Dissimulation emploi salarié

Le : 17/09/2015

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 1 juillet 2015

N° de pourvoi : 13-26727

ECLI:FR:CCASS:2015:SO01172

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Béraud (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Foussard, Froger, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu selon l’arrêt attaqué que M. X..., engagé à compter du 25 mai 2010 par la société TPE logistique en qualité de chauffeur-livreur, a été licencié pour faute grave le 10 octobre 2011 ; que le 12 juin 2012, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte directement à l’encontre de la société, Mme Y... étant désignée liquidateur ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen :

Vu les articles L. 8221-5 1° dans sa rédaction alors applicable et L. 8223-1 du code du travail ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande relative à l’indemnité forfaitaire de six mois de salaire pour travail dissimulé l’arrêt retient que si le fait matériel de l’absence de déclaration préalable à l’embauche du salarié intervenue le 25 mai 2010 et de l’absence de déclaration annuelle des données sociales émanant de la société est établi par les deux lettres de l’Urssaf, rien ne vient démontrer que la société se soit volontairement soustraite aux deux formalités légalement obligatoires pour tout employeur ; qu’au contraire la société a délivré à bonne date au salarié tous les bulletins de paie revêtus de toutes les mentions requises en matière d’heures de travail effectuées et qui ont été versés aux débats ; que cette délivrance des bulletins de paie contredit formellement tout caractère intentionnel à la façon dont l’employeur a pu se soustraire aux deux types de déclarations obligatoires ;

Qu’en statuant ainsi alors que le travail dissimulé étant constitué notamment soit par le défaut intentionnel de déclaration d’embauche soit par le défaut intentionnel de remise de bulletins de paye exacts, l’absence de travail dissimulé par défaut de déclaration d’embauche ne peut en aucun cas résulter du constat de la remise de bulletins de paye exacts, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le troisième moyen :

Vu l’article 3 du protocole relatif aux frais de déplacement du 30 avril 1974 conclu en application de l’article 10 de l’annexe I de la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 modifié par l’avenant n° 54 du 14 décembre 2009 en son tableau ;

Attendu que pour fixer à une certaine somme le montant de l’indemnité conventionnelle de repas unique de nuit pour chaque jour de travail effectif, l’arrêt retient le taux de 7,45 euros pour deux cent soixante-dix-huit jours correspondant à un horaire fixe de service quotidien du salarié de 15 heures 15 à 23 heures couvrant toute la période comprise entre 18 heures 45 et 21 heures 15 ;

Qu’en statuant ainsi alors que l’indemnité de repas correspondant à l’article 3 alinéa 1er s’élève à 12,44 euros et non à 7,45 euros qui correspond à l’article 12 et à l’indemnité de repas unique de nuit pour un travail d’au moins quatre heures effectif entre 22 heures et 7 heures, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dit non établi le travail dissimulé et déboute le salarié de ses demandes en paiement d’une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et en paiement de l’indemnité conventionnelle de repas unique de nuit pour chaque jour de travail effectif, l’arrêt rendu le 26 septembre 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux, autrement composée ;

Condamne Mme Y..., ès qualités, aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour M. X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L’arrêt attaqué encourt la censure EN CE QU’IL a décidé que le travail dissimulé n’était pas établi, rejetant, par conséquent, la demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

