Faux salarié détaché - compétence juridiction française

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 10 juin 2015

N° de pourvoi : 13-27799 13-27800 13-27801 13-27802 13-27803 13-27804 13-27805 13-27806 13-27807 13-27808 13-27809 13-27810 13-27811 13-27812 13-27813 13-27814 13-27815 13-27816 13-27817 13-27818 13-27819 13-27820 13-27821 13-27822 13-27823 13-27824 13-27825 13-27826 13-27827 13-27828 13-27829 13-27830 13-27831 13-27832 13-27833 13-27834 13-27835 13-27836 13-27837 13-27838 13-27839 13-27840 13-27841 13-27842 13-27843 13-27844 13-27845 13-27846 13-27847 13-27848 13-27849 13-27850 13-27851 13-27852 13-27853

ECLI:FR:CCASS:2015:SO01031

Publié au bulletin

Rejet

M. Frouin, président

M. Béraud, conseiller apporteur

M. Finielz (premier avocat général), avocat général

SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Vu la connexité, joint les pourvois n° K 13-27.799 à U 13-27.853 ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon les arrêts attaqués statuant sur contredit (Paris, 17 octobre 2013), que des pilotes de ligne, salariés de la société de droit anglais EasyJet Airline Company Limited, affectés sur les bases dont cette société dispose sur les aéroports de Paris-Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle, ont saisi le juge prud’homal de demandes tendant au respect par l’employeur des stipulations de leur contrat de travail ; que le syndicat national des pilotes de ligne est intervenu à l’instance ;

Attendu que la société EasyJet fait grief aux arrêts de rejeter les contredits de compétence de la juridiction prud’homale française au profit des tribunaux britanniques et de renvoyer les affaires au conseil de prud’hommes de Bobigny, alors, selon le moyen :

1°/ qu’aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide par les autorités de l’État membre l’ayant délivré, le certificat E101, devenu A1, attestant de l’affiliation unique du salarié aux régimes sociaux de cet Etat pour une période donnée, lie les institutions de sécurité sociale et de retraite des autres Etats membres ainsi que les juridictions de ces Etats ; qu’il incombe à la partie intéressée qui entend contester la validité de son affiliation pour l’imputer à faute à son employeur, de porter sa contestation devant la juridiction compétente en exerçant à l’encontre de l’institution émettrice les voies judiciaires ouvertes dans l’Etat membre dont cette institution relève (cf., notamment CJUE, 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05, Point 29) ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même constaté « que la validité de ces certificats E101 délivrés par le Royaume-Uni est susceptible d’être remise en question dans le cadre des présents litiges » ; qu’il en résultait l’incompétence de la juridiction prud’homale française pour connaître des litiges ; qu’en retenant au contraire que « la circonstance que la validité de ces certificats est susceptible d’être remise en question dans le cadre des présent s litige s ne saurait faire échec à la compétence du conseil de prud’hommes », la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des dispositions combinées des articles 14 du règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971 et 12 bis du règlement nº 574/72 du conseil du 21 mars 1972, remplacées par les dispositions des articles 13 du règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004 et 9 du règlement n° 987/2009 du 16 septembre 2009, tel qu’interprétées par la CJUE ;

2°/ qu’aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide par les autorités de l’État membre l’ayant délivré, le certificat E101, devenu A1, attestant de l’affiliation unique du salarié aux régimes sociaux de cet Etat pour une période donnée, lie les institutions de sécurité sociale et de retraite des autres Etats membres ainsi que les juridictions de ces Etats ; qu’il incombe à la partie intéressée qui entend contester la validité de son affiliation pour l’imputer à faute à son employeur, de porter sa contestation devant la juridiction compétente en exerçant à l’encontre de l’institution émettrice les voies judiciaires ouvertes dans l’Etat membre dont cette institution relève (cf., notamment CJUE, 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05, Point 29) ; qu’en l’espèce, pour retenir la compétence de la juridiction prud’homale française, la cour d’appel a considéré qu’il était loisible à celle-ci de remettre en cause la validité des certificats E101 délivrés par le Royaume-Uni, motif pris qu’il suffirait dans ce cas à la juridiction prud’homale « d’ordonner » à l’employeur d’obtenir des autorités britanniques le retrait desdits certificats : « si la juridiction saisie par un salarié qui demande le respect par l’employeur des obligations découlant pour celui-ci de l’application du contrat de travail devait ordonner des mesures de nature à remettre en cause les certificats E101, il lui appartiendrait donc d’ordonner également à cette société d’en tirer les conséquences et, pour le respect du principe d’unicité du régime de sécurité sociale, d’obtenir de l’organisme compétent que ceux-ci soient retirés » ; qu’en statuant ainsi, cependant que seules les juridictions britanniques ont le pouvoir d’ordonner à l’autorité compétente du Royaume-Uni de retirer les certificats E101 qu’elle avait délivrés, la cour d’appel a derechef violé les dispositions combinées des articles 14 du règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971 et 12 bis du règlement nº 574/72 du conseil du 21 mars 1972, remplacées par les dispositions des articles 13 du règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004 et 19 du règlement n° 987/2009 du 16 septembre 2009, tel qu’interprétées par la CJUE ;

