Contrat de travail nul non

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 23 octobre 2013

N° de pourvoi : 12-19921

ECLI:FR:CCASS:2013:SO01758

Non publié au bulletin

Cassation

M. Blatman (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X..., professeur d’éducation physique et fonctionnaire de l’éducation nationale a conclu avec l’association Strasbourg Alsace basket club (l’association) une convention intitulée « contrat de travail », par laquelle il était engagé en qualité d’entraîneur d’une équipe féminine professionnelle, pour la période du 1er juillet 2008 au 31 mai 2011, avec prolongation jusqu’au 31 mai 2013 en cas de qualification de l’équipe à une coupe d’Europe ; que l’association a été placée en redressement judiciaire par jugement du 23 mars 2009, puis en liquidation judiciaire le 20 juillet 2009 ; que le 29 juillet 2009, le liquidateur a adressé une lettre de licenciement pour motif économique à M. X... ; que ce dernier a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir la fixation de sa créance du fait de la rupture ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 1315 du code civil et L. 1221-1 du code du travail ;

Attendu que pour déclarer la juridiction prud’homale incompétente et renvoyer l’affaire devant un tribunal de grande instance, l’arrêt retient que la preuve d’un contrat de travail incombe à la partie qui se prévaut de son existence ; qu’il s’ensuit qu’en l’espèce, M. X... supporte la charge de la preuve du contrat de travail qu’il invoque ; qu’il ne peut cependant tirer aucun élément probant ni de l’intitulé de la convention qu’il a conclue avec l’association aujourd’hui en liquidation judiciaire, ni des stipulations de la convention le désignant comme salarié en faisant référence au code du travail, ni des bulletins de salaire qu’il a reçus, ni de la circonstance que le liquidateur judiciaire a cru devoir lui adresser une lettre de licenciement lui notifiant la rupture d’un contrat de travail ; qu’il incombe à M. X... de démontrer qu’il a effectivement fourni des prestations de travail dans un rapport de subordination ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’intéressée bénéficiait d’un contrat de travail apparent et qu’il appartenait en conséquence au liquidateur et à l’AGS, qui en invoquaient le caractère fictif, d’en rapporter la preuve, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés ;

Et sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :

Vu l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 ;

Attendu que ce texte, qui réglemente le cumul d’une fonction publique et d’une activité privée lucrative, n’édicte pas la nullité des conventions de droit privé qui seraient passées en contravention à ces prescriptions et n’a aucune incidence sur leur qualification juridique ;

Attendu que pour déclarer la juridiction prud’homale incompétente matériellement et renvoyer l’affaire devant un tribunal de grande instance, l’arrêt retient que M. X... restait soumis au principe inchangé de l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, selon lequel les fonctionnaires consacrent l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées ; que M. X... était également soumis aux dispositions du décret n° 2007-658 du 2 mai 2007, qui, en ses articles 4 et suivants, impose aux fonctionnaires, pour exercer une activité accessoire, une autorisation préalable de leur administration ; que M. X... n’a jamais obtenu, ni même sollicité d’autorisation de son administration pour exercer une activité privée rémunérée, accessoire à sa fonction publique d’enseignant, au service de l’association Strasbourg Alsace basket club ; que M. X... ne pouvait donc se soustraire à l’autorité de son administration, à la disposition de laquelle il devait se maintenir, pour se placer dans un rapport de subordination à l’égard de l’association avec laquelle il avait contracté ; qu’en l’absence de rapport de subordination, la convention passée entre M. X... et l’association aujourd’hui en liquidation judiciaire, même si elle est valide, n’a pu instituer un contrat de travail ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 mars 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz ;

Condamne M. Y..., ès qualités, et l’AGS-CGEA de Nancy aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne M. Y..., ès qualités, et l’AGS-CGEA de Nancy à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils pour M. X...

Le moyen fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR déclaré matériellement incompétent le Conseil de prud’hommes et renvoyé l’affaire devant le Tribunal de grande instance de STRASBOURG.

