établissement en France oui

Conseil d’État

N° 297933
Publié au recueil Lebon
3ème et 8ème sous-sections réunies
M. Martin, président
Mme Anne Egerszegi, rapporteur
M. Glaser Emmanuel, commissaire du gouvernement
SCP GATINEAU, FATTACCINI, avocats

lecture du vendredi 31 juillet 2009
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi du MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE, enregistré le 4 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat ; le ministre demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 4 août 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy, saisie d’une requête de la société Crossair, devenue la société Swiss International Air Lines AG, dirigée contre un jugement du 19 novembre 2002 du tribunal administratif de Strasbourg rejetant ses demandes tendant à la décharge des cotisations d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1992, 1993, 1994, 1997 et 1998, a prononcé la décharge des impositions contestées ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention relative à l’aviation civile internationale signée à Chicago le 7 décembre 1944 ;

Vu la convention franco-suisse du 4 juillet 1949 relative à la construction et à l’exploitation de l’aéroport de Bâle-Mulhouse ;

Vu la convention signée à Paris le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

 le rapport de Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes,

 les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société Swiss International Air Lines AG,

 les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gatineau, avocat de la société Swiss International Air Lines AG ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société de droit suisse Crossair, aux droits de laquelle vient la société Swiss International Air Lines AG, ayant son siège en Suisse, exerçait aux cours des années 1991 à 1998 des activités de transport aérien international, ainsi que des activités de maintenance d’avions et de formation de pilotes à partir des installations dont elle disposait dans le secteur suisse , où les autorités suisses exercent des missions de contrôle, notamment en matière douanière, de l’aéroport de Bâle-Mulhouse, qui est situé sur le territoire français ; qu’à l’issue de deux vérifications de comptabilité portant respectivement sur les années 1991 à 1994 d’une part, et 1997 et 1998 d’autre part, elle a été assujettie à l’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 1992, 1993, 1994, 1997 et 1998 sur la base des bénéfices que lui ont procurés les prestations de maintenance d’avions et de formation de pilotes qu’elle a effectuées pour le compte de tiers ; que le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 4 août 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a annulé le jugement du 19 novembre 2002 du tribunal administratif de Strasbourg rejetant les demandes de la société tendant à la décharge des cotisations d’impôt sur les sociétés mentionnées ci-dessus et a prononcé la décharge des impositions contestées ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu’aux termes de l’article 209 du code général des impôts : I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) ; qu’aux termes de l’article 7 de la convention signée à Paris le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune : 1. Les bénéfices d’une entreprise d’un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l’entreprise n’exerce son activité dans l’autre Etat contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé. (...) ; qu’aux termes de l’article 5 de la même convention : 1. Au sens de la présente convention, l’expression établissement stable désigne une installation fixe d’affaires où ’entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L’expression établissement stable comprend notamment : (...) / c) Un bureau ; (...) / e) Un atelier (...) ;

Considérant qu’en se fondant, pour écarter la qualification d’établissement stable, sur le motif que l’administration n’établissait pas que les activités de maintenance d’avions et de formation de pilotes pour le compte de tiers étaient exercées dans le cadre d’une structure juridique disposant, en droit ou en fait, de pouvoirs lui permettant d’engager la société et présentant d’une manière générale une autonomie de gestion, sans rechercher si les installations, les matériels et les personnels affectés aux activités en cause sur le site de l’aéroport de Bâle-Mulhouse constituaient une installation fixe d’affaires au sens des stipulations précitées de la convention fiscale franco-suisse, la cour a commis une erreur de droit ; qu’ainsi, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie est fondé, pour ce motif, à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société de droit suisse Crossair exerçait, en plus de ses activités de transport aérien international, des activités de maintenance d’avions et de formation de pilotes à partir d’installations permanentes, dotées d’un personnel propre, dont elle disposait dans l’aéroport de Bâle-Mulhouse, situé, dans son ensemble, sur le territoire français ; qu’ainsi, elle doit être regardée comme exploitant une entreprise en France au sens des dispositions précitées du I de l’article 209 du code général des impôts ; qu’il en résulte que les bénéfices tirés de ces activités sont imposables à l’impôt sur les sociétés en application de la loi fiscale française ;

