Vrai contrat de gérance

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 11 mars 2009

N° de pourvoi : 07-40813

Publié au bulletin

Cassation partielle

M. Texier (conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur), président

M. Aldigé, avocat général

Me Le Prado, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, le 1er octobre 1984, M. et Mme X... ont signé avec la société Distribution Casino un contrat de gérance pour l’exploitation de la succursale de Voiron, puis du magasin d’Echirolles, puis de la superette de Berre l’Etang ; qu’à la suite d’un inventaire réalisé le 17 janvier 2003 faisant apparaître un solde débiteur, les époux X... ont été convoqués à un entretien qui a eu lieu le 5 avril 2003 et se sont vu notifier la rupture de leur contrat de co-gérance le 8 avril 2003 ; qu’ils ont saisi la juridiction prud’homale pour demander la requalification de leur relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée et, en conséquence, le paiement de rappels de salaires et de diverses indemnités consécutives à leur licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté les demandes de M. et Mme X... fondées sur l’existence d’un contrat de travail, alors, selon le moyen, que l’existence d’un contrat de travail se détermine uniquement au regard des conditions de fait dans lesquelles l’activité professionnelle est exercée ; qu’en rejetant l’existence d’un contrat de travail au seul motif que les différentes sujétions auxquelles étaient soumis les époux X... étaient conformes à l’article L. 782-1 du code du travail ou à l’accord collectif national des maisons d’alimentation à succursales sans rechercher si, dans les faits, ces sujétions et la manière dont elles étaient appliquées par la société Casino aux époux X... n’avaient pour effet de placer ces derniers dans un état de subordination juridique, la cour d’appel, qui n’a pas statué au regard des conditions de fait dans lesquelles l’activité professionnelle des époux X... était exercée, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 121-1 et L. 782-1 du code du travail, ainsi que de l’accord collectif national des maisons d’alimentation à succursales, supermarchés et hypermarchés du 18 juillet 1963 ;

Mais attendu que la cour d’appel, se fondant sur les éléments de fait et de preuve versés aux débats, a relevé que les époux X... étaient liés à la société par un contrat de co-gérance, qu’ils étaient rémunérés à la commission, libres d’organiser leur gestion et ne recevaient aucune directive sur l’organisation de leur travail, qu’ils pouvaient se substituer des remplaçants et embaucher du personnel ; qu’elle en a déduit à bon droit qu’en l’absence de démonstration d’un lien de subordination, il n’y avait pas de contrat de travail ; que le moyen n’est pas fondé ;

Mais Sur le second moyen qui est recevable :

Vu l’article L. 782-7 du code du travail, devenu L. 7322-1 ;

Attendu que, pour dire que le contrat avait été rompu à la suite d’une faute grave, l’arrêt retient que, selon l’article 16 du contrat de co-gérance signé par M. et Mme X..., constitue une faute lourde le cas de manquant de marchandises ou d’espèces provenant des ventes ; qu’un inventaire réalisé contradictoirement le 8 février 2002 a fait apparaître un manquant de marchandises et un excédant d’emballages ; que l’arrêté de compte, signé le 9 avril 2002, a fait ressortir un solde débiteur ; qu’ultérieurement, un inventaire du 17 janvier 2003 a révélé un manquant de marchandises et un excédent d’emballages plus important ; que M. et Mme X... ne critiquent pas la régularité des opérations d’inventaire et ne contestent pas l’arrêté de comptes qu’ils ont approuvé le 21 mars 2003 ; que le fait de ne pas être en mesure de présenter les marchandises dont ils étaient dépositaires ou d’en restituer le prix, constitue un manquement grave aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat de co-gérance ;

Attendu, cependant, que si le gérant non salarié d’une succursale peut-être rendu contractuellemnt responsable de l’existence d’un déficit d’inventaire en fin de contrat et tenu d’en rembourser le montant, il doit, aux termes de l’article L. 782-7 du code du travail devenu L. 7322-1, bénéficier de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale ; qu’il en résulte qu’il ne peut être privé, dès l’origine, par une clause du contrat, du bénéfice des règles protectrices relatives à la rupture des relations contractuelles ;

Qu’en statuant comme elle a fait, en se bornant à se référer à la clause contractuelle, alors qu’un contrat ne peut prévoir par avance les conséquences d’une rupture pour faute, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a débouté les époux X... de leurs demandes d’indemnité de rupture et de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de gérance, l’arrêt rendu le 15 décembre 2006, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble ;

Condamne la société Distribution Casino aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer aux époux X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils pour les époux X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR rejeté les demandes de Monsieur et Monsieur X... fondées sur l’existence d’un contrat de travail ;