3°/ que l’article 1er du règlement n° 44/2001 du conseil du 22 décembre 2000 exclut de son champ d’application toute question relative à « la sécurité sociale » ; qu’en l’espèce, pour justifier la compétence de la juridiction prud’homale française, la cour d’appel a fait application des articles 19 et 21 dudit règlement relatifs aux contrats individuels de travail ; qu’en statuant ainsi, cependant que les demandes des salariés concernaient leur affiliation au régime de sécurité sociale français, la cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article 1er du règlement n° 44/2001 du conseil du 22 décembre 2000, et, par fausse application, les articles 19 et 21 du même règlement ;

4°/ que selon l’article L. 1411-4 du code du travail, le conseil de prud’hommes n’est pas compétent matériellement pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi ; qu’il résulte de la législation communautaire, telle qu’interprétée par la CJUE, que l’appréciation de la validité des certificats E101 relève de la compétence des juridictions de l’Etat membre ayant délivré ces certificats ; qu’en l’espèce, pour justifier la compétence de la juridiction prud’homale française, la cour d’appel a retenu « qu’ainsi qu’en dispose l’article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud’hommes a compétence pour juger tous les litiges « qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail (...) » » ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article L. 1411-4 du code du travail et, par fausse application, l’article L. 1411-1 du même code ;

Mais attendu que la délivrance du certificat E 101, devenu A1, sur la base de déclarations unilatérales faites par un employeur auprès d’une institution de sécurité sociale d’un autre Etat membre ne saurait faire échec à la compétence du juge prud’homal français déterminée, en application de l’article 19 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, par les conditions d’accomplissement du travail et le choix des parties, pour constater que le salarié ne relève pas de la catégorie des travailleurs détachés au sens du droit européen et assurer le respect par cet employeur des stipulations du contrat de travail ;

Et attendu que la cour d’appel ayant constaté que les salariés, contractuellement affectés sur les bases de la société EasyJet aux aéroports de Paris-Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle à partir desquelles ils effectuaient leur travail, ne pouvaient pas être considérés comme des travailleurs détachés, que leurs contrats de travail prévoyaient qu’ils étaient soumis au droit français, affiliés à la Caisse de retraite du personnel navigant pour ce qui concerne le régime de retraite obligatoire et complémentaire, les charges sociales salariales ainsi que la CSG et la CRDS étant prélevées sur l’ensemble de leur rémunération, et qu’en cas de litige, les tribunaux français étaient exclusivement compétents, c’est à bon droit qu’elle a retenu que le juge prud’homal français était compétent pour connaître des demandes des salariés tendant au respect par l’employeur des obligations découlant de ces contrats, peu important qu’il puisse résulter de ces litiges, qui ne relèvent pas du droit de la sécurité sociale, l’obligation pour l’employeur d’obtenir le retrait des certificats E101 auprès de l’organisme les ayant délivrés ;

Qu’il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société EasyJet Airline Company Limited aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer aux cinquante-six défendeurs la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix juin deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen unique commun produit aux pourvois n ° K 13-27.799 à U 13-27.853 par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils pour la société EasyJet Airline Company Limited

Il est fait grief aux arrêts attaqués d’avoir rejeté les contredits de compétence de la juridiction prud’homale française au profit des tribunaux britanniques et d’avoir renvoyé les affaires au Conseil de prud’hommes de Bobigny ;

