Barry Banks - opposabilité du certificat de détachement

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

30 mars 2000 (1)

« Sécurité sociale des travailleurs migrants - Détermination de la législationapplicable - Portée du certificat E 101 »

Dans l’affaire C-178/97,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’article 177du traité CE (devenu article 234 CE), par le Tribunal du travail de Bruxelles(Belgique) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Barry Banks e.a.

et

Théâtre royal de la Monnaie,

en présence de :

Colin Appleton et Christopher Davies,

Mark Curtis,

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation des articles 14 bis, point 1, sousa), et 14 quater du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatifà l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, auxtravailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent àl’intérieur de la Communauté, et des articles 11 bis et 12 bis, paragraphe 7, durèglement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalitésd’application du règlement n° 1408/71, dans leur version modifiée et mise à jourpar le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6),puis par le règlement (CEE) n° 3811/86 du Conseil, du 11 décembre 1986 (JOL 355, p. 5),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. D. A. O. Edward, président de chambre, L. Sevón,C. Gulmann, J.-P. Puissochet (rapporteur) et P. Jann, juges,

avocat général : M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier : M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées :

 pour M. Banks e.a., par M. M. J. S. Renouf, solicitor, et Me B. Blanpain,avocat au barreau de Bruxelles,

 pour le Théâtre royal de la Monnaie, par Me S. Capiau, avocat au barreaude Bruxelles,

 pour le gouvernement allemand, par MM. E. Röder, Ministerialrat auministère fédéral de l’Économie, et C.-D. Quassowski, Regierungsdirektorau même ministère, en qualité d’agents,

 pour le gouvernement français, par MM. M. Perrin de Brichambaut,directeur des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, etC. Chavance, conseiller des affaires étrangères à la direction des affairesjuridiques du même ministère, en qualité d’agents,

 pour le gouvernement néerlandais, par M. J. G. Lammers, conseillerjuridique remplaçant au ministère des Affaires étrangères, en qualitéd’agent,

 pour le gouvernement du Royaume-Uni, par MM. J. E. Collins, du TreasurySolicitor’s Department, en qualité d’agent,

 pour la Commission des Communautés européennes, parMme M. Wolfcarius, membre du service juridique, en qualité d’agent,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de M. Banks e.a., représentés parM. M. J. S. Renouf et Me B. Blanpain, du Théâtre royal de la Monnaie, représentépar Me S. Capiau, du gouvernement allemand, représenté par M. C.-D. Quassowski,du gouvernement français, représenté par M. C. Chavance, du gouvernementirlandais, représenté par M. A. O’Caoimh, SC, du gouvernement néerlandais,représenté par M. M. A. Fierstra, conseiller juridique au ministère des Affairesétrangères, en qualité d’agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté parM. M. Hoskins, barrister, et de la Commission, représentée par Mme M. Wolfcarius,à l’audience du 22 octobre 1998,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 novembre1998,

rend le présent

Arrêt

1.
Par ordonnance du 21 avril 1997, parvenue à la Cour le 7 mai suivant, le Tribunaldu travail de Bruxelles a posé, en application de l’article 177 du traité CE (devenuarticle 234 CE), trois questions préjudicielles portant sur l’interprétation des articles14 bis, point 1, sous a), et 14 quater du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil,du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale auxtravailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille quise déplacent à l’intérieur de la Communauté (ci-après le « règlement n° 1408/71 »),et des articles 11 bis et 12 bis, paragraphe 7, du règlement (CEE) n° 574/72 duConseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlementn° 1408/71 (ci-après le « règlement n° 574/72 »), dans leur version modifiée et miseà jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230,p. 6), puis par le règlement (CEE) n° 3811/86 du Conseil, du 11 décembre 1986(JO L 355, p. 5).

2.
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant M. Banks et huitautres chanteurs d’opéra ainsi qu’un chef d’orchestre, soutenus par trois autresartistes (ci-après « M. Banks e.a. »), au Théâtre royal de la Monnaie de Bruxelles(ci-après le « TRM ») au sujet des cotisations que ce dernier a retenues sur leurscachets au titre du régime général de sécurité sociale belge des travailleurs salariés.

