Fausse psi - faux détachement - emploi direct

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 30 mars 2016

N° de pourvoi : 14-88519

ECLI:FR:CCASS:2016:CR00954

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Guérin (président), président

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

 M. Jacques X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de NÎMES, chambre correctionnelle, en date du 4 décembre 2014, qui, pour travail dissimulé, emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail, aide à l’entrée ou au séjour irrégulier d’un étranger en France, infraction à la législation sur la sécurité des travailleurs, l’a condamné à un an d’emprisonnement avec sursis, douze amendes de 1 250 euros chacune, cinq ans d’interdiction des droits civiques, civils, et de famille, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 9 février 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DURIN-KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, de la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général CUNY ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 485, 512 et 592 du code de procédure pénale ;
” en ce que la cour d’appel a déclaré M. X... coupable des chefs d’exécution d’un travail dissimulé, d’emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail salarié, de mise à disposition pour des travaux temporaires en hauteur d’échelle, escabeau, marchepied ou corde ne préservant pas la sécurité du travailleur et d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’étrangers en France, en répression l’a condamné à un an d’emprisonnement avec sursis et à douze amendes de 1 250 euros chacune et, sur l’action civile, l’a condamné au paiement de 1 500 euros de dommages-intérêts au profit de la Mutualité sociale agricole ;
” alors qu’en n’indiquant pas le nom du président qui a prononcé et signé l’arrêt, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure de constater si ce même magistrat avait assisté aux débats et au délibéré et, partant, de s’assurer de la régularité de sa décision “ ;
Attendu que les mentions de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que l’arrêt a été lu et signé par l’un des conseillers ayant participé aux débats et au délibéré, en application de l’article 485 du code de procédure pénale ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5, L. 8221-6, L. 8224-1, L. 8224-3, L. 8224-4, L. 8256-2, L. 8251-1, L. 5221-8, L. 5221-2, R. 5221-1, R. 5221-3, L. 8256-3, L. 8256-4, L. 8256-6, L. 4741-1, L. 4321-1, R. 4323-81, R. 4323-82, R. 4232-83, R. 4323-84, R. 4232-85, R. 4232-86, R. 4323-87, R. 4323-88, R. 4323-89, R. 4323-90, L. 4741-5 du code du travail, L. 622-1, L. 622-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que la cour d’appel a déclaré M. X... coupable des chefs d’exécution d’un travail dissimulé, d’emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail salarié, de mise à disposition pour des travaux temporaires en hauteur d’échelle, escabeau, marchepied ou corde ne préservant pas la sécurité du travailleur et d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’étrangers en France, en répression l’a condamné à un an d’emprisonnement avec sursis et à douze amendes de 1 250 euros chacune et, sur l’action civile, l’a condamné au paiement de 1 500 euros de dommages-intérêts au profit de la Mutualité sociale agricole ;
” aux motifs propres que c’est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu qu’en considération du lien de subordination effectif constaté entre le prévenu et les ressortissants roumains travaillant sur son domaine, et matérialisé par l’absence de tout autre encadrement que le sien, la délivrance d’instructions précises en vue de l’exécution du travail, la mise à disposition de tout le matériel nécessaire, le suivi complet des travaux de maçonnerie, et ce alors que la réalité d’un lien de droit avec la société roumaine ne pouvait être envisagée, en l’état de la production de documents anti-datés et manifestement établis pour la cause, et en l’absence de toute déclaration de détachement de ces salariés, M. X... était le seul et véritable employeur des douze travailleurs cités plus haut, sauf à y ajouter que la mauvaise foi de l’intéressé ressort tant à la fois de son incapacité prétendue à nommer cette société, alors qu’il expliquera que son prétendu gérant serait une connaissance ancienne avec laquelle il a déjà traité depuis plusieurs années, et au moins depuis l’accident dont il a été victime en 2007, que de la réalité et de l’ampleur du recours habituel à ces travailleurs clandestins pour assurer les tâches nécessaires à l’entretien et à la mise en valeur de son domaine, ainsi que l’on mis en évidence les contrôles effectués en novembre et décembre, alors que la période de cueillette avait pris fin depuis plusieurs semaines et que la présence de quatre de ces mêmes salariés, occupés à de toutes autres tâches, ne pouvait plus être explicitée d’aucune manière par les nécessités de la récolte ; que de même, la cour relève que les conditions de travail imposées aux deux travailleurs chargés de l’exécution des travaux de maçonnerie mettaient incontestablement en danger ces derniers, ce à quoi il n’a aucunement été remédié par M. X... après le contrôle initial, et ce en dépôt de la poursuite et même de l’extension de ces travaux à de réalisations d’importance croissante ; que le jugement déféré sera confirmé sur la culpabilité ;
