établissement en France oui

Conseil d’État

N° 326514

Inédit au recueil Lebon

9ème sous-section jugeant seule

M. Jean-Pierre Jouguelet, président

M. Matthieu Schlesinger, rapporteur

M. Pierre Collin, rapporteur public

SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET, avocat(s)

lecture du jeudi 12 avril 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 mars et 26 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Roger A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt n° 06MA02121 du 5 février 2009 de la cour administrative d’appel de Marseille, en tant qu’après avoir d’une part, réformé le jugement n° 0203721 du 29 juin 2006 par lequel le tribunal administratif de Marseille, après avoir constaté un non-lieu à statuer à concurrence des sommes dégrevées en cours d’instance, avait rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la décharge de la pénalité mise à la charge de la société Etis International sur le fondement de l’article 1763 A du code général des impôts et, d’autre part, réduit le montant de l’assiette de cette pénalité de 68 792 euros, il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la décharge de cette pénalité ;

2°) réglant l’affaire au fond, de prononcer la décharge des pénalités restant en litige ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention entre la France et l’Irlande du 21 mars 1968 tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

 le rapport de M. Matthieu Schlesinger, Auditeur,

 les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. A,

 les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. A ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à l’issue d’une vérification de comptabilité diligentée au titre des exercices 1996 et 1997 à l’égard de la société de droit irlandais Etis international, qui exerçait une activité d’achat-revente de matériel industriel à destination de l’Afrique du Nord, l’administration a estimé que l’activité de cette société était exercée en France par l’intermédiaire d’un établissement stable situé au domicile de M. A ; qu’en l’absence de déclaration de résultat, la société Etis International a été taxée d’office, en application des articles L. 66 et L. 68 du livre des procédures fiscales, à l’impôt sur les sociétés à raison de son bénéfice réalisé en France, reconstitué à partir des éléments saisis dans le cadre de la mise en oeuvre de la procédure de visite et de saisie prévue à l’article L. 16 B du même livre ; qu’en application des dispositions de l’article 117 du code général des impôts, la société a par ailleurs été invitée, par lettre du 17 mai 1999, à désigner le ou les bénéficiaires des sommes réputées distribuées ; qu’en l’absence de réponse de sa part à cette demande, la société Etis International a été assujettie à la pénalité prévue par l’article 1763 A du même code, encourue par les sociétés ou personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l’intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont elles ne révèlent pas l’identité et égale à 100 % des sommes versées ou distribuées ; que, compte tenu de sa qualité d’associé gérant de la société, l’administration fiscale a estimé que la responsabilité solidaire de M. A était engagée pour le paiement de cette pénalité sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 1763 A du code général des impôts, à concurrence de la somme totale de 850 838 euros ; qu’à la suite d’une réclamation contentieuse introduite par le contribuable, l’administration a décidé de réduire cette pénalité respectivement à un montant de 160 111 euros et de 189 816 euros au titre de 1996 et de 1997 ; que M. A a saisi le tribunal administratif d’une demande en décharge de cette pénalité ; qu’il se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 5 février 2009 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, après avoir réformé le jugement du tribunal en date du 29 juin 2006 rejetant ses conclusions tendant à la décharge de la pénalité en litige et réduit le montant de l’assiette de cette pénalité de 68 792 euros, a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la décharge totale de cette pénalité ;

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 2 de la convention entre la France et l’Irlande du 21 mars 1968 tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu : “9. Le terme “établissement stable” désigne une installation fixe d’affaires où une entreprise exerce tout ou partie de son activité. / a) Constitue notamment un établissement stable : / aa) un siège de direction (...)” ; qu’aux termes de l’article 4 de cette même convention : “Les bénéfices industriels et commerciaux d’une entreprise d’un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l’entreprise n’exerce une activité industrielle ou commerciale dans l’autre Etat contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé. Si l’entreprise exerce une telle activité, l’impôt peut être perçu dans l’autre Etat sur les bénéfices de l’entreprise, mais uniquement dans la mesure où ces bénéfices sont imputables audit établissement stable. (...)” ; qu’aux termes du I. de l’article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d’imposition en litige : “I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés d’après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions.” ;