3.
M. Banks e.a. sont des artistes de spectacle de nationalité britannique. Ils résidentau Royaume-Uni où ils exercent normalement leur activité professionnelle et ilssont soumis au régime de sécurité sociale britannique en tant que travailleurs nonsalariés. Ils ont été engagés par le TRM pour se produire en Belgique entre 1992et 1995. Les engagements de chacun des artistes totalisaient moins de trois moisd’activité, à l’exception d’un seul d’entre eux dont les contrats portaient sur unepériode de quatre mois et six jours de prestations.

4.
Le TRM a retenu sur leurs cachets les cotisations dues au titre de leurassujettissement au régime général de sécurité sociale des travailleurs salariés.Cette retenue est intervenue en application de l’article 3, paragraphe 2, de l’arrêtéroyal du 28 novembre 1969, pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisantl’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant le régime de sécurité sociale destravailleurs qui sont assujettis au régime de sécurité sociale des travailleurs salariés(Moniteur belge du 5 décembre 1969), qui a étendu ce régime aux artistes duspectacle. Les contrats de M. Banks e.a. prévoyaient expressément cette retenue.

5.
Au cours de leur engagement ou durant la procédure devant la juridiction derenvoi, M. Banks e.a. ont chacun produit un certificat E 101, délivré conformémentà l’article 11 bis du règlement n° 574/72 par le ministère de la Sécurité socialebritannique, attestant que ceux-ci sont des travailleurs non salariés, qu’ils exercerontune activité non salariée durant leur engagement au TRM et que, pendant cettepériode, ils resteront soumis à la législation britannique de sécurité sociale,conformément à l’article 14 bis, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71. Auxtermes de cette disposition, une personne qui exerce normalement une activité nonsalariée sur le territoire d’un État membre et qui effectue un travail sur le territoired’un autre État membre demeure soumise à la législation du premier État membre,à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois.

6.
Contestant leur assujettissement au régime de sécurité sociale belge des travailleurssalariés, M. Banks e.a. ont introduit, devant le Tribunal du travail de Bruxelles, uneaction tendant à obtenir le remboursement par le TRM du montant des cotisationsversées, majoré des intérêts légaux. Ils ont fait valoir que, dans la mesure où, touten exerçant normalement une activité non salariée au Royaume-Uni, ils avaienteffectué un travail sur le territoire belge pour une durée inférieure à douze mois,ils demeuraient soumis à la seule législation britannique conformément à l’article14 bis, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71. Ils ont, en outre, soutenu que leTRM ainsi que l’Office national de sécurité sociale belge (ci-après l’« ONSS »)étaient tenus de respecter les certificats E 101 délivrés par le ministère de laSécurité sociale britannique.

7.
Le TRM a, pour sa part, estimé que la législation belge était applicable sur lefondement de l’article 14 quater, sous a), du règlement n° 1408/71 en vertu duquelune personne qui exerce simultanément une activité salariée et une activité nonsalariée sur le territoire de différents États membres est soumise à la législation del’État membre sur le territoire duquel elle exerce son activité salariée. Le TRM aajouté que, l’ONSS refusant de tenir compte des certificats E 101 délivrés à destravailleurs non salariés britanniques, il se devait de respecter cette décision. Ausurplus, lesdits certificats, dont l’effet rétroactif pouvait être mis en doute, n’avaientété émis et ne lui avaient été transmis, pour la plupart, qu’au cours de la périoded’engagement des artistes ou durant la procédure devant le Tribunal du travail deBruxelles.

8.
Dans son ordonnance, la juridiction de renvoi rappelle tout d’abord que la Coura dit pour droit, dans les arrêts du 30 janvier 1997, De Jaeck (C-340/94, Rec.p. I-461), et Hervein et Hervillier (C-221/95, Rec. p. I-609), que, pour l’applicationdes articles 14 bis et 14 quater du règlement n° 1408/71, il convient d’entendre par« activité salariée » et « activité non salariée » les activités considérées comme tellespar la législation de sécurité sociale de l’État membre sur le territoire duquel cesactivités sont exercées.

9.
La juridiction de renvoi relève ensuite que l’activité des demandeurs au principalest considérée comme une activité non salariée par la législation britannique desécurité sociale et comme une activité salariée par la législation belgecorrespondante.