Considérant que la société Swiss International Air Lines AG soutient que les stipulations de la convention franco-suisse du 4 juillet 1949 relative à la construction et à l’exploitation de l’aéroport de Bâle-Mulhouse, de la convention relative à l’aviation civile internationale signée à Chicago le 7 décembre 1944 et de la convention signée à Paris le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune s’opposent à cette imposition en France ;

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 6 de la convention franco-suisse du 4 juillet 1949 relative à la construction et à l’exploitation de l’aéroport de Bâle-Mulhouse : La législation et la réglementation françaises sont seules applicables dans l’enceinte de l’aéroport, sauf les dérogations expresses apportées à ce principe par la présente convention et ses annexes ; qu’aux termes de l’article 14 de l’annexe II à cette même convention dans sa rédaction issue de l’échange de notes des 20 juillet et 21 novembre 1960 entre la France et la Suisse : 1. Les conditions d’application des impôts et taxes fiscales français à la charge de l’aéroport, des compagnies de navigation aérienne et des entreprises chargées de l’exécution de travaux immobiliers pour l’aéroport, feront l’objet d’un accord entre les deux gouvernements ; que ces dernières stipulations ne font pas obstacle, en l’absence de stipulations expresses en décidant autrement prévues par un accord entre la France et la Suisse en vigueur au cours des années d’imposition en cause, à l’imposition à l’impôt sur les sociétés des bénéfices qu’une compagnie de navigation aérienne tire des activités de maintenance d’avions et de formation de pilotes pour le compte de tiers qu’elle exerce, en plus de son activité de transport aérien international, au moyen d’installations situées dans le secteur suisse de l’aéroport dont l’emprise se trouve dans son ensemble en territoire français ; que n’y font pas davantage obstacle les stipulations de la convention qui prévoient que, dans ce secteur, les autorités suisses exercent des missions de contrôle, notamment en matière douanière ;

Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutient la société requérante en invoquant des stipulations non pertinentes à cet égard de la convention relative à l’aviation civile internationale signée à Chicago le 7 décembre 1944, la maintenance d’avions et la formation de pilotes pour le compte de tiers constituent, alors même qu’elles ne feraient pas l’objet d’autorisations spécifiques délivrées par les autorités françaises, des activités de prestation de services distinctes de celle de transporteur aérien et qui, quels que soient les objectifs économiques poursuivis, n’en sont pas le simple prolongement ; que la société Swiss International Air Lines AG n’est donc pas fondée à se prévaloir des stipulations de l’article 8 de la convention fiscale franco-suisse selon lesquelles : 1. Les bénéfices provenant de l’exploitation, en trafic international, de navires ou d’aéronefs ne sont imposables que dans l’Etat contractant où le siège de direction effective de l’entreprise est situé (...) ;

Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’instruction que la société Crossair exerçait au cours des années d’imposition en cause les activités de prestation de services de maintenance d’avions et de formation de pilotes pour le compte de tiers au moyen de locaux et d’équipements dont elle disposait dans l’enceinte de l’aéroport de Bâle-Mulhouse et d’un personnel affecté à l’exécution de ces tâches ; qu’elle y disposait ainsi, pour l’exercice de ces activités, d’une installation fixe d’affaires caractérisant un établissement stable au sens et pour l’application des stipulations du paragraphe 2 de l’article 5 de la convention fiscale franco-suisse ; qu’il s’ensuit qu’en application des stipulations précitées de l’article 7 de la convention, les bénéfices tirés des activités en cause exercées dans cet établissement stable situé en France étaient imposables en France ; que la société requérante ne saurait utilement invoquer les stipulations du paragraphe 4 de l’article 5 de la convention, qui visent le cas, distinct de celui des succursales, bureaux, usines ou ateliers, dans lequel l’établissement stable est constitué par un agent dépendant, personne physique ou morale agissant pour le compte de l’entreprise ; qu’en outre, si la société soutient que les activités dont les résultats ont été imposés sont des activités secondaires et accessoires à l’activité principale d’exploitation d’aéronefs en trafic international, qui, à ce titre, seraient exclues de la définition de l’établissement stable, le e) du paragraphe 3 de l’article 5 de la convention fiscale franco-suisse limite cette exclusion aux cas où l’ installation fixe d’affaires est utilisée, pour l’entreprise, aux seules fins de publicité, de fourniture d’informations, de recherches scientifiques ou d’activités analogues qui ont un caractère préparatoire ou auxiliaire ;

