarats, président

M. Huglo, conseiller apporteur

M. Cavarroc, avocat général

SCP Fabiani et Luc-Thaler, SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° K 11-17. 096 et M 11-17. 097 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Reims, 3 février 2010), que M. X... a été engagé par la société Avient Ltd en qualité de commandant de bord instructeur le 11 janvier 2005 et licencié le 6 décembre 2006 ; que M. Y... a été embauché par la société Avient Ltd en qualité de commandant de bord instructeur le 15 août 2004 et licencié le 2 novembre 2006 ; que les salariés ont saisi la juridiction prud’homale le 12 juillet 2007 en contestation de la cause réelle et sérieuse de leur licenciement ; que la société Avient Ltd a soulevé l’incompétence de la juridiction française et contesté l’application de la loi française au litige ;
Sur le premier moyen :
Attendu que par les moyens annexés au présent arrêt pris de la violation de l’article 19 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 et d’un manque de base légale au regard du même texte, la société Avient Ltd fait grief aux arrêts de déclarer la juridiction française compétente pour connaître de la rupture du contrat de travail ;
Mais attendu que la cour d’appel a constaté, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que les salariés commencent et terminent toutes leurs prestations de travail en France, peu important que des cycles de rotations les conduisent dans différents pays du globe ; que la société disposait d’un établissement principal à l’aéroport international de Vatry d’où les pilotes commençaient ou finissaient leur service, assuraient les tâches administratives et les jours d’astreinte ; qu’elle était immatriculée au registre du commerce de Châlons-en-Champagne, peu important que son siège social soit situé en Grande-Bretagne et que ses avions soient immatriculés au Zimbabwe ; qu’elle avait choisi une implantation en France (Hub européen ou plate-forme) dans des locaux et infrastructures à partir desquels son activité de fret de denrées périssables était exercée de façon habituelle, stable et continue ; que les salariés affectés à cette activité de transport aérien y avaient le centre effectif de leur activité professionnelle, Vatry étant leur base et tous les frais en dehors de Vatry étant pris en charge par l’employeur ; qu’elle a, par ces seuls motifs, abstraction faite des motifs surabondants visés par les première et sixième branches du moyen, fait une exacte application des dispositions de l’article 19 du Règlement CE n° 44/ 2001 telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, selon laquelle lorsque l’obligation du salarié d’effectuer les activités convenues s’exerce dans plus d’un Etat contractant, le lieu où il accomplit habituellement son travail est l’endroit où, ou à partir duquel, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, il s’acquitte en fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que, par les moyens annexés au présent arrêt tirés de la violation de l’article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, des articles 19 et 60 du Règlement CE n° 44/ 2001 et de l’article R. 330-2-1 du code de l’aviation civile et d’un défaut de base légale au regard des mêmes textes, la société Avient Ltd fait grief aux arrêts de dire la loi française applicable aux litiges ;
Mais attendu d’abord que les articles 19 et 60 du Règlement CE n° 44/ 2001 ne sont pas applicables à la détermination de la loi applicable au litige mais seulement à celle de la juridiction compétente ;
Attendu ensuite que la Cour de justice de l’Union européenne a jugé (CJUE, 15 mars 2011, Z..., aff. C-29/ 10) que, compte tenu de l’objectif poursuivi par l’article 6 de la Convention de Rome, il y a lieu de constater que le critère du pays où le travailleur “ accomplit habituellement son travail “, édicté au paragraphe 2, sous a), de celui-ci, doit être interprété de façon large, alors que le critère du siège de “ l’établissement qui a embauché le travailleur “, prévu au paragraphe 2, sous b), du même article, devrait s’appliquer lorsque le juge saisi n’est pas en mesure de déterminer le pays d’accomplissement habituel du travail, et qu’il découle de ce qui précède que le critère contenu à l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la Convention de Rome a vocation à s’appliquer également dans une hypothèse où le travailleur exerce ses activités dans plus d’un Etat contractant, lorsqu’il est possible, pour la juridiction saisie, de déterminer l’Etat avec lequel le travail présente un rattachement significatif ;