10.
Elle ajoute que l’application, dans l’affaire dont elle est saisie, de l’article 14 bis,point 1, sous a), défendue par les artistes du spectacle, suppose que le terme« travail » figurant dans cette disposition revête une interprétation large et couvretoute prestation de travail, salariée ou non salariée, qui n’excède pas douze mois.

11.
La juridiction de renvoi relève ensuite que, si tel n’était pas le cas, l’article 14quater du règlement n° 1408/71 pourrait être applicable aux demandeurs auprincipal. Elle observe cependant que l’application de cette disposition aboutiraità soumettre ceux-ci à la seule législation belge, puisqu’ils exercent une activité quiest considérée en Belgique comme salariée, et ce au titre de l’ensemble de leursactivités professionnelles, conformément à l’article 14 quinquies du mêmerèglement. Or, compte tenu de la brièveté de leurs activités en Belgique, lesdemandeurs au principal ne pourraient bénéficier d’aucune prestation prévue parle régime belge.

12.
C’est dans ces conditions que le tribunal du travail de Bruxelles a décidé desurseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) a) La notion de ’travail‘ figurant à l’article 14 bis, 1 a), du règlement(CEE) n° 1408/71 vise-t-elle toute prestation de travail, salariée ounon salariée, dont la durée n’excède pas douze mois ?

b) Si la notion de ’travail‘ au sens de l’article 14 1 a) vise exclusivementun travail non salarié, cette notion doit-elle être déterminée au regarddu droit de la sécurité sociale de l’État membre sur lequel est exercéenormalement l’activité non salariée ou au regard du droit de lasécurité sociale de l’État membre sur lequel le ’travail‘ est exercé ?

2) Quelle est l’unité de temps qui doit être prise en considération pourapprécier le terme ’simultanément‘ figurant à l’article 14 quater durèglement (CEE) n° 1408/71, ou quels sont les critères permettant dedéterminer cette notion ?

3) a) i) Le formulaire E 101, dont la délivrance est prévue,notamment par les articles 11 bis et 12 bis, paragraphe 7du règlement n° 2001/83, a-t-il force obligatoire quant auxeffets juridiques qu’il atteste :

- à l’égard de l’institution compétente de l’État membre surlequel s’exerce la seconde activité ?

- à l’égard de la personne qui recourt aux prestations dutravailleur exerçant une activité sur le territoire de deuxÉtats membres ?

ii) Dans l’affirmative jusqu’à quand ?

b) Le formulaire E 101 produit-il un effet rétroactif, dans lamesure où les périodes qu’il vise sont expirées au moment oùil est émis ou au moment où il est produit ? »

Sur la première question

13.
Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si le terme« travail » figurant à l’article 14 bis, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71 visetoute prestation de travail, salariée ou non salariée. Dans l’hypothèse où cettedisposition se référerait seulement à un travail non salarié, cette juridiction sedemande si la détermination de la nature du travail concerné relève de lalégislation de sécurité sociale de l’État membre dans lequel la personne exercenormalement une activité non salariée ou de la législation correspondante de l’Étatmembre dans lequel le travail est effectué.

14.
L’article 13, qui ouvre le titre II du règlement n° 1408/71 relatif à la déterminationde la législation applicable, dispose, en son paragraphe 1, que, sous réserve del’article 14 quater, les personnes auxquelles ce règlement est applicable ne sontsoumises qu’à la législation d’un seul État membre.

15.
Conformément à l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1408/71, etsous réserve des articles 14 à 17 de ce dernier, la personne qui exerce une activiténon salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cetÉtat même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre.

16.
L’article 14 bis du règlement n° 1408/71, intitulé « Règles particulières applicablesaux personnes autres que les gens de mer, exerçant une activité non salariée »,dispose que la règle énoncée à l’article 13, paragraphe 2, sous b), est appliquéecompte tenu des exceptions et particularités qui suivent. En vertu de sonparagraphe 1, sous a), la personne qui exerce normalement une activité nonsalariée sur le territoire d’un État membre et qui effectue un travail sur le territoired’un autre État membre demeure soumise à la législation du premier État membre,à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois.