AUX MOTIFS PROPRES QU’ « il résulte des débats et des pièces produites que :

 la société easyJet Airline Company Limited est une compagnie aérienne de droit anglais qui dispose d’une base à l’aéroport de Paris-Orly depuis 2003 et d’une autre à celui de Roissy-Charles de Gaulle depuis 2008,

 le salarié est un pilote salarié par cette société, domicilié en dehors de France mais dans un État membre de l’Union européenne et affecté, aux termes de son contrat, et sous réserve de modification ultérieure, à la base de Roissy-Charles De Gaulle ou : de Paris-Orly ,

 l’établissement principal en France de la société easyJet Airline Company Limited est situé dans l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle depuis le début de l’année 2011,

 le salarié , ainsi qu’à ses côtés le Syndicat National des Pilotes de Ligne (ci-après S.N.P.L.), et parallèlement 54 autres pilotes dans une situation similaire, ont saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny de demandes tendant à voir dire que le contrat de travail de l’intéressé est soumis au droit français, que la société easyJet Airline Company Limited devra procéder à son affiliation au régime général de la sécurité sociale sous astreinte, acquitter les cotisations dues à ce titre, spécialement dire que la société devra le déclarer auprès de la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l’aéronautique civile (ci-après CRPN) et acquitter les cotisations correspondantes de façon rétroactive à compter du jour de son affectation à une base française, outre des demandes en paiement notamment de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture d’égalité entre salariés de la société et des conséquences de la non affiliation au régime de sécurité sociale français,

 saisi d’une exception d’incompétence soulevée par la société easyJet Airline Company Limited, le Conseil de prud’hommes a rendu le jugement frappé de contredit ;

Que le contrat de travail du salarié , qui prend la suite d’un précédent contrat conclu entre les mêmes parties, stipule notamment que :

 l’ensemble de la rémunération qu’il prévoit « sera soumis à déduction des charges sociales salariales ainsi qu’à la CSG et à la CRDS »,

 « easyJet est affiliée et cotise auprès de la CRPN (Caisse de retraite du personnel navigant) pour ce qui concerne le régime de retraite obligatoire et complémentaire » et que le salarié « accepte expressément que les cotisations salariales relatives au régime susvisé soient déduites de son salaire mensuel brut »,

 « le présent contrat est régi par les dispositions législatives et réglementaires françaises, tant pour son exécution que pour sa résiliation » et que « tout litige se rapportant au présent contrat sera de la compétence exclusive des tribunaux français » ;

Que le Conseil de prud’hommes, dans le jugement frappé de contredit, a fait application de l’article 19 du règlement CE n°44/2001 du 22 décembre 2000, estimant que le lieu où le pilote accomplit habituellement son travail est celui de sa base d’affectation, et à titre superfétatoire de son article 21, dont il a estimé qu’il donnait toute validité, en tant que de besoin, à la clause attributive de compétence insérée au contrat de travail ;

Qu’au soutien de son contredit, la société easyJet Airline Company Limited fait pour l’essentiel et à titre principal valoir que les pilotes sont tous affiliés au régime britannique de sécurité sociale, que l’organisme compétent au Royaume-Uni, le HMRC, leur a délivré à chacun le certificat prévu par la réglementation européenne, dit E101, devenu A1, et qu’il résulte de cette réglementation - dont le principe est que les travailleurs doivent être affiliés à un seul régime de sécurité sociale - et de l’interprétation qui en a été donnée dans plusieurs arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne que les juridictions de l’État membre qui a délivré ledit certificat sont seules compétentes pour en apprécier la validité ;

Que le salarié et le S.N.P.L. répliquent que la réglementation et la jurisprudence communautaires invoquées au soutien du contredit concernent uniquement les conflits d’affiliation entre institutions de sécurité sociale et qu’ils ont engagé une action relative au contrat de travail et que, de surcroît, les certificats E101 ont été obtenus par fraude ;

Qu’il doit être rappelé qu’ainsi qu’en dispose l’article L. 1411-1 du Code du travail, le Conseil de prud’hommes a compétence pour juger tous les litiges « qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du ... code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient » ;

