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Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 30 mai 2000

N° de pourvoi : 99-84375

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. GOMEZ, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente mai deux mille, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller BEYER, les observations de la société civile professionnelle DEFRENOIS et LEVIS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LUCAS ;

Statuant sur les pourvois formés par :

"-" X...Jean-Pierre,

"-" X...Mikaël,

contre l’arrêt de la cour d’appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 23 avril 1999, qui, pour travail clandestin par dissimulation de salariés, les a condamnés à 30 000 francs d’amende chacun, et a ordonné la publication d’un extrait de l’arrêt ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 362-3 et L. 362-4 du Code du travail, 388, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

” en ce que la cour a déclaré les prévenus (Jean-Pierre X...et Mikaël X...) coupables de travail clandestin par emploi de salariés non déclarés ;

” aux motifs propres et adoptés que la société de publicité dont Jean-Pierre X...était le gérant administratif et Mikaël X...le responsable technique, en charge plus spécialement de l’agence de Colmar, avait employé depuis 1992, sans aucune déclaration ni formalité sociale quelconque, deux personnes qui travaillaient dans les locaux et sur le matériel informatique de l’entreprise aux heures habituelles de travail, sous la direction de Mikaël X...qui les avait recrutées, sans indépendance d’exécution, moyennant une rémunération mensuelle d’environ 4 000 F pour l’une, Melle Y..., et de 6 500 F pour l’autre, M. Z... ; que ces personnes espéraient une embauche régulière, finalement obtenue en avril 1993, après que Melle Y...eût insisté pour avoir un contrat de travail, qui avait d’ailleurs été établi en septembre 1992 et avait servi à une demande d’exonération de charges sociales, mais n’avait pas été suivi d’effet après le rejet de la demande d’exonération ;

qu’elles établissaient à la demande et sur les indications de Mikaël X...des notes d’honoraires, sur lesquelles la TVA avait été, de manière révélatrice, omise dans 21 cas sur 25 ; qu’elles ne cotisaient à aucune caisse de travailleurs indépendants et ne faisaient l’objet d’aucune immatriculation professionnelle ou fiscale ; qu’en cours d’enquête, il était apparu que deux autres personnes avaient travaillé dans des conditions similaires en 1992 et 1993, MM. A...et B..., ce dernier ayant eu un moment une promesse d’embauche non suivie d’effet (arrêt p. 3) ; que M. Z...et Melle Y...percevaient une rémunération mensuelle fixe imposée par la direction et calculée en fonction d’horaires de bureaux normaux, travaillaient exclusivement pour la société, dans les locaux et avec le matériel de la société, n’étaient pas déclarés à la chambre des métiers ou à la chambre de commerce et avaient été embauchés en avril 1993 ; que les intéressés étaient marqués par un lien de subordination juridique et de dépendance économique caractéristiques du contrat de travail salarié ; que les auditions de Melle Y...et de MM. Z..., B... et A...établissaient que leur activité s’exerçait sous l’autorité et le contrôle de Jean-Pierre et Mikaël X... ; qu’ainsi leur activité était entièrement ancrée dans les locaux de la société, ils étaient soumis à des horaires de bureau normaux, le matériel et les outils nécessaires à l’accomplissement de leur travail leur était fourni par l’entreprise et enfin ils étaient rémunérés mensuellement ; que l’établissement des notes d’honoraires n’était qu’un procédé destiné à masquer l’existence du lien de subordination juridique ; que les notes d’honoraires ne portaient pour la plupart aucune mention de la TVA, étaient établies sous la dictée de Mikaël X..., et que les rémunérations, convenues entre les intéressés et la société, étaient versées par chèque par le gérant, variant en fonction des absences ou heures supplémentaires sur une même base mensuelle ; que la relation de travail était marquée par une dépendance économique étroite, l’ensemble des employés tirant du travail accompli pour la société leur unique moyen d’existence, l’ensemble de ces personnes n’ayant accepté de travailler sans contrat salarié que dans le but d’une embauche par ailleurs promise par la société (jugement p. 6 et 7) ; que, dans ces conditions, les premiers juges avaient à juste titre condamné les prévenus pour travail clandestin par recours à des travailleurs salariés non déclarés, puisque leur statut de travailleur indépendant était totalement factice (arrêt p. 4 1) ;

” alors que la cour d’appel n’a pas recherché, comme l’y invitaient les prévenus (conclusions notamment p. 6 et 7), s’il ne résultait pas des déclarations faites à la police par les prétendus salariés que ces derniers étaient libres de leurs horaires et avaient choisi par pure commodité personnelle de travailler avec les moyens et dans les locaux de la société ;