17.
M. Banks e.a., le TRM, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission,auxquels s’est rallié à l’audience le gouvernement irlandais, estiment que le terme« travail » figurant à l’article 14 bis, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71 doits’entendre de toute prestation de travail, salariée ou non salariée. Selon eux, cetteinterprétation est commandée par le sens très général que revêt ce mot dans lelangage courant. M. Banks e.a. ainsi que la Commission font également valoir quel’emploi de ce terme résulte d’un choix délibéré du Conseil lors de l’adoption durèglement (CEE) n° 1390/81, du 12 mai 1981, étendant aux travailleurs non salariéset aux membres de leur famille le règlement n° 1408/71 (JO L 143, p. 1). En effet,dans sa proposition initiale comme dans sa proposition modifiée de règlement, laCommission avait utilisé, au lieu de « travail », les termes « prestation de services »,entendant ainsi limiter l’application de la disposition au seul cas dans lequel letravailleur non salarié effectue un travail non salarié sur le territoire d’un autreÉtat membre.

18.
Dans l’hypothèse où la Cour estimerait que le terme « travail » ne vise qu’un travailnon salarié, M. Banks e.a., le TRM et le gouvernement du Royaume-Uni estimentque la nature du travail en cause devrait être déterminée conformément à lalégislation de sécurité sociale de l’État membre sur le territoire duquel l’intéresséexerce normalement son activité non salariée. En se fondant sur les arrêts de Jaecket Hervein et Hervillier, précités, la Commission considère en revanche que cettequalification relèverait alors de la législation de sécurité sociale de l’État membredans lequel le travail est effectué.

19.
Les gouvernements allemand, français et néerlandais soutiennent, quant à eux, quele terme « travail » vise exclusivement un travail non salarié, étant entendu qu’ilappartient à la législation de l’État membre dans lequel le travail est effectué d’endéterminer la nature. Cette interprétation résulterait, tout d’abord, de l’intitulémême de l’article 14 bis du règlement n° 1408/71. Elle serait également cohérenteavec les dispositions correspondantes du titre II concernant les travailleurs et lesgens de mer salariés qui sont détachés sur le territoire d’un autre État membre ouà bord d’un navire battant pavillon d’un autre État membre en vue d’y effectuerun travail. En effet, ces travailleurs et gens de mer ne resteraient soumis à la seulelégislation de leur État membre d’origine que si le travail qu’ils effectuent est untravail salarié.

20.
L’interprétation du terme « travail » soutenue par les demandeurs au principal, lesgouvernements irlandais et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission doit êtreaccueillie.

21.
Cette interprétation ressort, d’une part, de la lettre de l’article 14 bis, point 1,sous a), du règlement n° 1408/71. En effet, le terme « travail » revêt communémentun sens général qui désigne indifféremment une prestation de travail salariée ounon salariée. L’article 14 bis, point 1, sous a), se distingue d’ailleurs, à cet égard,de l’article 14 ter, point 2, dont il résulte que la personne qui exerce normalementune activité non salariée soit sur le territoire d’un État membre, soit à bord d’unnavire battant pavillon d’un État membre, et qui effectue un travail à bord d’unnavire battant pavillon d’un autre État membre demeure soumise à la législationdu premier État membre pour autant que cette personne effectue ce travail pourson propre compte.

22.
Certes, selon son intitulé, l’article 14 bis du règlement n° 1408/71 s’applique auxpersonnes autres que les gens de mer exerçant une activité non salariée. Toutefois,il ne saurait en être déduit que le travail visé au point 1, sous a), de cettedisposition revêt nécessairement un caractère non salarié. En effet, dans cet article,les termes « activité non salariée » désignent l’activité qu’exerce normalement lapersonne concernée sur le territoire d’un ou de plusieurs États membres et non pasla prestation occasionnelle qu’elle effectue hors de ce ou de ces États.

