Contribution spéciale - décision QPC Conseil constitutionnel - cumul oui

Décision n° 2016-621 QPC

du 30 mars 2017

(Société Clos Teddi et autre)

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 30 décembre
2016 par le Conseil d’État (décision n°404240 du 28 décembre 2016), dans
les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question
prioritaire de constitutionnalité posée pour les sociétés
Le Clos Teddi et La Cave Lazzarini pa lar SCP Tomasi, Santini,
Vaccarezza, Bronzini de Caraffa, Taboureau, avocat au barreau de Bastia.

le n° 2016-621 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés
que la Constitution garantit de l’articleL. 8253-1 du code du travail, dans
sa rédaction résultant de la loi n° -1509 du 29 décembre 2012 de
finances pour 2013.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code du travail ;

– la loin° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour
2013 ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le
Conseil constitutionnel pour les questions pri ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées pour les sociétés requérantes par
Me Angeline Tomasi, avocat au barreau de Bastia, enregistrées le 6 février
2017 ;

– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées
le 23 janvier 2017 ;

– les pièces produites et jointes au dossier ;

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Après avoir entendu Me Benoît Bronzini de Caraffa, avocat au
barreau de Bastia,pour l sesociétés requérantes, et M. Xavier Pottier,
désigné parle Premier ministre, à l’audience publique du 21 mars 2017 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE
QUI SUIT :

1. L’article L. 8253-1 du code du travail, dans sa rédaction
résultant de lloia du 29 décembre 2012mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées
à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en
méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1
acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une
contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est
déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Il est, au
plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article
L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d’infractions
ou en cas de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités
dus au salarié étranger sans titre mentionné à l’article R. 8252-6. Il est
alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de
réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux.
« L’Office français de l’immigration et de l’intégration est chargé
de constater et de liquider cette contribution.
« Elle est recouvrée par l’État comme en matière de créances
étrangères à l’impôt et au domaine.
« Les sommes recouvrées par l’État pour le compte de l’Office
français de l’immigration et de l’intégration lui sont reversées dans la limite
du plafond fixé au I de l’article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre
2011 de finances pour 2012. L’État prélève 4 % des sommes reversées au
titre des frais de recouvrement ».

2. Les sociétés requérantes soutiennent queces dispositions,qui
n’excluentpas leur application cumulative avec celles del’article L 8.256-2
du code du travail et permettent ainsi qu’un employeur soit poursuivi et
sanctionné deux fois pour les mêmes faits, sont contraires aux principes de
nécessité et de proportionnalité des délits et des peines.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité
porte surle premier alinéa de l’article L. 8253-1 du code du travail.

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4. Selon l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et
évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi
établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».
Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines
prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction
ayant le caractère d’une punition. Le principe de nécessité des délits et des
peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même
personne puissent faire l’objetde poursuites différentes aux fins de
sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si
l’éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un
cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état
de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne
dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.

5. L’article L. 8253-1 du code du travail oblige l’employeur
d’un étrangernon autorisé à exercer une activité salariée en France à
acquitterune contribution spéciale, dont le montant est, au plus, égal à
5 000 fois le taux horaire du salaireminimum garanti. Ce montant peut être
minoré en cas de non-cumul d’infractions ou en cas de paiement spontané
par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger. Ilest
alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de
réitération est et alors, au plus, égal à 15000 fois ce même taux.

6. L’article L. 8256-2 du code du travail punit ces mêmes faits
d’une peine d’emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 15 000
euros. Ces peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 100000
eurosd’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée. Les
personnes morales encourent le quintuple de l’amende. Par ailleurs, en
vertu desarticles L. 8256-3 et L. 8256-7du même code, la peine peut être
assortie de peines complémentaires, comme l’interdiction d’exercer pour
une durée de cinq ans au plus, l’exclusion des marchés publics, la
confiscation ainsi que, pour les personnes morales, la dissolution.

7. Les sanctions pécuniaires pouvant être prononcées contre
l’employeur d’étrangers non autorisés à travailler, sur le fondement des
dispositions contestées et de l’article L. 8256-2 du code du travail, sont
comparables dans leur montant. En revanche, le juge pénal peut condamner
l’auteur d’une telle infraction à une peine d’emprisonnement ou, s’il s’agit
d’une personne morale, à une peine de dissolution, ainsi qu’à plusieurs
peines complémentaires. Il résulte de ce qui précède que les faits prévus et
réprimés par les articles précités doivent être regardés comme susceptibles
de faire l’objet de sanctions de nature différente. Le grief tiré de la

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méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines
doit donc être écarté.

8. Le premier alinéa de l’article L. 8253-1 du code du travail,
qui neméconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. – Le premier alinéa de l’article L. 8253-1 du code du travail,
dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de
finances pour 2013, est conforme à la Constitution.

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officielde la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de
l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 mars
2017, où siégeaient : M. LaurentFABIUS, Président, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel
JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel
PINAULT.

Rendu publicle 30 mars 2017.