Que les demandes formées par le salarié et le S.N.P.L. sont fondées sur le contrat de travail, dès lors qu’il résulte des stipulations de celui-ci, reproduites ci-dessus, que l’employeur s’y est engagé à cotiser pour le salarié auprès de la CRPN, que le prélèvement des charges sociales salariales y est également convenu, et généralement l’application de la loi française, stipulations dont est précisément demandée l’application ; que de même, est liée au contrat de travail la demande en réparation du préjudice qui naîtrait d’une inégalité de traitement entre les salariés de l’entreprise et de celui résultant de la non-affiliation du salarié au régime français de sécurité sociale ;

Que la société easyJet Airline Company Limited étant une société de droit anglais, dont le siège est au Royaume-Uni, il y a lieu de se référer par ailleurs, ainsi que l’ont fait les premiers juges, au Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, et spécialement à son article 19, lequel dispose qu’ « un employeur ayant son domicile sur le territoire d’un État membre peut être attrait :

1) devant les tribunaux de l’État membre où il a son domicile, ou

2) dans un autre État membre :

a) devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail, ou

b) lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant le tribunal du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur » ;

Que par ailleurs, il doit être rappelé qu’aux termes de l’article R. 1412-1 du Code du travail, le salarié peut saisir le Conseil de prud’hommes du lieu où l’employeur est établi ;

Qu’il en résulte que, la société easyJet Airline Company Limited ayant son établissement principal en France à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, le salarié pouvait saisir le Conseil de prud’hommes de Bobigny de ses demandes relatives à l’exécution de son contrat de travail ;

Que la réglementation européenne en matière de sécurité sociale qu’invoque la société easyJet Airline Company Limited pour écarter la compétence de cette juridiction et de toute juridiction française, concerne le droit applicable en matière de sécurité sociale ; qu’il n’est donc pas utile pour la Cour, saisie d’un contredit de compétence, d’en exposer le détail ;qu’il sera seulement rappelé que :

 un de ses objectifs est de « soumettre les personnes qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, afin d’éviter les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter » (préambule du Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale),

 la société easyJet Airline Company Limited considère, au contraire de ses salariés pilotes de nationalité étrangère affectés dans ses bases de Roissy-Charles de Gaulle et Paris-Orly et résidant dans d’autres États membres de l’Union, qu’elle devait conduire à leur appliquer le droit britannique,

 le Règlement (UE) n° 465/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 conduit désormais à retenir le principe de l’application aux pilotes du droit de l’État où est située leur base d’affectation, soit le droit français, de sorte que le litige soumis par le salarié au Conseil de prud’hommes ne concerne plus que la période antérieure à l’entrée en vigueur de ce dernier règlement,

 aucun des règlements pertinents ne comporte de disposition spéciale en matière de compétence juridictionnelle ;

Que la Cour de justice de l’Union européenne en a cependant tiré la conséquence, dans un arrêt du 26 janvier 2006 (affaire C-2/05, Herbosch Kiere) rendu dans le cadre d’un litige opposant une société à un office national de sécurité sociale au sujet du remboursement de cotisations payées par ladite société pour des travailleurs d’un autre État membre de l’Union en situation de détachement, en disant pour droit « qu’une juridiction de l’État membre d’accueil n’est pas habilitée à vérifier la validité d’un certificat E101 en ce qui concerne l’attestation des éléments sur la base desquels un tel certificat a été délivré, notamment l’existence d’un lien organique entre l’entreprise qui détache un travailleur et le travailleur détaché » ;

Qu’il sera cependant observé que :

 ladite décision concerne des travailleurs détachés, soit une situation totalement distincte de celle du salarié , employé en France selon un contrat expressément soumis au droit français,

 elle a été rendue dans un litige opposant l’employeur à un organisme de sécurité sociale, et non dans un litige opposant employeur et salarié,

 il n’est pas contesté que les certificats E101 affirmant l’affiliation au régime britannique de sécurité sociale des salariés concernés ont été demandés et obtenus par la société easyJet Airline Company Limited elle-même ;

Que si la juridiction saisie par un salarié qui demande le respect par l’employeur des obligations découlant pour celui-ci de l’application du contrat de travail devait ordonner des mesures de nature à remettre en cause les certificats E101, il lui appartiendrait donc d’ordonner également à cette société d’en tirer les conséquences et, pour le respect du principe d’unicité du régime de sécurité sociale, d’obtenir de l’organisme compétent que ceux-ci soient retirés ;