23.
L’interprétation de l’article 14 bis, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71 quiprécède est, d’autre part, confirmée par les circonstances dans lesquelles cettedisposition a été adoptée. En effet, elle a été introduite dans ce règlement par lerèglement n° 1390/81 qui a étendu aux travailleurs non salariés et aux membres deleur famille le règlement n° 1408/71. Or, dans sa proposition initiale d’adaptationdu règlement n° 1408/71 (JO 1978, C 14, p. 9) comme dans sa proposition modifiée(JO 1978, C 246, p. 2), la Commission avait utilisé, au lieu de « travail », les termes« prestation de service », entendant ainsi réserver l’application de cette dispositionau seul cas de la réalisation d’un travail non salarié sur le territoire d’un autre Étatmembre. Dès lors, tout porte à croire que le Conseil a employé le terme « travail »avec l’intention d’inclure également dans cette disposition l’hypothèse d’un travailsalarié.

24.
Les gouvernements allemand et néerlandais ont toutefois exprimé la crainte qu’uneinterprétation du terme « travail » qui ne serait pas limitée aux seules activités nonsalariées n’ait des conséquences graves. Selon eux, une telle interprétationaboutirait en effet à permettre à toute personne de s’affilier au régime de sécuritésociale des travailleurs non salariés d’un État membre dans lequel les cotisationssont modiques dans le seul but de se rendre dans un autre État membre pour yoccuper un emploi salarié pendant un an sans acquitter les cotisations plus lourdesen vigueur dans ce dernier État.

25.
À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 14 bis, point 1, sous a), du règlementn° 1408/71 exige au préalable que l’intéressé exerce « normalement » une activiténon salariée sur le territoire d’un État membre. Cette obligation suppose que lapersonne concernée exerce habituellement des activités significatives sur leterritoire de l’État membre où elle est établie [voir, par analogie, à propos del’article 14, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71 concernant le détachementdes travailleurs salariés, arrêt du 10 février 2000, FTS, C-202/97, non encore publiéau Recueil, point 45]. Ainsi, cette personne doit avoir déjà exercé, depuis uncertain temps, son activité au moment où elle souhaite se prévaloir du bénéfice dela disposition en question. De même, pendant la période au cours de laquelle elleeffectue un travail sur le territoire d’un autre État membre, ladite personne doitcontinuer d’entretenir, dans son État d’origine, les moyens nécessaires à l’exercicede son activité afin d’être en mesure de poursuivre celle-ci à son retour.

26.
Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 59 de ses conclusions, le maintiend’une telle infrastructure passe, par exemple, dans l’État d’origine, par l’usage debureaux, le paiement de cotisations au régime de sécurité sociale, le versementd’impôts, la détention d’une carte professionnelle et d’un numéro de taxe sur lavaleur ajoutée ou encore l’inscription auprès de chambres de commerce etd’organisations professionnelles.

27.
Il convient encore de souligner que l’application de l’article 14 bis, point 1, sous a),du règlement n° 1408/71 suppose que la personne qui exerce une activité nonsalariée sur le territoire d’un État membre effectue, sur le territoire d’un autre Étatmembre, un « travail », c’est-à-dire une tâche déterminée dont la teneur et la duréesont prédéfinies et dont la réalité doit pouvoir être prouvée par la production descontrats correspondants.

28.
Il y a lieu dès lors de répondre à la première question que le terme « travail » quifigure à l’article 14 bis, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71 vise touteprestation de travail, salariée ou non salariée.

Sur la deuxième question

29.
Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation duterme « simultanément » figurant à l’article 14 quater du règlement n° 1408/71.

30.
Il ressort de l’ordonnance de renvoi que l’application, dans l’affaire au principal,de l’article 14 bis, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71 suppose que le terme« travail » qu’il contient se réfère à toute prestation de travail, salariée et nonsalariée, et que la deuxième question n’a été posée que pour le cas où cettedisposition ne serait pas applicable en l’espèce.

31.
Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a donc pas lieude répondre à la deuxième question.

Sur la première branche de la troisième question

32.
Par la première branche de sa troisième question, la juridiction de renvoi demandeen substance si le certificat E 101, délivré conformément aux articles 11 bis et12 bis, paragraphe 7, du règlement n° 574/72, lie tant l’institution compétente del’État membre dans lequel le travail est effectué que la personne qui fait appel auxservices de travailleurs non salariés munis de ce certificat. En cas de réponseaffirmative, la juridiction de renvoi s’interroge sur la durée au cours de laquelle cecertificat déploie ses effets contraignants.