AUX MOTIFS QUE selon l’article L. 8221-5 du code du travail est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur : 1) Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ; 2) Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II livre 1er de la troisième partie ; 3) Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales ; Qu’invoquant les réponses obtenues de l’URSSAF de la Vienne par courriers, régulièrement versés aux débats, du 10 juillet 2012 et du 19 juin 2013 (ses pièces n°25 et n° 25bis), selon lesquels, la SARL TPE LOGISTIQUE n’a fourni : - aucune déclaration annuelle des données sociales (DADS) mentionnant l’ensemble des personnes composant l’effectif salarié ainsi que le montant des salaires annuels perçus par chacune, - aucune déclaration préalable à l’embauche (DPAE) au nom de Monsieur Saïd X... ; que ce dernier sollicite de la cour l’application de l’article L. 8223-1 du code du travail selon lequel, en cas de rupture du contrat de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5, a droit à une indemnité forfaitaire égale au moins à six mois de salaire ; Que si les deux courriers ci-dessus établissant le fait matériel que l’URSSAF de Vienne n’a pas retrouvé de déclaration préalable à l’embauche de Monsieur Saïd X... intervenue le 25 mai 2010, ni de déclaration annuelle des données sociales émanant de la SARL TPE LOGISTIQUE, qu’aucun élément ne vient démontrer que la SARL se soit volontairement soustrait aux deux formalités légalement obligatoires pour tout employeur ; Qu’au contraire, la SARL a délivré à bonne date à Monsieur Saïd X... tous les bulletins de paie revêtus de toutes les mentions requises en matière d’heures de travail effectuées et qui ont été versées aux débats ; Que cette délivrance des bulletins de paie contredit formellement tout caractère intentionnel à la façon dont l’employeur a pu se soustraire aux deux types de déclaration obligatoires ; Que la cour observe en outre qu’en raison du jugement d’ouverture de procédure collective avec placement direct de la SARL en liquidation judiciaire intervenu au 12 juin 2012, la gérante de la société a pu avoir d’autres soucis urgents en fin d’année 2011 et en début d’année 2012 que de se conformer scrupuleusement aux formalités d’établissement de la déclaration annuelle des données sociales récapitulant les salaires versés aux salariés au cours des années 2010 et 2011, ou que de vérifier si le salarié licencié pour faute grave le 20 octobre 2011 avait fait l’objet d’une déclaration d’embauche lors de son arrivée l’année précédente ; Que faute de démonstration d’une soustraction intentionnelle de la part de l’employeur aux deux formalités omises, ne peut recevoir application au cas d’espèce, ni l’article. 8221-5, ni, par voie de conséquence, l’article L. 8223-1 du code du travail,

ALORS QUE, premièrement, le fait qu’un salarié ait travaillé pour le compte d’une entreprise pendant plusieurs mois sans avoir fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche caractérise la dissimulation d’emploi ; de sorte qu’en décidant, en l’espèce, que la soustraction intentionnelle à l’obligation de déclaration préalable à l’embauche n’était pas établie tout en constatant que la société TPE LOGISTIQUE n’avait pas effectué, au mois de mai 2010, ni même postérieurement, une déclaration préalable à l’embauche et que Monsieur X... avait néanmoins travaillé au sein de cette entreprise du 25 mai 2010, date de son embauche, au 20 octobre 2011, date de son licenciement, soit pendant environ 17 mois, ces faits étant suffisants pour caractériser la dissimulation d’emploi, en se fondant sur le motif inopérant selon lequel la gérante de la société avait pu avoir d’autres « soucis urgents » à la fin de l’année 2011 et en début d’année 2012 que de vérifier si le salarié licencié pour faute grave le 20 octobre 2011 avait fait l’objet d’une déclaration d’embauche lors de son arrivée l’année précédente, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions de l’article L. 8221-5, 1° du code du travail ;

ALORS QUE, deuxièmement, à partir de 2011, le fait, pour un employeur, de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales (déclaration annuelle des données sociales) caractérise la dissimulation d’emploi ; de sorte qu’en décidant, en l’espèce, que la soustraction intentionnelle à l’obligation de déclaration annuelle des données sociales n’était pas établie, tout en constatant que la société TPE LOGISTIQUE n’avait pas effectué, ni à la fin de l’année 2011 ni à la fin de l’année 2012, les déclarations annuelles des données sociales, en se fondant sur le motif inopérant selon lequel la gérante de la société avait pu avoir d’autres « soucis urgents » à la fin de l’année 2011 et en début d’année 2012 que de se conformer scrupuleusement aux formalités d’établissement de la déclaration annuelle des données sociales récapitulant les salaires versés aux salariés au cours des années 2010 et 2011, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions de l’article L. 8221-5, 3° du code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

L’arrêt attaqué encourt la censure

EN CE QU’IL a décidé que le licenciement de Monsieur X... était régulier et fondé sur une faute grave, le déboutant de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS QU’il incombe à l’employeur d’établir la faute grave qu’il invoque ; qu’en l’espèce, il n’existe aucune discussion ni controverse sur la réalité des absences injustifiées de Monsieur Saïd X..., relevées du 08 août au 20 octobre 2011, reconnues par lui devant les conseillers prud’hommes comme le mentionne le jugement ; cette réalité du motif de licenciement pour faute grave est parfaitement établie pour les multiples absences injustifiées du salarié malgré les mises en demeure répétées de l’employeur ;

ALORS QUE, premièrement, la faute grave n’est caractérisée qu’en présence d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis ; que les absences d’un salarié ne sont de nature à caractériser la faute grave que lorsqu’elles révèlent un abandon de poste ou une insubordination ; de sorte qu’en décidant, en l’espèce, que Monsieur X... avait commis une faute grave en se bornant à relever l’existence d’absences injustifiées sans caractériser un abandon de poste ou une insubordination de Monsieur X... ou, à tout le moins, le caractère délibéré des absences, ni même préciser les dates, durées et circonstances de ces absences, la Cour d’appel n’a pas mis la cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail ;