Considérant qu’il résulte de tout de ce qui précède que la société Swiss International Air Lines AG n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les demandes de la société Crossair tendant à la décharge des cotisations d’impôt sur les sociétés auxquelles cette société a été assujettie au titre des années 1992, 1993, 1994, 1997 et 1998 ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’Etat le versement à la société Swiss International Air Lines AG de la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :


Article 1er : L’arrêt du 4 août 2006 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la société Crossair devant la cour administrative d’appel de Nancy et les conclusions de la société Swiss International Air Lines AG présentées devant le Conseil d’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat et à la société Swiss International Air Lines AG.

Abstrats : 19-01-01-05 CONTRIBUTIONS ET TAXES. GÉNÉRALITÉS. TEXTES FISCAUX. CONVENTIONS INTERNATIONALES. - 1) PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ DES CONVENTIONS FISCALES - ORDRE D’EXAMEN, PAR LE JUGE, DES QUESTIONS SOULEVÉES PAR UNE CONTESTATION RELATIVE À UNE CONVENTION FISCALE INTERNATIONALE - RECHERCHE, EN PREMIER LIEU, DE LA BASE LÉGALE, AU REGARD DE LA SEULE LOI FISCALE NATIONALE, DE L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS (ART. 209, I, 1ER AL. DU CGI) [RJ1] - 2) ETABLISSEMENT STABLE - NOTION - EXISTENCE - SOCIÉTÉ DISPOSANT EN FRANCE DE LOCAUX, D’ÉQUIPEMENTS ET DE PERSONNELS AFFECTÉS À SON ACTIVITÉ DE MAINTENANCE D’AVIONS ET DE FORMATION DE PILOTES.

Résumé : 19-01-01-05 1) Lorsqu’une imposition à l’impôt sur les sociétés est contestée au regard des stipulations d’une convention bilatérale conclue en vue d’éviter les doubles impositions, le juge de l’impôt examine d’abord la contestation au regard du champ d’application territorial de cet impôt, tel qu’il est défini, au premier alinéa du I de l’article 209 du code général des impôts (CGI), par référence aux bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France.,,2) Société suisse exerçant des activités de prestation de services de maintenance d’avions et de formation de pilotes pour le compte de tiers au moyen de locaux et d’équipements dont elle disposait dans l’enceinte d’un aéroport et d’un personnel affecté à l’exécution de ces tâches. Elle disposait ainsi sur le territoire français, pour l’exercice de ces activités, d’une installation fixe d’affaires caractérisant, pour l’application de la convention fiscale bilatérale franco-suisse, un établissement stable.

[RJ1] Cf. Assemblée, 28 juin 2002, Min. c/ Sté Schneider Electric, n° 232276, p. 233 ; 31 juillet 2009, Sté Overseas Thoroughbred Racing Stud Farms Limited, n° 296471, à publier au Recueil. Ab. jur., sur la démarche suivie, Section, 20 juin 2003, Min. c/ Sté Interhome AG, n° 224407, p. 270 sur un autre point ; 5 avril 2006, Min. c/ SARL Midex n° 281098, inédite au Recueil, RJF 7/06 n° 909.