33.
L’article 11 bis du règlement n° 574/72 prévoit notamment que l’institution désignéepar l’autorité compétente de l’État membre dont la législation reste applicable enapplication de l’article 14 bis, point 1, du règlement n° 1408/71 délivre un certificatattestant que le travailleur non salarié demeure soumis à cette législation etindiquant jusqu’à quelle date. Selon l’article 12 bis, paragraphe 7, du mêmerèglement, en cas d’application de l’article 14 quater, sous a), du règlementn° 1408/71, l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre sur leterritoire duquel la personne exerce son activité salariée remet à cette dernière uncertificat attestant qu’elle est soumise à cette législation. Toutefois, l’article 14quater n’étant pas pertinent dans l’affaire au principal pour les raisons indiquéesaux points 29 à 31 du présent arrêt, il n’est pas nécessaire d’examiner l’article12 bis, paragraphe 7, du règlement n° 574/72.

34.
Par la décision n° 130, du 17 octobre 1985, concernant les modèles de formulairesnécessaires à l’application des règlements n° 1408/71 et n° 574/72 (E 001 ;E 101-127 ; E 201-215 ; E 301-303 ; E 401- 411) (JO 1986, L 192, p. 1), applicableau moment des faits au principal, la commission administrative des Communautéseuropéennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants (ci-après la« commission administrative »), visée aux articles 80 et 81 du règlement n° 1408/71,a notamment établi, pour l’attestation mentionnée à l’article 11 bis du règlementn° 574/72, un certificat type, dit « certificat E 101 ».

35.
M. Banks e.a., le TRM ainsi que les gouvernements irlandais et du Royaume-Uniconsidèrent que le certificat E 101 a, tant que l’institution émettrice ne l’a pasretiré, force obligatoire à l’égard des institutions compétentes des autres Étatsmembres. En effet, dans le cas contraire, le fonctionnement du système derèglement des conflits de lois, établi par le titre II du règlement n° 1408/71, seraitcompromis. Le gouvernement du Royaume-Uni estime que ce certificat s’imposeégalement aux personnes qui engagent des travailleurs qui en sont munis. À cetégard, le TRM soutient, en revanche, que ces personnes sont tenues par lesconsignes de l’institution compétente de l’État membre dont elles relèvent.

36.
Les gouvernements allemand, français et néerlandais ainsi que la Commissionrappellent que la législation de sécurité sociale applicable aux travailleurs estdéterminée par le titre II du règlement n 1408/71. Or, il ne saurait être exclu quel’institution compétente qui a délivré le certificat E 101 ait conclu à l’applicationde sa propre législation sur la base de faits inexacts ou à partir d’une analyseerronée. Ainsi, même si le certificat E 101 constitue une indication sérieuse de lalégislation applicable, les institutions compétentes des autres États membresseraient en droit de parvenir, le cas échéant, à une conclusion différente.

37.
Dans cette dernière hypothèse, les gouvernements allemand et néerlandais estimentque les institutions autres que l’institution émettrice sont en droit de ne pas tenircompte du certificat E 101. En revanche, la Commission insiste sur le devoir decoopération loyale entre les institutions compétentes des États membres. Ainsi,dans le cas où l’institution émettrice refuserait d’accéder à une demande de retraitformulée par une autre institution, il appartiendrait à celle-ci de saisir lesjuridictions nationales de ce litige.

38.
Il convient de relever que le principe de coopération loyale, énoncé à l’article 5 dutraité CE (devenu article 10 CE), impose à l’institution émettrice de procéder àune appréciation correcte des faits pertinents pour l’application des règles relativesà la détermination de la législation applicable en matière de sécurité sociale et,partant, de garantir l’exactitude des mentions figurant dans le certificat E 101 (voir,en ce sens, arrêt FTS, précité, point 51).

39.
En ce qui concerne l’institution compétente de l’État membre dans lequel le travailest effectué, il résulte des obligations de coopération découlant de l’article 5 dutraité que celles-ci ne seraient pas respectées - et les objectifs des articles 14 bis,point 1, sous a), du règlement n° 1408/71 et 11 bis du règlement n° 574/72 seraientméconnus - si l’institution dudit État membre considérait qu’elle n’est pas liée parles mentions du certificat et soumettait le travailleur non salarié également à sonpropre régime de sécurité sociale (en ce sens, même arrêt, point 52).