Et attendu qu’ayant constaté que les salariés affectés à l’activité de transport aérien de l’employeur avaient le centre effectif de leur activité professionnelle à l’aéroport de Vatry, lequel était la base à partir de laquelle les salariés commençaient et terminaient toutes leurs prestations de travail et où ils assuraient les tâches administratives et les jours d’astreinte, peu important que des cycles de rotations les aient conduits dans différents pays du globe, la cour d’appel a décidé à bon droit que la loi applicable aux contrats de travail en cause est la loi française, même si les planning de vols adressés aux pilotes étaient établis en Grande-Bretagne où était aussi situé le lieu d’entraînement sur simulateur ;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Avient Ltd fait grief aux arrêts de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, que pour dire que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamner la société Avient à lui payer une indemnité au titre de la procédure irrégulière, une indemnité compensatrice de préavis et des dommages-intérêts pour licenciement abusif, la cour d’appel s’est fondée sur les dispositions du code du travail et du code de l’aviation civile français ; que dès lors, la cassation sur le deuxième moyen qui critique l’arrêt en ce qu’il a retenu que la loi applicable au contrat de travail en cause était la loi française entraînera nécessairement la cassation des chefs précités, en application des articles L. 423-1 et R. 423-1 du code de l’aviation civile, L. 1234-5, L. 1235-2 et L. 1235-3 du code du travail, et 624 du code de procédure civile ;
Mais attendu que le deuxième moyen a été rejeté ; que, dès lors, le troisième moyen est inopérant ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Avient limited aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à MM. X... et Y... la somme globale de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze avril deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits aux pourvois n° K 11-17. 096 et M 11-17. 097 par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour la société Avient limited.
PREMIER MOYEN DE CASSATION (sur la compétence)
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR confirmé le jugement du Conseil de prud’hommes s’étant reconnu matériellement compétent pour statuer sur le litige opposant Monsieur X... à la société AVIENT et d’AVOIR condamné la société AVIENT au paiement d’une indemnité de procédure ainsi qu’aux dépens ;
AUX MOTIFS QUE sur la compétence des juridictions françaises, la société AVIENT soutient que le contrat de travail de Monsieur X... est un contrat de travail international car la société AVIENT est de nationalité étrangère et que l’exécution du contrat se situe à l’étranger ; que ce contrat de travail est rédigé en anglais, signé en GRANDE BRETAGNE, et prévoit une clause de compétence au profit des tribunaux anglais ; qu’elle revendique l’application du règlement communautaire CE 44/ 2 2001 du 22 décembre 2000, entré en vigueur le 1er mars 2002, et applicable à tous les Etats membres de l’Union Européenne, à l’exception du DANEMARK, et notamment son article 19 ; qu’en l’espèce, elle prétend que Monsieur X... avait un travail itinérant, ne disposait pas d’un bureau en FRANCE et n’a pas accompli la partie la plus significative de son emploi sur le territoire national ; qu’il n’organisait pas ses activités depuis la France ; que l’embauche a été effectuée à proximité de l’aéroport de GATW1CK où les pilotes s’entraînent régulièrement sur simulateur ; qu’il disposait d’une licence de vol délivrée par le gouvernement Zimbabwéen, pays d’immatriculation des avions ; que la société AVIENT est une société de droit anglais ayant son siège social en GRANDE BRETAGNE et dispose d’un établissement en FRANCE sans aucune autonomie ; qu’on peut appliquer la convention de CHICAGO du 7 décembre 1944 et on retient la nationalité du pays dans lequel sont immatriculés les aéronefs, ou, en l’absence de rattachement territorial de la prestation de travail, les tribunaux anglais (domicile de l’employeur et lieu d’embauche du salarié) ; que cependant l’immatriculation n’a pas pour effet de rendre applicable entre le pilote et sa compagnie la loi de l’immatriculation de l’aéronef ; que l’article 19 du règlement communautaire CE 44/ 2 2001 du 22 décembre 2000 stipule que l’employeur ayant son domicile sur le territoire d’un Etat membre peut être attrait (en matière de contrats individuels de travail) soit devant les tribunaux de l’Etat membre où il a son domicile, soit dans un autre Etat membre et notamment devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ou lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant le tribunal du lieu où se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur ; que l’article 60 dit que pour l’application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là où est situé leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement ;