AUX MOTIFS QUE la compétence de la juridiction prud’homale suppose l’existence d’un contrat de travail ; que la preuve d’un contrat de travail incombe à la partie qui se prévaut de son existence ; que cette preuve ne peut résulter ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur relation, mais seulement des conditions matérielles d’exécution de prestations de travail au service d’un employeur qui dispose du pouvoir de donner des directives, de contrôler leur respect et d’en sanctionner les manquements ; qu’il s’ensuit qu’en l’espèce, Monsieur José X... supporte la charge de la preuve du contrat de travail qu’il invoque ; qu’il ne peut cependant tirer aucun élément probant ni de l’intitulé de la convention qu’il a conclue avec l’association aujourd’hui en liquidation judiciaire, ni des stipulations de la convention le désignant comme salarié en faisant référence au code du travail, ni des bulletins de salaire qu’il a reçus, ni de la circonstance que le liquidateur a cru devoir lui adresser une lettre de licenciement lui notifiant la rupture d’un contrat de travail ; qu’il incombe à Monsieur José X... de démontrer qu’il a effectivement fourni des prestations de travail dans un rapport de subordination ; qu’or il se limite à présenter une attestation par laquelle Monsieur Marc Z..., anciennement président de l’association Strasbourg Alsace Basket Club et lui même fonctionnaire retraité de l’Education Nationale, a affirmé que dans le cadre de sa fonction d’entraîneur, Monsieur José X... était sous ses « instructions et directives » et qu’il devait lui rendre compte de son activité ; que cette attestation est contredite par la convention passée entre l’association et Monsieur José X..., laquelle stipulait à son article 1er : « dans le cadre de ses obligations, l’entraineur disposera d’un pouvoir discrétionnaire qui connaitra comme seules limites celles du cadre financier du Club, et celles du règlement intérieur, dans l’hypothèse de l’effectivité d’un tel règlement » ; que dès lors qu’un pouvoir discrétionnaire était contractuellement reconnu à l’entraineur, Monsieur José X... n’était pas soumis à un pouvoir de direction, de contrôle ou de sanction exercé par le dirigeant de l’association avec laquelle il avait conclu ; qu’en tout cas, faute pour Monsieur José X... de satisfaire à son obligation probatoire, l’existence d’un contrat de travail ne peut être retenue et, dès lors, la juridiction prud’homale n’a pas compétence ; qu’au surplus, il doit être relevé que Monsieur José X... était et demeure fonctionnaire de l’Etat en position d’activité ; que la convention qu’il a souscrite ne se heurtait certes plus à l’interdiction faite aux fonctionnaires d’occuper un emploi privé rétribué ou d’effectuer à titre privé un travail moyennant rétribution, qui était énoncée à l’ancien article L 324-1 du code du travail et qui a été abrogée par la loi 2007-148 du 2 février 2007 sur la modernisation de la fonction publique ; qu’il est également jugé que les dispositions qui réglementent le cumul d’une fonction publique et d’une activité privée lucrative ne frappent pas de nullité les conventions de droit privé passées en contradiction à cette réglementation ; que cependant Monsieur José X... restait soumis au principe inchangé de l’article 25 de la loi 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, selon lequel les fonctionnaires consacrent l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées ; que Monsieur José X... était également soumis aux dispositions du décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d’activité des fonctionnaires et pris pour l’application de ladite loi sur la modernisation de la fonction publique ; qu’en ses articles 4 et suivants, ce décret impose aux fonctionnaires, pour exercer une activité accessoire, une autorisation préalable de leur administration ; qu’or Monsieur José X... n’a jamais obtenu, ni même sollicité d’autorisation de son administration pour exercer une activité privée rémunérée, accessoire à sa fonction publique d’enseignant, au service de l’association Strasbourg Alsace Basket Club ; que Monsieur José X... ne pouvait donc se soustraire à l’autorité de son administration, à la disposition de laquelle il devait se maintenir, pour se placer dans un rapport de subordination à l’égard de l’association avec laquelle il avait contracté ; qu’il s’ensuit qu’en l’absence de rapport de subordination, la convention passée entre Monsieur José X... et l’association aujourd’hui en liquidation judiciaire, même si elle est valide, n’a pu instituer un contrat de travail ; qu’il s’en déduit encore qu’à défaut de contrat de travail, la juridiction prud’homale initialement saisie n’est pas matériellement compétente.