40.
Par conséquent, le certificat E 101, dans la mesure où il crée une présomption derégularité de l’affiliation du travailleur non salarié concerné au régime de sécuritésociale de l’État membre où il est établi, s’impose à l’institution compétente del’État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail (même arrêt, point 53).

41.
La solution inverse serait de nature à porter atteinte au principe de l’affiliation destravailleurs non salariés à un seul régime de sécurité sociale, ainsi qu’à laprévisibilité du régime applicable et, partant, à la sécurité juridique. En effet, dansdes cas où le régime applicable serait difficile à déterminer, chacune des institutionscompétentes des deux États membres concernés serait portée à considérer, audétriment du travailleur non salarié concerné, que son propre régime de sécuritésociale est applicable (même arrêt, point 54).

42.
Dès lors, aussi longtemps que le certificat E 101 n’est pas retiré ou déclaré invalide,l’institution compétente de l’État membre dans lequel le travailleur non salariéeffectue un travail doit tenir compte du fait que ce dernier est déjà soumis à lalégislation de sécurité sociale de l’État membre où il est établi et cette institutionne saurait, par conséquent, soumettre le travailleur non salarié en question à sonpropre régime de sécurité sociale (même arrêt, point 55).

43.
Toutefois, il incombe à l’institution compétente de l’État membre qui a établi leditcertificat E 101 de reconsidérer le bien-fondé de cette délivrance et, le cas échéant,de retirer le certificat lorsque l’institution compétente de l’État membre dans lequelle travailleur non salarié effectue un travail émet des doutes quant à l’exactitudedes faits qui sont à la base dudit certificat et, partant, des mentions qui y figurent,notamment parce que celles-ci ne correspondent pas aux exigences de l’article14 bis, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71 (même arrêt, point 56).

44.
Dans l’occurrence où les institutions concernées ne parviendraient pas à se mettred’accord notamment sur l’appréciation des faits propres à une situation spécifiqueet, par conséquent, sur la question de savoir si celle-ci relève de l’article 14 bis,point 1, sous a), du règlement n° 1408/71, il leur est loisible d’en appeler à lacommission administrative (même arrêt, point 57).

45.
Si cette dernière ne parvient pas à concilier les points de vue des institutionscompétentes au sujet de la législation applicable en l’espèce, il est à tout le moinsloisible à l’État membre sur le territoire duquel le travailleur non salarié effectueun travail, et ce, sans préjudice des éventuelles voies de recours de naturejuridictionnelle existant dans l’État membre dont relève l’institution émettrice,d’engager une procédure en manquement, conformément à l’article 170 du traitéCE (devenu article 227 CE), aux fins de permettre à la Cour d’examiner, àl’occasion d’un tel recours, la question de la législation applicable audit travailleurnon salarié et, partant, l’exactitude des mentions figurant dans le certificat E 101(même arrêt, point 58).

46.
Il ressort de ce qui précède que, aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaréinvalide, le certificat E 101, délivré conformément à l’article 11 bis du règlementn° 574/72, lie l’institution compétente de l’État membre dans lequel le travailleurnon salarié se rend pour effectuer un travail.

47.
Par ailleurs, dans la mesure où le certificat E 101 s’impose à cette institutioncompétente, rien ne justifierait que la personne qui fait appel aux services de cetravailleur puisse ne pas y donner suite. Si elle éprouve des doutes sur la validitédu certificat, cette personne doit toutefois en informer l’institution en question.

48.
Il y a lieu dès lors de répondre à la première branche de la troisième question que,aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide, le certificat E 101, délivréconformément à l’article 11 bis du règlement n° 574/72, lie l’institution compétentede l’État membre dans lequel le travailleur non salarié se rend pour effectuer untravail ainsi que la personne qui fait appel aux services de ce travailleur.

Sur la seconde branche de la troisième question

49.
Par la seconde branche de sa troisième question, la juridiction de renvoi sedemande si le certificat E 101, délivré conformément à l’article 11 bis du règlementn° 574/72, peut avoir un effet rétroactif lorsqu’il porte sur une période qui estpartiellement ou totalement révolue au moment de sa délivrance.