qu’aucun contrat de travail signé entre la société AVIENT et Monsieur X... n’est produit, les documents versés aux débats émanant de la société ORION LOGISTICS et ne sont en outre pas signés par Monsieur X... ; que l’embauche qui aurait été effectuée en GRANDE BRETAGNE selon la société ORION, bien qu’aucun élément probant ne soit produit, est en tout état de cause sans objet dans le débat qui oppose la société AVIENT, qui ne conteste pas être l’employeur, à Monsieur X... ; qu’aucun lieu d’embauche ne peut donc être revendiqué par la société AVIENT concernant la conclusion du contrat de travail de Monsieur X... ; qu’il résulte des pièces que Monsieur X... est un ressortissant français, qui a son domicile en FRANCE, une licence d’aviation délivrée par la France ; qu’il commence et termine toutes ses prestations de travail en FRANCE, peu important que des cycles de rotations le conduisent dans différents pays du globe ; que la société AVIENT disposait d’un établissement principal en FRANCE à l’aéroport international de VATRY (51320), d’où le pilote commençait ou finissait son service, assurait les tâches administratives et les jours d’astreinte ; qu’elle était immatriculée au registre du commerce français de CHALONS EN CHAMPAGNE, peu important que son siège social (groupe AVIENT LIMITED) soit situé en GRANDE BRETAGNE et que ses avions soient immatriculés au ZIMBABWE ; qu’elle avait choisi une implantation en FRANCE (Hub européen ou plate-forme) dans des locaux et infrastructures à partir desquels son activité (fret de denrées périssables) était exercée de façon habituelle, stable et continue ; que Monsieur X... affecté à cette activité de transport aérien y avait le centre effectif de son activité professionnelle, VATRY étant sa base et c’est à VATRY qu’il a rendu son uniforme et la carte bancaire de la société et tous les frais en dehors de VATRY étaient pris en charge par la société AVIENT ; qu’en conséquence le jugement qui s’est reconnu compétent sera confirmé ;
ET AUX MOTIFS éventuellement adoptés QUE sur la compétence de la juridiction française et du Conseil de Prud’hommes de Châlons-en-Champagne soulevée in limine litis, vu l’avis du Conseil d’Etat du 11 juillet 2007 concernant les affaires EASY JET AIRLINE et RYAN AIR Ltd ; que d’autres compagnies aériennes ont dû se soumettre au droit français ; que l’article R 330-2-1 du Code de l’aviation civile qui se borne à rappeler qu’en vertu de l’article L 342-4 devenu L 1262-3 du Code du travail : « … les salariés travaillant de manière habituelle dans les locaux ou infrastructures à partir desquels les entreprises de transport aérien exercent de façon stable, habituelle et continue leur activité sur le territoire français, sont soumis au Code du travail » ; que le Conseil, après en avoir délibéré sur le siège lors de l’audience du 22 septembre 2008, dit que le litige relève du ressort du code du travail français et se déclare matériellement compétent pour connaître du litige entre Monsieur X... et la SA AVIENT Limited ;
ALORS QU’aux termes du paragraphe 1 de l’article 19 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000, l’employeur ayant son domicile sur le territoire d’un Etat membre peut être attrait devant les tribunaux de l’Etat membre où il a son domicile ; qu’il résulte du paragraphe 2 a) que l’employeur peut aussi être attrait dans un autre Etat membre, devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ou selon le paragraphe 2 b) lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant le tribunal du lieu où se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur ; que l’article 19, paragraphe 2, du Règlement communautaire susvisé instaure des règles de compétence spéciales qui interdisent au juge de l’Etat membre, saisi par un salarié d’une demande dirigée contre un employeur domicilié dans un autre Etat membre, de se référer aux règles de compétence interne pour déterminer la juridiction compétente ; qu’or, en l’espèce, pour dire que le Conseil de prud’hommes saisi par le salarié était compétent, la Cour d’appel s’est fondée sur le fait que « Monsieur X... était un ressortissant français, qui avait son domicile en France », soit des critères tirés des règles de compétence interne (articles 14 et 15 du code civil s’agissant de la nationalité, et article R. 1412-1 du code du travail s’agissant du domicile du salarié) ; qu’en statuant de la sorte, la Cour d’appel a violé l’article 19 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;