Considérant qu’après avoir relevé, d’une part, que la société Etis International disposait d’une adresse et d’un compte bancaire en Irlande et avait recours à un mandataire implanté dans ce pays pour commercialiser, en son nom et pour son compte, les produits se rapportant au secteur de la pétrochimie et, d’autre part, que les éléments recueillis lors de la visite domiciliaire effectuée en juin 1998 au domicile français de M. A avaient révélé que ce dernier était le seul à disposer de la signature sociale et effectuait l’intégralité du suivi des contrats commerciaux et des actes de gestion de cette société depuis son domicile, la cour a pu, par une appréciation exempte de dénaturation, en déduire, sans commettre d’erreur de droit ni entacher son arrêt de contradiction de motifs, que les circonstances que la société ait eu recours, pour les besoins de son activité, à un agent indépendant situé en Irlande et qu’elle ait disposé d’une adresse dans ce pays ne faisaient pas obstacle à ce qu’elle fût regardée comme dirigée et contrôlée depuis la France ; que la cour n’a pas davantage commis d’erreur de droit en déduisant de ces constatations qu’en l’absence d’établissement stable situé en Irlande, les bénéfices de la société Etis International étaient imposables en France en application des stipulations précitées du 1. de l’article 4 de la convention entre la France et l’Irlande du 21 mars 1968 tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu ;

Considérant, en deuxième lieu, que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que M. A n’était pas fondé à se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des termes de l’instruction administrative 4 H-1413 du 1er mars 1995 selon lesquels les entreprises étrangères qui effectuent en France des opérations par l’entremise de représentants ayant une personnalité distincte de la leur échappent à l’impôt en France lorsqu’elles ne peuvent être réputées y exercer leur activité, dès lors que cette instruction ne procédait pas à une interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il a été fait application ;

Considérant, en troisième lieu, qu’après avoir relevé dans les motifs de son arrêt que M. A avait justifié de l’existence, au titre de l’exercice clos en 1996, d’écarts de règlements en défaveur de la société Etis International, pour un montant de 250 706 F, devant être pris en compte pour déterminer l’assiette des pénalités au paiement desquelles il était solidairement tenu, la cour n’a, contrairement à ce qui est soutenu par le requérant, pas dénaturé les pièces du dossier en jugeant que ce montant devait être diminué des écarts de règlement constatés pour un montant de 57 612 F en faveur de la société au titre de cet exercice ;

Considérant toutefois, en dernier lieu, que le requérant soutenait, dans ses écritures d’appel, qu’il y avait lieu de prendre en compte, dans le calcul du résultat de l’exercice 1997, une provision égale au montant total du chiffre d’affaire, soit 414 788 F, dès lors que les livraisons à destination de son unique client, la société Etis Maghreb située en Algérie, n’avaient donné lieu à aucun paiement, en dépit des démarches amiables puis contentieuses engagées par la société ; que l’administration contestait devant la cour le bien-fondé de ce montant ; qu’après avoir relevé que les provisions concernées avaient été régulièrement constituées dans les conditions prévues par les dispositions du 5° du 1 de l’article 39 du code général des impôts, la cour n’a pu, sans dénaturer les pièces du dossier, évaluer à 258 152 F le montant des provisions devant venir en déduction des résultats imposables de la société Etis International au titre de l’exercice clos en 1997, dès lors que ce dernier montant correspondait exactement au montant des charges d’exploitation admises par l’administration en déduction du résultat imposable ; que, par suite, M. A est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque en tant seulement que la cour a statué sur ses conclusions relatives au montant de la pénalité mise solidairement à sa charge sur le fondement de l’article 1763 A du code général des impôts au titre de l’exercice 1997 ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des sommes exposées par M. A dans la présente instance ;

D E C I D E :


Article 1er : L’arrêt du 5 février 2009 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé en tant que la cour a statué sur les conclusions de M. A relatives au montant de la pénalité mise solidairement à sa charge sur le fondement de l’article 1763 A du code général des impôts au titre de l’exercice 1997.

Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Marseille dans la mesure de l’annulation prononcée.

Article 3 : L’Etat versera à M. A la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Roger A et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat, porte-parole du Gouvernement.