ALORS QUE, deuxièmement, la faute grave est celle qui rend impossible la poursuite des relations de travail ; qu’ainsi la poursuite des relations de travail pendant la procédure de licenciement met obstacle à la qualification de faute grave ; de sorte qu’en décidant, en l’espèce, que Monsieur X... avait commis une faute grave tout en faisant état d’absences au cours de la période du 8 août au 20 octobre 2011, date de la notification de la mesure de licenciement, ce qui faisait ressortir que Monsieur X... n’avait pas été mis à pied à titre conservatoire entre le 30 septembre 2011, date la convocation à l’entretien préalable à licenciement, qui s’est déroulé le 11 octobre 2011, et le 20 octobre 2011, date de la notification de la mesure de licenciement, sans préciser les raisons pour lesquelles l’employeur n’avait pas souhaité mettre à pied Monsieur X... à titre conservatoire, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision, violant les articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

L’arrêt attaqué encourt la censure

EN CE QU’IL a confirmé le jugement fixant à 2.071,10 ¿ (7,45¿ x 278 jours) la créance de Monsieur X... sur la liquidation judiciaire de la société TPE LOGISTIQUE au titre des indemnités conventionnelles de repas unique de nuit pour chaque jour de travail effectif,

AUX MOTIFS QU’un protocole entre partenaires sociaux du 30 avril 1974, pris en application de l’article 10 de l’annexe I de la convention collective nationale des transports, applicable au contrat de travail, prévoit en son article 3, pour le personnel ouvrier obligé, en raison d’un déplacement imposé par le service, de prendre son repas hors de son lieu de travail, une indemnité de repas fixée par le tableau joint au protocole ; qu’est réputé obligé de prendre son repas hors de son lieu de travail le personnel qui effectue un service dont l’amplitude couvre entièrement les périodes comprises, soit entre 11 heures 45 et heures 15, soit entre 18 heures 45 et 21 heures 15 ; Qu’en l’espèce, l’horaire fixe de service de 15 heures 15 à 23 heures de Monsieur Saïd X... couvre entièrement la période de 18 heures 45 à 21 heures 15 ; Qu’invoquant la note de service n°6 du 1er juillet 2003 et une note intitulée « rappel des notes de service ; chauffeurs tournée de Bordeaux » du 1er septembre 2010 disposant que « les frais de remboursement de repas se font exclusivement sur justificatifs (factures) ; si ce droit n’est pas utilisé, aucun autre remboursement quel qu’il soit ne sera pris en compte », que la SARL n’a versé aucune indemnité conventionnelle de repas à Monsieur Saïd X... au motif qu’il n¿a jamais présenté de justificatif de ses dépenses de repas pris hors de son lieu de travail ; Qu’or, la convention collective et son protocole annexe font ici la loi des parties ; Que comme l’ont exactement retenu les premiers juges, l’indemnité de repas unique de nuit de 7,45 ¿ par jour de travail est due, dès lors que l’horaire fixe de service quotidien de ce salarié de 15 heures 15 à 23 heures du lundi au vendredi couvre la période comprise entre 18 h45 et 21 heures 15 ;

ALORS QUE le personnel ouvrier qui se trouve, en raison d’un déplacement impliqué par le service, obligé de prendre un ou plusieurs repas hors de son lieu de travail, perçoit pour chacun des repas une indemnité de repas dont le taux est fixé par le tableau joint au protocole du 30 avril 1974 relatif aux frais de déplacement annexé à la convention collective nationale des transports routiers ; qu’est réputé obligé de prendre son repas hors du lieu de travail le personnel qui effectue un service dont l’amplitude couvre entièrement la période comprise entre 18 h 45 et 21 h 15 ; que le taux de cette indemnité de repas a été conventionnellement fixé à 12,44 ¿ à compter du 22 février 2010 ; de sorte qu’en retenant, en l’espèce, un taux de 7,45 ¿ pour fixer la créance de Monsieur X... sur la liquidation judiciaire de la société TPE LOGISTIQUE tout en constatant que l’horaire fixe de service quotidien de ce salarié, de 15 heures 15 à 23 heures du lundi au vendredi, couvrait la période comprise entre 18 h45 et 21 heures 15, la Cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article 3 du protocole du 30 avril 1974 relatif aux frais de déplacement annexé à la convention collective nationale de travail des transports routiers et, par fausse application, l’article 12 du même protocole.

Décision attaquée : Cour d’appel de Bordeaux , du 26 septembre 2013