ALORS en outre QUE le « lieu de travail habituel » au sens de l’article 19 du Règlement précité doit être entendu comme le lieu où le travailleur s’acquitte en fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de l’employeur, du lieu où le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur, en tenant compte de l’intégralité de la période d’activité du travailleur ; que pour dire les juridictions françaises incompétentes pour connaître des demandes formées par Monsieur X... à son encontre, la société AVIENT faisait valoir que Monsieur X..., en sa qualité de pilote, n’avait pas accompli habituellement son travail dans un même pays, l’exercice de ses fonctions étant par nature itinérant puisqu’il exerçait son activité à bord d’avions ; que la société ajoutait que, contrairement aux allégations de Monsieur X..., l’aéroport de VATRY en France n’était pas son lieu habituel de travail, Monsieur X... n’y ayant pas accompli la partie la plus significative de son emploi ; que la Cour d’appel a cependant estimé que l’aéroport de VATRY constituait le lieu habituel de travail du salarié, en se fondant, tout d’abord, sur le fait que la société AVIENT y disposait « d’un établissement principal » ; que la Cour d’appel qui a elle-même rappelé que « l’article 60 du Règlement CE n° 44/ 2001 disait que pour l’application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales étaient domiciliées là où était situé leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement » et relevé que le siège social de la société AVIENT était « situé en GRANDE BRETAGNE » mais a retenu néanmoins que l’établissement de VATRY constituait l’« établissement principal » de la société AVIENT a violé l’article 60 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;
ALORS aussi QUE pour dire que l’établissement de VATRY constituait le lieu habituel de travail du salarié, la Cour d’appel s’est fondée sur le fait que la société AVIENT y exerçait une activité « de façon habituelle, stable et continue » et que Monsieur X... était affecté à cette activité ; que toutefois, de tels motifs étaient impropres à caractériser le lieu de travail habituel du salarié au sens de l’article 19 du Règlement CE n° 44/ 2001, et en statuant de la sorte, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;
ALORS encore QU’en retenant que le lieu de travail habituel de Monsieur X... était VATRY, alors qu’elle avait constaté que le salarié, pilote, exerçait une « activité de transport aérien », des « cycles de rotations le conduisant dans différents pays du globe », et qu’il n’était présent à l’aéroport de VATRY que pour « commencer ou finir son service » et pour « assurer des tâches administratives ou des jours d’astreinte », ce dont il résultait qu’il ne s’y acquittait pas de l’essentiel de ses obligations de pilote et qu’il n’y accomplissait pas la majeure partie de son temps de travail, la Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l’article 19 du Règlement du Conseil n° 44/ 2001 du 22 décembre 2000 ;
ALORS à tout le moins QU’en s’abstenant de rechercher comme elle l’y était invitée par les conclusions d’appel de la société AVIENT, si les tâches effectuées par Monsieur X... à VATRY constituaient la partie la plus significative de son emploi de pilote, et si le temps qu’il y passait constituait la majeure partie de son temps de travail, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 19 du Règlement CE n° 44/ 2001 ;
ALORS enfin QUE le paragraphe 2 b) de l’article 19 du Règlement précité prévoit in fine que l’employeur peut être attrait, lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant le tribunal du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur ; qu’à cet égard, la société AVIENT faisait valoir que l’embauche avait été réalisée à proximité de l’aéroport de GATWICK, en Grande-Bretagne, ce dont résultait la compétence des tribunaux anglais ; que la Cour d’appel a retenu « qu’aucun contrat de travail signé entre la société AVIENT et Monsieur X... n’était produit » et en a conclu « qu’aucun lieu d’embauche ne pouvait donc être revendiqué par la société AVIENT concernant la conclusion du contrat de travail de Monsieur X... » ; qu’en exigeant ainsi l’existence d’un contrat de travail écrit pour retenir un lieu d’embauche, alors que le texte communautaire vise seulement le lieu où a été conclu le contrat de travail, la Cour d’appel a ajouté une condition à l’article 19 § 2 b) du Règlement CE n° 44/ 2001 et violé ce dernier ;
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire sur la loi applicable)
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que la loi applicable au contrat de travail en cause était la loi française et d’AVOIR condamné la société AVIENT au paiement d’une indemnité de procédure ainsi qu’aux dépens ;