ALORS QU’en présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve ; que pour dire incompétente la juridiction prud’homale saisie par l’exposant, engagé en qualité d’entraineur sportif, aux fins de voir fixer la créance afférente à la rupture anticipée du contrat à durée déterminée conclu avec l’association Strasbourg Alsace Basket Club à la suite de la procédure de liquidation judiciaire engagée à l’égard de celle-ci, la cour d’appel, après avoir relevé la conclusion d’un contrat de travail, les stipulations de la convention ainsi conclue avec l’association le désignant comme salarié en faisant référence au code du travail, les bulletins de salaire et la lettre de licenciement adressée par le liquidateur, ce dont résultait l’existence d’un contrat de travail apparent a dit que la preuve de l’existence du lien de subordination incombait à Monsieur X... et considéré que le requérant n’apportait pas la preuve qui lui incombait qu’il exerçait en qualité d’entraîneur des fonctions dans un lien de subordination avec le club ; qu’en inversant ainsi la charge de la preuve, la cour d’appel a violé l’article 1315 du Code civil.

ALORS subsidiairement QUE le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’ainsi que le soutenait l’exposant, l’accomplissement effectif de son activité d’entraineur sportif de l’équipe de basket-ball dans les conditions prévues au contrat conclu avec le club, contrat qui définissait précisément les obligations de l’exposant sous la direction et le contrôle des dirigeants du club, le plaçait dans un état de subordination, et que ces conditions étaient corroborées par une attestation dans laquelle le président de l’association témoignait de ce que l’exposant exerçait son activité sous ses instructions et ses directives et devait lui rendre compte ; qu’en n’examinant pas lesdites clauses, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L 1221-1 du Code du travail.

ALORS surtout QUE le contrat stipulait, en son article 1er, que « dans le cadre de ses obligations, l’entraineur disposera d’un pouvoir discrétionnaire qui connaitra comme seules limites celles du cadre financier du Club, et celles du règlement intérieur, dans l’hypothèse de l’effectivité d’un tel règlement » ; qu’en jugeant que cette clause était exclusive de tout lien de subordination juridique alors que le pouvoir « discrétionnaire » n’était reconnu que dans le cadre des obligations énoncées au même article et, en outre, dans les limites financières déterminées par la direction ainsi que des règles disciplinaire, la Cour d’appel a dénaturé ladite clause et partant, violé l’article 1134 du Code civil.

ET ALORS enfin QUE la méconnaissance de la réglementation relative au cumul d’une fonction publique et d’une activité privée lucrative n’affecte ni la validité, ni la qualification des conventions de droit privé ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que pour dire incompétente la juridiction prud’homale saisie par l’exposant, fonctionnaire et engagé en qualité d’entraineur sportif par une association, aux fins de voir fixer sa créance afférente à la rupture anticipée de son contrat à durée déterminée, la cour d’appel a retenu que celui-ci n’ayant pas sollicité d’autorisation du cumul d’activités, il ne pouvait en conséquence se soustraire à l’autorité de son administration pour se placer dans un rapport de subordination à l’égard de l’association et qu’il s’ensuit qu’en l’absence de rapport de subordination, la convention, même valide, n’a pas instituer un contrat de travail ; qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a violé l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant statut général des fonctionnaires, les articles 20 à 25 de la loi du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique et l’article 4 du décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d’activités des fonctionnaires, ensemble l’article L 1221-1 du Code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Colmar , du 27 mars 2012