” et aux motifs éventuellement adoptés que le contrôle du 5 octobre 2011 (MSA ¿ DZPAF SUD ¿ PV 233 pièce 1) a révélé, avant que les explications « adaptées » puissent être produites, sur l’exploitation non déclarée de M. X... une situation typique de travail dissimulé avec dix femmes affectées à la cueillette du raisin et deux hommes affairés à des travaux de maçonnerie, dangereux et non réglementaires (PV 224, pièce 1), tous de nationalité roumaine ; que l’activité était donc complètement clandestine ; que les pièces d’identité de ces travailleurs ont été scannées, non retenues et laissées à la disposition des personnes contrôlées ; qu’il n’y avait aucune hiérarchie sur place, Mme Y..., la seule à parler un peu le français, indiquait que le travail était fait pour 300 euros environ par mois au profit de « Jacques », qui précisément arriva sur les lieux (page 3) pour faire état sans preuve aucune d’un contrat de prestation de services avec une société roumaine Euro Camion ; que deux feuillets, en langue roumaine, censés dater du 9 septembre 2011, seront communiqués le lendemain, 6 octobre 2011, pour justifier la situation ainsi découverte, suivis d’une liste du personnel le 10 octobre 2011 (PV 223, pièces 2 et 7) et, lors de son audition d’une heure et quart le 26 janvier 2012 (PV 317, pièce 4), M. X... s’en tiendra à une responsabilité d’Euro camion dans cette situation avant de se féliciter du caractère pédagogique de son audition ; que la police procédera à deux autres visites sur les lieux, les 7 novembre et 8 décembre 2011 (PV 223, pièces 15 et 18) ; qu’aucun des salariés concernés, et la société Euro Camion pas davantage, n’est identifié ou déclaré sur le territoire national (sauf au titre du séjour irrégulier) ; que M. X... loge le personnel, identifie le travail à effectuer, et donc le dirige, fournit le matériel, par hypothèse réduit, nécessaire pour y procéder ; qu’il aurait vendu sa récolte sur pieds 50 000 euros et il considère que les documents susvisés après traduction (PV 223, pièces 11 et 12) transféreraient à Euro camion la question de la légalité de ce travail sur le territoire national, s’agissant en l’espèce de vendanges et de travaux de toiture ; qu’il est pourtant bien l’employeur tentant de justifier après coup par la production d’un contrat sommaire « et opportun » et l’invocation d’un prétendu détachement de personnel une situation de travail dissimulé et d’emploi d’étrangers sans titre aussi classique que condamnable ; qu’il est donc déclaré coupable ;
” 1°) alors qu’en affirmant de façon péremptoire que les documents produits par M. X... pour justifier de ce que les travailleurs roumains présents sur ses terres n’étaient salariés que de la seule société Euro camion seraient antidatés et établis pour les seuls besoins de la cause, sans étayer aucunement cette assertion, la cour d’appel a procédé à une motivation par voie de simple affirmation et a privé sa décision de base légale ;
” 2°) alors qu’en ne répondant pas à l’articulation essentielle de M. X... selon laquelle, compte tenu de son état de santé, il ne s’occupait pas de la vigne, il n’exerçait aucune direction sur les travailleurs roumains, il ne les rémunérait pas et il n’était, au demeurant, pas même présent sur les lieux la majeure partie du temps car se rendant quotidiennement au centre de rééducation, de sorte qu’il ne pouvait être considéré comme étant leur employeur, la cour d’appel a entaché sa décision d’un défaut de réponse à conclusions “ ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt et du jugement qu’il confirme qu’à la suite de trois contrôles successifs de la Police de l’air et des frontières, les 5 octobre, 7 novembre et 8 décembre 2011, sur l’exploitation agricole de M. X..., ce dernier a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs précités ; que les juges du premier degré l’ont déclaré coupable ; que M. X... et le ministère public ont relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l’arrêt énonce qu’il résulte des contrôles opérés, que, sur une parcelle de vigne appartenant au prévenu, dix personnes de nationalité roumaine étaient occupées à ramasser et conditionner le raisin, tandis que deux autres réalisaient en hauteur des travaux de maçonnerie en utilisant une échelle sans protection ; qu’aucune ne justifiant d’une embauche, ni d’une autorisation de travail, M. X... déclarait que ces personnes travaillaient pour le compte de la société Euro camion, société de droit roumain ; qu’il a produit des documents à ce titre, reçus par télécopie postérieure au contrôle ; que les juges retiennent qu’un lien de subordination effectif existait entre le prévenu et les ressortissants roumains travaillant sur son domaine, matérialisé par l’absence de tout autre encadrement que le sien, la délivrance d’instructions précises en vue de l’exécution du travail, la mise à disposition du matériel nécessaire, le suivi des travaux de maçonnerie, tandis que la réalité d’un lien de droit avec la société roumaine ne pouvait être envisagée, en l’état de la production de documents antidatés et manifestement établis pour la cause, et en l’absence de toute déclaration de détachement de ces salariés, M. X... étant le seul et véritable employeur des douze travailleurs intervenant sur son domaine ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances contradictoirement débattus, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de répondre à tout le détail de l’argumentation de l’intéressé, a justifié sa décision ;
Qu’ainsi, le moyen ne peut qu’être écarté ;
Mais sur le moyen de cassation, relevé d’office après avis donné aux parties et pris de l’application de l’article 112-1 du code pénal ;
Vu ledit article ;
Attendu qu’il résulte de ce texte que, sauf dispositions expresses contraires, une loi nouvelle s’applique aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elle est moins sévère que la loi ancienne ;
Attendu que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d’emploi d’un ressortissant roumain non muni d’une autorisation de travail et d’aide à l’entrée ou au séjour d’un étranger en France ;
Mais attendu que la Roumanie étant devenue membre de l’Union européenne le 1er janvier 2007, la totalité des restrictions à l’accès au marché du travail a été levée pour les ressortissants de cet Etat à compter du 1er janvier 2014, de sorte que les faits d’emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail et d’aide à l’entrée ou au séjour d’un étranger en France avaient perdu leur caractère punissable ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu’elle

sera limitée à la déclaration de culpabilité des chefs précités et aux dispositions civiles ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Nîmes, en date du 4 décembre 2014, mais en ses seules dispositions, ayant condamné M. X... pour emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail, et aide à l’entrée ou au séjour d’un étranger en France, et prononcé sur les peines et sur l’action civile, tout autre dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de l’annulation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente mars deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Nîmes , du 4 décembre 2014