AUX MOTIFS QUE la société AVIENT discute la loi applicable au contrat de travail et soutient que seule la convention de ROME du 19 juin 1980 est applicable ; que la loi applicable est donc celle du pays où le pilote accomplit habituellement son travail, à défaut le contrat est régi par la loi du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur ; que cependant la convention de ROME précitée en ses articles 3, 4 et indique que le contrat est régi par la loi choisie par les parties ; qu’à défaut de loi choisie, la loi applicable est celle de la loi du pays dans lequel le travailleur accomplit habituellement son travail même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre pays, ou si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur, à moins qu’il ne résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable ; qu’en outre, l’article 6 précise que le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assure les dispositions impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix ; que sur les règles de droit interne, la société AVIENT ne conteste pas la validité du décret du 21 novembre 2006 mais soutient que le texte ne peut recevoir application au cas d’espèce, faute de réunir les deux conditions exigées ; que le décret du 21 novembre 2006 inséré dans le code de l’aviation et applicable à la relation contractuelle des parties dispose en son article R. 330-2-1 que « l’article L. 342-4 du code du travail est applicable aux entreprises de transport aérien au titre de leurs base d’exploitation situées sur le territoire français ; qu’une base d’exploitation est un ensemble de locaux et d’infrastructures à partir desquels une entreprise exerce de façon stable, habituelle et continue une activité de transport aérien avec des salariés qui y ont le centre effectif de leur activité professionnelle ; qu’au sens des dispositions qui précèdent, le centre de l’activité professionnelle d’un salarié est le lieu où de façon habituelle, il travaille ou celui où il prend son service et retourne après l’accomplissement de sa mission » ; qu’en l’absence d’un contrat de travail et d’une clause attributive, et conformément à ce qui a été dit précédemment sur le centre effectif de l’activité professionnelle de Monsieur X... et l’établissement principal en France de la société AVIENT, la loi applicable au contrat de travail en cause est la loi française, peu important que les planning de vols adressés aux pilotes soient établis en GRANDE BRETAGNE où était aussi situé le lieu d’entraînement sur simulateur ;
ET AUX MOTIFS éventuellement adoptés QUE sur la compétence de la juridiction française et du Conseil de Prud’hommes de Châlons-en-Champagne soulevée in limine litis, vu l’avis du Conseil d’Etat du 11 juillet 2007 concernant les affaires EASY JET AIRLINE et RYAN AIR Ltd ; que d’autres compagnies aériennes ont dû se soumettre au droit français ; que l’article R 330-2-1 du Code de l’aviation civile qui se borne à rappeler qu’en vertu de l’article L 342-4 devenu L 1262-3 du Code du travail : « … les salariés travaillant de manière habituelle dans les locaux ou infrastructures à partir desquels les entreprises de transport aérien exercent de façon stable, habituelle et continue leur activité sur le territoire français, sont soumis au Code du travail » ; que le Conseil, après en avoir délibéré sur le siège lors de l’audience du 22 septembre 2008, dit que le litige relève du ressort du code du travail français et se déclare matériellement compétent pour connaître du litige entre Monsieur X... et la SA AVIENT Limited ;
ALORS QUE la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles prévoit en son article 6, relatif au contrat individuel de travail : 2. Nonobstant les dispositions de l’article 4 et à défaut de choix exercé conformément à l’article 3, le contrat de travail est régi :

a) par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre pays ou,

b) si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur, à moins qu’il ne résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable » ; qu’en l’espèce, pour dire que « la loi applicable au contrat de travail en cause était la loi française », la Cour d’appel s’est fondée en premier lieu sur « l’absence d’un contrat de travail », faisant ainsi référence aux motifs par lesquels elle avait retenu « qu’aucun contrat de travail signé entre la société AVIENT et Monsieur X... n’était produit » et conclu « qu’aucun lieu d’embauche ne pouvait donc être revendiqué par la société AVIENT concernant la conclusion du contrat de travail de Monsieur X... » ; qu’en exigeant de la sorte l’existence d’un contrat de travail écrit pour retenir un lieu d’embauche, alors que le texte communautaire précité vise seulement le lieu où a été conclu le contrat, la Cour d’appel a ajouté une condition à l’article 6 § 2 b) de la Convention de Rome du 19 juin 1980 et violé ce dernier ;
