Société de portage transnational - personnel navigant - juridiction française

Arrêt n°632 du 09 septembre 2020 (18-22.971) - Cour de cassation - Chambre sociale - ECLI:FR:CCASS:2020:SO00632
Rejet

Demandeur(s) : La société SRSI

Défendeur(s) : M. K... A... ; et autre

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 17 mai 2018), M. A... a été engagé à compter du 21 mars 2016 par la société SRSI, société de portage international de droit andorran, suivant contrat à durée déterminée d’un an, en qualité de steward exerçant des missions pour des filiales africaines et européennes de la société Regourd aviation ayant son siège social à Paris. Le 12 septembre 2016, la société SRSI a notifié au salarié la rupture de son contrat de travail avec effet au 11 octobre 2016.

2. Le 7 novembre 2016, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Paris de demandes dirigées contre les sociétés Regourd aviation et SRSI et liées à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société SRSI fait grief à l’arrêt de dire qu’en application des articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi que de l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile, le conseil de prud’hommes de Paris est compétent pour connaître de l’ensemble des demandes formées par le salarié à l’encontre de la société SRSI SL et de la SA Regourd aviation et, en conséquence, de renvoyer pour le surplus l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Paris pour qu’il statue au fond sur le litige, alors :

« 1°/ que pour déterminer le tribunal devant lequel peut être attrait l’employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne par un membre du personnel navigant sur les avions d’une compagnie aérienne, le juge national doit notamment établir dans quel État membre se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail ; qu’à cet égard la notion de « base d’affectation » constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans l’identification des indices permettant de déterminer le lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail et, partant, la compétence d’une juridiction susceptible d’avoir à connaître d’un recours formé par lui ; que ce n’est que dans l’hypothèse où, compte tenu des éléments de fait de chaque espèce, ses demandes présenteraient des liens de rattachement plus étroits avec un endroit autre que celui de la « base d’affectation » que se trouverait mise en échec la pertinence de cette dernière pour identifier le lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ; qu’en l’espèce, la cour d’appel s’est bornée à constater que le tableau des vols effectués par M. A... pendant la relation contractuelle montre que sur les 41 vols assurés par l’intéressé, 14 vols étaient des vols intérieurs français, 14 vols avaient été opérés entre une ville et un aéroport français et 13 vols entre des villes européennes pour retenir que le lieu à partir duquel M. A... s’acquittait de l’essentiel de ses missions de personnel navigant, c’est-à-dire d’où il partait et où rentrait, était situé en France, et le plus souvent [...], avant de relever par des motifs surabondants que les consignes concernant le « catering » lui avaient été données en France, pour retenir la compétence du conseil de prud’hommes de Paris pour connaître du litige opposant le travailleur à la société andorrane SRSI ; qu’en statuant ainsi, quand il lui appartenait de se déterminer au regard de l’ensemble des indices sus énumérés, de rechercher la base d’affectation du travailleur et d’apprécier si celle-ci était pertinente pour identifier le lieu à partir duquel le travailleur accomplissait habituellement son travail, la cour d’appel a violé les articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

2°/ qu’en toute hypothèse le tribunal devant lequel peut être attrait l’employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne par un membre du personnel navigant sur les avions d’une compagnie aérienne est celui du lieu à partir duquel le travailleur s’acquitte de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur ; qu’en retenant la compétence du conseil de prud’hommes de Paris pour connaître du litige opposant K... A... à la société andorrane SRSI, quand elle constatait que le lieu à partir duquel K... A... s’acquittait de l’essentiel de ses missions de personnel navigant était situé en France, et le plus souvent à [...], non à Paris, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. »

Réponse de la Cour

4. Selon les règles de compétence prévues par l’article 21, paragraphe 1, du Réglement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 septembre 2017, Crewlink et Ryanair, C-168/16 et C-169/16) et la Cour de cassation (Soc., 28 février 2018, pourvoi n° 16-12.754 et 16-17.505, Bull. 2018, V, n° 38 et 39), l’employeur peut être attrait devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail, c’est-à-dire le lieu où ou à partir duquel il s’acquitte de fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur. S’agissant de personnel navigant d’une compagnie aérienne ou mis à sa disposition, les juridictions nationales doivent notamment établir dans quel État membre se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail. A cet égard, la notion de base d’affectation constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans l’identification des indices permettant de déterminer le lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail et, partant, la compétence d’une juridiction susceptible d’avoir à connaître d’un recours formé par eux, au sens de l’article 21 du règlement précité. Ce n’est que dans l’hypothèse où, compte tenu des éléments de fait de chaque cas d’espèce, des demandes présenteraient des liens de rattachement plus étroits avec un endroit autre que celui de la base d’affectation que se trouverait mise en échec la pertinence de cette dernière pour identifier le lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail. Il en résulte que si la notion de base d’affectation constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans la notion de lieu où ou à partir duquel le salarié navigant accomplit habituellement son travail, elle ne saurait y être assimilée.

5. Or, il résulte des conclusions de la société SRSI devant la cour d’appel qu’au soutien de la compétence de la juridiction andorrane dans le ressort de laquelle elle a son siège, la société SRSI se bornait à soutenir que le salarié n’avait pas exercé l’essentiel de ses activités en France, sans préciser quelle était sa base d’affectation. Dès lors, la cour d’appel n’était pas tenue de faire une recherche qui ne lui était pas demandée. Par ailleurs, la cour d’appel a retenu que la société Regourd aviation, ayant son siège à Paris, apparaissait comme un défendeur sérieux dès lors que le salarié exerçait contre elle, prise en sa qualité alléguée de coemployeur, une action directe et personnelle connexe à celle engagée à l’encontre de la société SRSI fondée notamment, et selon lui, par l’existence d’une opération de prêt de main d’oeuvre illicite. Elle en a déduit à bon droit que le salarié pouvait bénéficier de la prorogation de compétence prévue par l’article 42 du code de procédure civile et que le conseil de prud’hommes de Paris était territorialement compétent pour statuer sur l’ensemble de ses demandes.

6.Le moyen ne peut donc être accueilli en aucune de ses branches.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société SRSI aux dépens ;

Président : M. Huglo
Rapporteur : Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire
Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solane Vigand - SCP Rousseau et Tapie