50.
M. Banks e.a., les gouvernements allemand, français, néerlandais et du Royaume-Uni ainsi que la Commission proposent de répondre par l’affirmative à cettequestion. Ils font valoir, notamment, que le règlement n° 574/72 n’impose pas quele certificat soit délivré avant que ne débute le travail sur le territoire du secondÉtat membre.

51.
En revanche, le TRM considère que la délivrance ou la production tardive ducertificat E 101 met la personne qui recourt aux services des travailleurs concernésdans l’impossibilité d’en tenir compte en temps utile.

52.
À cet égard, il convient tout d’abord de constater que l’article 11 bis du règlementn° 574/72 n’impose aucun délai pour la délivrance de l’attestation qui y est visée.

53.
En outre, en délivrant le certificat E 101 en vertu de l’article 11 bis, l’institutioncompétente d’un État membre se borne à déclarer que le travailleur non salariéconcerné demeure soumis à la législation de cet État membre tout au long d’unepériode donnée au cours de laquelle il effectue un travail sur le territoire d’unautre État membre. Or, une telle déclaration, s’il est préférable qu’elle intervienneavant le début de la période concernée, peut aussi être effectuée au cours de cettepériode, voire après son expiration.

54.
Rien ne s’oppose, dans ces conditions, à ce que le certificat E 101 produise, le caséchéant, des effets rétroactifs.

55.
Ainsi, la décision n° 126 de la commission administrative, du 17 octobre 1985,concernant l’application des articles 14 paragraphe 1 point a), 14 bis paragraphe 1point a) et 14 ter paragraphes 1 et 2 du règlement n° 1408/71 (JO 1986, C 141,p. 3), dispose que l’institution visée aux articles 11 et 11 bis du règlement n° 574/72est tenue de délivrer une attestation concernant la législation applicable (certificatE 101), même si la délivrance de cette attestation est demandée après le début del’activité exercée sur le territoire de l’État autre que l’État compétent par letravailleur concerné.

56.
D’ailleurs, la Cour a nécessairement admis que le certificat E 101 puisse produiredes effets rétroactifs lorsqu’elle a jugé que la faculté ouverte aux États membrespar l’article 17 du règlement n° 1408/71 de convenir de l’application d’une autrelégislation que celle désignée par les articles 13 à 16 en faveur d’un travailleur vautégalement pour des périodes déjà écoulées (arrêts du 17 mai 1984, Brusse, 101/83,Rec. p. 2223, points 20 et 21, et du 29 juin 1995, Van Gestel, C-454/93, Rec.p. I-1707, point 29). En effet, les articles 11 et 11 bis du règlement n° 574/72prévoient également, dans une telle hypothèse, la délivrance du certificat E 101.

57.
Il y a lieu dès lors de répondre à la seconde branche de la troisième question quele certificat E 101, délivré conformément à l’article 11 bis du règlement n° 574/72,peut avoir un effet rétroactif.

Sur les dépens

58.
Les frais exposés par les gouvernements allemand, français, irlandais, néerlandaiset du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observationsà la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, àl’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant lajuridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal du travail de Bruxelles,par ordonnance du 21 avril 1997, dit pour droit :

1) Le terme « travail » qui figure à l’article 14 bis, point 1, sous a), durèglement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif àl’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, auxtravailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacentà l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jourpar le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, puis par lerèglement (CEE) n° 3811/86 du Conseil, du 11 décembre 1986, vise touteprestation de travail, salariée ou non salariée.

2) Aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide, le certificatE 101, délivré conformément à l’article 11 bis du règlement (CEE)n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’applicationdu règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par lerèglement n° 2001/83 puis par le règlement n° 3811/86, lie l’institutioncompétente de l’État membre dans lequel le travailleur non salarié se rendpour effectuer un travail ainsi que la personne qui fait appel aux servicesde ce travailleur.

3) Le certificat E 101, délivré conformément à l’article 11 bis du règlementn° 574/72, peut avoir un effet rétroactif.

Edward Sevón
Gulmann

Puissochet Jann

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 mars 2000.

Le greffier
Le président de la cinquième chambre

R. Grass
D. A. O. Edward