Qu’il en résulte que la circonstance que la validité de ces certificats est susceptible d’être remise en question dans le cadre du présent litige ne saurait faire échec à la compétence du Conseil de prud’hommes, seul juge des litiges que l’application du contrat de travail suscite entre l’employeur et le salarié ; (...) ;

Que le contredit sera, en conséquence, rejeté ; que l’affaire sera renvoyée au Conseil de prud’hommes de Bobigny » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « l’article 6 du Code de procédure civile dispose que : « à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder » ;

Que l’article 9 du Code de procédure civile dispose que : « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » ;

Que l’article 19 du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, section 5 dispose que : « Un employeur ayant son domicile sur le territoire d’un Etat membre peut être attrait :

1) devant les tribunaux de l’Etat membre où il a son domicile, ou

2) dans un autre Etat membre :

a) devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ou,

b) lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant le tribunal du lieu où se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur » ;

Que le règlement communautaire n°1899/2006 du 12 décembre 2006, qui dispose que chaque transporteur aérien doit désigner une base d’affectation pour chaque membre d’équipage, peut contribuer à déterminer le lieu dans lequel ou à partir duquel un salarié travaille habituellement ;

Qu’en l’espèce, l’article (...) du contrat de travail du salarié indique clairement que sa base opérationnelle d’affectation est l’aéroport Paris CDG ou : Paris-Orly , ce qui est recevable et suffisant pour caractériser le lieu de travail du salarié en France ;

Qu’une Cour d’appel ou une Cour européenne qui ne reconnaitrait pas l’aéroport Roissy Charles de Gaulle ou : les aéroports de la région parisienne comme lieu où le salarié accomplit habituellement son travail devrait néanmoins confirmer la compétence du Conseil de prud’hommes de Bobigny en vertu de l’article 21 du Règlement CE n°44/2001 du 22 décembre 2000, section 5 qui dispose que : « il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions attributives de juridiction :

1) postérieures à la naissance du différend, ou

2) qui permettent au travailleur de saisir d’autres tribunaux que ceux indiqués à la présente section » ;

Qu’en l’espèce le contrat de travail du salarié comporte, dans son article (...), une clause attributive de compétence libellée ainsi : « Tout litige se rapportant au présent contrat sera de la compétence exclusive des tribunaux français » ;

Que le différend est donc ici postérieur à la signature du ce contrat comportant une clause attributive ;

Qu’en tout état de cause, la clause attributive de juridiction prévue à l’article (...) du contrat de travail est opposable à la société easyJet ;

Qu’il n’est pas vain de souligner que cette disposition a été prise pour protéger le travailleur, en matière de contrats individuels de travail, les clauses attributives de juridiction devant donc être postérieures à la naissance du différend pour sortir leurs effets ; que cependant, le travailleur peut saisir le tribunal élu même si la clause d’élection de for est antérieure à la naissance du différend s’il l’invoque pour saisir d’autres tribunaux que celui du domicile du défendeur ; que la faculté n’est ainsi offerte qu’au travailleur demandeur ; que si la clause est conclue après la naissance du différend, le salarié est en mesure de savoir à ce moment quel est son intérêt tandis que si elle a été conclue avant la naissance du différend, la clause aura pour seul effet d’augmenter le choix de juridiction laissé au seul salarié en lui permettant éventuellement de saisir lui-même le tribunal désigné ;

Qu’il résulte de tout ce qui précède, en matière de dispositions légales relatives à la compétence de juridiction, à la clause attributive et à la caractérisation du lieu de travail habituel du salarié, qu’il y a lieu de recevoir l’exception d’incompétence et de la déclarer mal fondée, le Conseil de céans se déclarant compétent pour entendre du litige ;

Qu’en conséquence, la partie défenderesse peut être attraite devant le Conseil de céans (...) » ;