ALORS en outre QUE pour dire que « la loi applicable au contrat de travail en cause était la loi française », la Cour d’appel s’est fondée sur « ce qui avait été dit précédemment sur le centre effectif de l’activité professionnelle de Monsieur X... et l’établissement principal en France de la société AVIENT » ; que sur ce dernier point, la Cour d’appel avait en effet estimé que la société AVIENT disposait « d’un établissement principal » à l’aéroport de VATRY, alors même qu’elle avait rappelé que « l’article 60 du Règlement CE n° 44/ 2001 disait que pour l’application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales étaient domiciliées là où était situé leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement » et relevé que le siège social de la société AVIENT était « situé en GRANDE BRETAGNE », ce dont il résultait que l’établissement de VATRY ne constituait pas l’« établissement principal » de la société AVIENT ; qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a violé l’article 60 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;
ALORS encore QUE le décret du 21 novembre 2006 a inséré dans le code de l’aviation civile l’article R. 330-2-1, aux termes duquel, l’article L. 342-4 (devenu L. 1262-3) du code du travail est applicable aux entreprises de transport aérien au titre de leurs bases d’exploitation situées sur le territoire français, étant précisé qu’une base d’exploitation est un ensemble de locaux ou d’infrastructures à partir desquels une entreprise exerce de façon stable, habituelle et continue une activité de transport aérien avec des salariés qui y ont le centre effectif de leur activité professionnelle, et qu’au sens des dispositions qui précèdent, le centre de l’activité professionnelle d’un salarié est le lieu où, de façon habituelle, il travaille, ou celui où il prend son service et retourne après l’accomplissement de sa mission ; que dans ces situations, l’employeur est assujetti aux dispositions du code du travail applicables aux entreprises établies sur le territoire national ; que visant tant l’article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, que l’article R. 330-2-1 du code de l’aviation civile, la Cour d’appel a dit applicable la loi française en se fondant sur « ce qui avait été dit précédemment sur le centre effectif de l’activité professionnelle de Monsieur X... et l’établissement principal en France de la société AVIENT » ; que néanmoins, la Cour d’appel avait ainsi elle-même relevé que Monsieur X... n’était présent à l’aéroport de VATRY que pour « commencer ou finir son service », ce dont il résultait que les conditions d’application de l’article R. 330-2-1 précité-définissant le centre effectif de l’activité professionnelle des pilotes notamment comme « le lieu où il prend son service et retourne après l’accomplissement de sa mission »-, n’étaient pas remplies, comme le soutenait la société AVIENT dans ses écritures ; que par suite, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article R. 330-2-1 du code de l’aviation civile ;
ALORS aussi QUE la Cour d’appel ne pouvait davantage retenir, pour dire applicable la loi française, que l’établissement de VATRY constituait le lieu habituel de travail du salarié, tel que visé par l’article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 et par l’article R. 330-2-1 du code de l’aviation civile ; qu’elle avait en effet constaté que le salarié, pilote, exerçait une « activité de transport aérien », des « cycles de rotations le conduisant dans différents pays du globe », et qu’il n’était présent à l’aéroport de VATRY que pour « commencer ou finir son service » et pour « assurer des tâches administratives ou des jours d’astreinte », ce dont il résultait que Monsieur X... ne s’y acquittait pas de l’essentiel de ses obligations de pilote, et qu’il y n’accomplissait donc pas habituellement son travail au sens de l’article 19 du Règlement du Conseil n° 44/ 2001 du 22 décembre 2000 ; que partant, en retenant néanmoins que « la loi applicable au contrat de travail en cause était la loi française », « conformément à ce qui avait été dit précédemment sur le centre effectif de l’activité professionnelle de Monsieur X... », la Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et ainsi violé l’article 19 du Règlement du Conseil n° 44/ 2001 du 22 décembre 2000, l’article 6 § 2 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 et l’article R. 330-2-1 du code de l’aviation civile ;
ALORS à tout le moins QU’en retenant que l’établissement de VATRY constituait « le centre effectif de l’activité professionnelle de Monsieur X... », et donc le lieu où il accomplissait habituellement son travail, sans rechercher comme elle l’y était invitée par les conclusions d’appel de la société AVIENT, si les tâches effectuées par Monsieur X... à VATRY constituaient la partie la plus significative de son emploi de pilote, et si le temps qu’il y passait constituait la majeure partie de son temps de travail, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 19 du Règlement CE n° 44/ 2001, de l’article 6 § 2 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 et de l’article R. 330-2-1 du code de l’aviation civile ;
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (également subsidiaire, sur les condamnations prononcées)