AUX MOTIFS QUE le contrat liant les parties, qui a été qualifié de « cogérance », se réfère expressément à l’article 782-1 du Code du travail et à l’accord collectif national des maisons d’alimentation à succursales, supermarchés, hypermarchés du 18 juillet 1963 ; que pour pouvoir prétendre à la requalification du contrat de ce contrat en contrat de travail, il incombe à Monsieur et à Madame X... de démontrer que les conditions dans lesquelles était exécuté le contrat étaient exorbitantes de celles prévues par ces textes et les plaçaient dans un lien de subordination juridique vis à vis de la société CASINO ; que l’exploitation dans des locaux dont le mandant est propriétaire est prévue par l’article 26 de l’accord national ; que la clause de fourniture exclusive avec vente avec prix imposé prévu par l’article 3 du contrat n’est qu’une modalité commerciale prévue par l’article L. 782-1 du Code du travail et l’article 34 de l’accord collectif national, sans incidence sur la nature du contrat ; qu’en application des dispositions de ce texte, les gérants doivent suivre la politique commerciale de l’entreprise et notamment participer obligatoirement aux actions promotionnelles et publicitaires proposés, apposer le matériel publicitaire fourni par la société, se conformer à l’utilisation des documents fournis par la société ; que sont conformes au même texte, les notes de service diffusées notamment au moyen de messages envoyés par minitel, qui révèlent le souci de la société CASINO de parvenir à une harmonisation des pratiques sur l’ensemble des points de vente et d’apporter aux gérants des informations utiles sur la réglementation applicable ; que Monsieur et Madame X... ne démontrent pas que les recommandations ainsi diffusées ont revêtu un caractère contraignant en faisant l’objet de contrôles et de sanction ; qu’ils n’établissent pas que le refus d’assister à la formation relative au passage à l’euro, fortement encouragée par la société, a pu être sanctionnée ; que le contrôle portant sur les marchandises mises à la disposition de Monsieur et Madame X... pour les vendre et sur le respect des prix imposés est justifié par le fait que le mandant reste propriétaire des marchandises mises à la disposition des gérants pour les vendre ; que l’insertion d’une clause de non concurrence dans le contrat est conforme à l’article 20 de l’accord collectif ; qu’en revanche, les éléments constitutifs du contrat de gérant non salarié spécifiés par l’article 782-1 du Code du travail sont réunis ;

ALORS QUE l’existence d’un contrat de travail se détermine uniquement au regard des conditions de fait dans lesquelles l’activité professionnelle est exercée ; qu’en rejetant l’existence d’un contrat de travail au seul motif que les différentes sujétions auxquelles étaient soumis les époux X... étaient conformes à l’article L. 782-1 du Code du travail ou à l’accord collectif national des maisons d’alimentation à succursales sans rechercher si, dans les faits, ces sujétions et la manière dont elles étaient appliquées par la société CASINO aux époux X... n’avaient pour effet de placer ces derniers dans un état de subordination juridique, la Cour d’appel, qui n’a pas statué au regard des conditions de fait dans lesquelles l’activité professionnelle des époux X... était exercée, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 121-1 et L. 782-1 du Code du travail, ainsi que de l’accord collectif national des maisons d’alimentation à succursales, supermarché et hypermarchés du 18 juillet 1963.

SECOND MOYEN DE CASSATION Subsidiaire

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté les époux X... de leurs demandes d’indemnité de rupture et de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de gérance ;

AUX MOTIFS QU’en cas de rupture à l’initiative du mandant les gérants non salariés relevant des articles L. 782-1 et suivants du Code du travail bénéficient d’indemnités de rupture ou de dommages-intérêts à la condition de n’avoir pas commis de faute grave ou lourde ; que selon l’article 16 du contrat de co-gérance signé par Monsieur et Madame X..., constitue une faute lourde le cas de manquant de marchandises ou d’espèces provenant des ventes ; qu’un inventaire réalisé contradictoirement le 8 février 2002 a fait apparaître un manquant de marchandises de 8.339 et un excédent d’emballages de 218,91 ; que l’arrêté de compte signé le 9 avril 2002 a fait ressortir une solde débiteur de 8.577,23 , qu’ultérieurement un inventaire du 17 février 2003 a révélé un manquant de marchandises de 16.324,15 et un excédent d’emballages de 362,44 ; que Monsieur et Madame X... ont attesté que les opérations d’inventaire ont été pratiqués contradictoirement ; qu’ils n’en critiquent d’ailleurs pas la régularité ; qu’ils ne contestent pas l’arrêté de compte faisant ressortir un solde débiteur de 14.985,88 qu’ils ont d’ailleurs approuvé le 21 mars 2003 ; que l’inventaire de cession réalisé le 17 avril 2003 en application des dispositions de l’article 17 du contrat a mis en évidence un solde débiteur de 8.577,23 ; que le fait de ne pas être en mesure de présenter les marchandises dont ils étaient dépositaires ou d’en restituer le prix constitue un manquement grave aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat de co-gérance sans indemnité de rupture ;

ALORS, D’UNE PART, QUE le juge prud’homal n’est pas lié par les stipulations du contrat de gérance ayant déterminé à l’avance les faits susceptibles de justifier la rupture du contrat sans préavis ni indemnité, ni par la qualification qu’elles ont donnée à ces faits ; qu’en décidant que le déficit d’inventaire était privatif de toute indemnité dès lors que le contrat de gérance affirmait qu’il s’agissait d’une faute lourde, la Cour d’appel a violé l’article L. 782-7 du Code du travail ;

ALORS, D’AUTRE PART ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE ne constitue pas une faute grave justifiant la rupture du contrat de gérance sans indemnité, le déficit d’inventaire qui ne s’accompagne pas d’un autre fait fautif commis par les gérants ; qu’en qualifiant de faute grave le déficit d’inventaire reproché aux époux X... quand aucun autre fait fautif ne leur était reproché, la Cour d’appel a derechef violé l’article L. 782-7 du Code du travail.

Publication : Bulletin 2009, V, n° 79

Décision attaquée : Cour d’appel de Lyon , du 15 décembre 2006