1°/ ALORS QU’ aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide par les autorités de l’État membre l’ayant délivré, le certificat E101, devenu A1, attestant de l’affiliation unique du salarié aux régimes sociaux de cet Etat pour une période donnée, lie les institutions de sécurité sociale et de retraite des autres Etats membres ainsi que les juridictions de ces Etats ; qu’il incombe à la partie intéressée qui entend contester la validité de son affiliation pour l’imputer à faute à son employeur, de porter sa contestation devant la juridiction compétente en exerçant à l’encontre de l’institution émettrice les voies judiciaires ouvertes dans l’Etat membre dont cette institution relève (cf., notamment CJUE, 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05, Point 29) ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel a elle-même constaté « que la validité de ces certificats E101 délivrés par le Royaume-Uni est susceptible d’être remise en question dans le cadre des présent s litige s » ; qu’il en résultait l’incompétence de la juridiction prud’homale française pour connaître des litiges ; qu’en retenant au contraire que « la circonstance que la validité de ces certificats est susceptible d’être remise en question dans le cadre des présent s litige s ne saurait faire échec à la compétence du Conseil de prud’hommes », la Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des dispositions combinées des articles 14 du règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971 et 12 bis du règlement nº 574/72 du Conseil du 21 mars 1972, remplacées par les dispositions des articles 13 du règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004 et 19 du règlement n° 987/2009 du 16 septembre 2009, tel qu’interprétées par la CJUE ;

2°/ ALORS QU’aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide par les autorités de l’État membre l’ayant délivré, le certificat E101, devenu A1, attestant de l’affiliation unique du salarié aux régimes sociaux de cet Etat pour une période donnée, lie les institutions de sécurité sociale et de retraite des autres Etats membres ainsi que les juridictions de ces Etats ; qu’il incombe à la partie intéressée qui entend contester la validité de son affiliation pour l’imputer à faute à son employeur, de porter sa contestation devant la juridiction compétente en exerçant à l’encontre de l’institution émettrice les voies judiciaires ouvertes dans l’Etat membre dont cette institution relève (cf., notamment CJUE, 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05, Point 29) ; qu’en l’espèce, pour retenir la compétence de la juridiction prud’homale française, la Cour d’appel a considéré qu’il était loisible à celle-ci de remettre en cause la validité des certificats E101 délivrés par le Royaume-Uni, motif pris qu’il suffirait dans ce cas à la juridiction prud’homale « d’ordonner » à l’employeur d’obtenir des autorités britanniques le retrait desdits certificats : « si la juridiction saisie par un salarié qui demande le respect par l’employeur des obligations découlant pour celui-ci de l’application du contrat de travail devait ordonner des mesures de nature à remettre en cause les certificats E101, il lui appartiendrait donc d’ordonner également à cette société d’en tirer les conséquences et, pour le respect du principe d’unicité du régime de sécurité sociale, d’obtenir de l’organisme compétent que ceux-ci soient retirés » ; qu’en statuant ainsi, cependant que seules les juridictions britanniques ont le pouvoir d’ordonner à l’autorité compétente du Royaume-Uni de retirer les certificats E101 qu’elle avait délivrés, la Cour d’appel a derechef violé les dispositions combinées des articles 14 du règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971 et 12 bis du règlement nº 574/72 du Conseil du 21 mars 1972, remplacées par les dispositions des articles 13 du règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004 et 19 du règlement n° 987/2009 du 16 septembre 2009, tel qu’interprétées par la CJUE ;

3°/ ALORS QUE l’article 1er du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 exclut de son champ d’application toute question relative à « la sécurité sociale » ; qu’en l’espèce, pour justifier la compétence de la juridiction prud’homale française, la Cour d’appel a fait application des articles 19 et 21 dudit règlement relatifs aux contrats individuels de travail ; qu’en statuant ainsi, cependant que les demandes des salariés concernaient leur affiliation au régime de sécurité sociale français, la Cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article 1er du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, et, par fausse application, les articles 19 et 21 du même règlement ;

4°/ ALORS QUE selon l’article L. 1411-4 du Code du travail, le Conseil de prud’hommes n’est pas compétent matériellement pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi ; qu’il résulte de la législation communautaire, telle qu’interprétée par la CJUE, que l’appréciation de la validité des certificats E101 relève de la compétence des juridictions de l’Etat membre ayant délivré ces certificats ; qu’en l’espèce, pour justifier la compétence de la juridiction prud’homale française, la Cour d’appel a retenu « qu’ainsi qu’en dispose l’article L. 1411-1 du Code du travail, le Conseil de prud’hommes a compétence pour juger tous les litiges « qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail (...) » » ; qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article L. 1411-4 du Code du travail et, par fausse application, l’article L. 1411-1 du même Code.
Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 17 octobre 2013