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que le licenciement de Monsieur X... était dépourvu de cause réelle et sérieuse et d’AVOIR condamné la société AVIENT au paiement d’une indemnité au titre de la procédure irrégulière, d’une indemnité compensatrice de préavis, de dommages et intérêts pour licenciement abusif, d’une indemnité de procédure ainsi qu’aux dépens ;
AUX MOTIFS QUE sur le licenciement, la société ne discute pas la rupture des relations avec Monsieur X..., lequel indique qu’il a averti son employeur des dangers liés au non respect des temps de repos nécessaires aux pilotes et qu’il lui a été enjoint, par courrier du 6 décembre 2006, de quitter la société immédiatement moyennement une indemnité équivalente à trois mois de salaire sans payer le mois commencé, indemnité finalement portée à quatre mois ; que le licenciement intervenu dans ces conditions et sans lettre de licenciement est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu’au surplus, la procédure de licenciement est irrégulière ; que Monsieur X... reprend les sommes sollicitées en première instance et évalue son préjudice à douze mois de salaire soit 163. 500 euros ; que toutefois au moment du licenciement, soit le 6 décembre 2006, le salarié avait moins de deux ans d’ancienneté ; que les premiers juges ont justement retenu un salaire mensuel de 7. 938, 15 euros au vu des fiches de paye produites, le salaire des trois derniers mois étant inférieur à cette somme, et non de 13. 625 euros ; que la société AVIENT fait observer que le salarié a déjà reçu une somme équivalente à quatre mois de salaire et qu’il y a lieu d’en tenir compte, ce que Monsieur X... ne conteste pas ; que la Cour ne trouve aucun motif de modifier la somme allouée par les premiers juges, soit 48. 000 euros, qui tient compte de 1’ancienneté, de l’âge et du préjudice nécessairement subi par Monsieur X... au regard des circonstances du licenciement et de l’absence d’indemnité de chômage ; qu’en outre, il sera alloué à Monsieur X... une somme de 7. 938 euros au titre de la procédure irrégulière ; qu’ajoutant au jugement déféré, au regard des sommes déjà payées et non contestées par Monsieur X..., il y a lieu de dire que la société AVIENT sera condamnée au versement des sommes précitées en deniers ou quittance ; que sur l’indemnité de préavis, Monsieur X... réclame un préavis de trois mois qu’il évalue à 40. 875 euros et qu’il qualifie de dommages et intérêts ; que la société AVIENT fait observer que le préavis a le caractère de salaire, mais ne discute pas le montant réclamé par le salarié ; qu’en raison du salaire mensuel de Monsieur X..., il convient de confirmer le jugement en ce qu’il lui a alloué une somme de 23. 814, 45 euros ;
ET AUX MOTIFS éventuellement adoptés QUE sur le licenciement, par courriel en date du 06 décembre 2006 dans lequel Monsieur A... demande à Monsieur X... de quitter son travail sur le champ ; que le courriel du 06 décembre 2006 n’a pas valeur de lettre de licenciement ; que la procédure de licenciement n’a pas été appliquée conformément au droit français ; que le Conseil dit que le licenciement de Monsieur X... ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ; que sur les dommages et intérêts pour licenciement abusif, la moyenne des sept derniers mois de salaire fournis par Monsieur X..., calculée par le Conseil, correspond à la somme de 7. 938, 15 Euros ; que le 06 décembre 2006, Monsieur X... avait vingt trois mois de service mais que son préavis non effectué porte l’ancienneté à vingt six mois, celui-ci avait donc plus de vingt quatre mois d’ancienneté ; que le Conseil condamne la SA AVIENT Limited à verser à Monsieur X... la somme de 48. 000 Euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que sur le préavis, le licenciement de Monsieur X... ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ; que le Conseil condamne la société AVIENT Limited à verser à Monsieur X... la somme de 23. 814, 45 euros à titre d’indemnité de préavis ;
ALORS QUE pour dire que le licenciement de Monsieur X... était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamner la société AVIENT à lui payer une indemnité au titre de la procédure irrégulière, une indemnité compensatrice de préavis, et des dommages et intérêts pour licenciement abusif, la Cour d’appel s’est fondée sur les dispositions du code du travail et du code de l’aviation civile français ; que dès lors, la cassation sur le deuxième moyen-qui critique l’arrêt en ce qu’il a retenu que la loi applicable au contrat de travail en cause était la loi française-entraînera nécessairement la cassation des chefs précités, en application des articles L. 423-1 et R. 423-1 du code de l’aviation civile, L. 1234-5, L. 1235-2 et L. 1235-3 du code du travail, et 624 du code de procédure civile.
Publication : Bulletin 2012, V, n° 119

Décision attaquée : Cour d’appel de Reims , du 3 février 2010