” et aux motifs que, quand bien même il n’y aurait pas eu de salariat dans ce cas, mais une véritable prestation indépendante, le recours à des travailleurs clandestins n’en était pas moins constant, puisque le travail clandestin n’était pas seulement l’emploi de salariés non déclarés, mais également le recours à des prestataires qui travaillaient de manière clandestine, sans charges sociales ou fiscales (arrêt p. 4 2) ;

” alors que les citations délivrées aux prévenus visaient des faits de travail clandestin par emploi de salariés non déclarés, et qu’en statuant sur des faits distincts de recours à des prestataires de service non déclarés, la cour d’appel a excédé les limites de sa saisine ;

” et aux motifs que l’irrégularité de ces prestations supposées était connue et évidente, puisque l’on n’avait songé qu’à quatre reprises à mentionner de la TVA sur les factures, et qu’après un accident de M. Z...en été 1992, il était apparu indiscutablement qu’il n’avait pas de couverture sociale ; que l’établissement d’un contrat de travail à Melle Y...en 1992, non suivi des déclarations obligatoires, était également révélateur de la conscience de l’irrégularité de sa situation ; que la déclaration d’honoraires sur la DAS 2 n’amenait pas l’administration fiscale à contrôler le statut des prestations mentionnées sur cette déclaration, et que cette déclaration ne démontrait pas la bonne foi des prévenus (arrêt p. 4) ;

” alors que la mention de la TVA établissait que les sommes versées aux intéressés avaient la nature d’honoraires et non de salaires, et démontrait en toute hypothèse l’absence de volonté des prévenus de dissimuler les services fournis par les intéressés ; que l’élément intentionnel du délit de travail clandestin faisait défaut “ ;

Attendu qu’en l’état des constatations et énonciations de l’arrêt attaqué, desquelles il résulte que les quatre personnes qui ont effectué des travaux pour le compte de la société Lehmann X...et Fils, fournissaient en réalité leurs prestations dans des conditions qui les plaçaient dans un lien de subordination juridique et économique à l’égard de ladite société et n’étaient pas, contrairement à ce que prétendaient les prévenus, des travailleurs indépendants, la cour d’appel, abstraction faite de motifs surabondants critiqués à la deuxième branche du moyen, a justifié sa décision au regard de l’article L. 324-10, 3 du Code du travail, visé à la prévention ;

D’où il suit que le moyen, qui ne tend, en ses première et troisième branches, qu’à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-1 du Code pénal, L. 324-9, L. 324-10, L. 362-3 et L. 362-4 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

” en ce que la cour d’appel a déclaré les prévenus (Jean-Pierre X...et Mikaël X...) coupables de travail clandestin par emploi de salariés non déclarés ;

” aux motifs propres et adoptés que Jean-Pierre X..., gérant de la société, avait volontairement dissimulé des salariés, avec l’assistance de son fils Mikaël, qui notamment dictait le contenu des notes d’honoraires à certains des employés et contrôlait directement leur activité (jugement p. 7 6) ; que Mikaël X...était bien coauteur de l’infraction avec son père, gérant de droit, puisque c’était lui qui avait recruté et dirigé ce personnel clandestin en lui demandant d’établir des notes d’honoraires selon ses indications ; qu’il importait peu qu’il n’ait pas eu la qualité de gérant de droit ou de fait à l’époque, et que l’infraction de travail clandestin n’était pas automatiquement liée à cette qualité, mais était imputable à toute personne qui la commettait sciemment avec les pouvoirs nécessaires ; qu’elle pouvait aussi incomber, comme dans le pas d’espèce, à un gérant d’agence, s’il avait l’autonomie et les pouvoirs nécessaires pour procéder à la décision d’embauche irrégulière (arrêt p. 4) ;

” alors que seul l’employeur investi en droit du pouvoir de direction de l’entreprise, peut être poursuivi pour dissimulation d’emploi salarié, sauf preuve d’une délégation régulière de pouvoir ;

que la cour d’appel, qui a seulement relevé que Mikaël X...aurait exercé en fait certains des attributs du pouvoir de direction mais qui n’a pas caractérisé une délégation au regard de la compétence, de l’autorité et des moyens, ne pouvait déclarer ce prévenu coupable ;

” alors, subsidiairement qu’à supposer que la cour d’appel ait fait apparaître la délégation à Mikaël X...du pouvoir de direction, Jean-Pierre X..., dirigeant de droit de l’entreprise à la charge de qui la Cour ne relevait aucun acte personnel de participation aux faits poursuivis, était nécessairement dégagé de toute responsabilité pénale “ ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’en 1992 et 1993, la société Lehmann X...et Fils a employé, sous le couvert d’un prétendu statut de travailleurs indépendants, des salariés sans effectuer aucune des formalités prévues par l’article L. 324-3 ancien du Code du travail ; qu’à la suite de ces faits, Jean-Pierre X...et Mikaël X...ont été déclarés coupables du délit de travail clandestin, le premier en qualité de gérant de droit de la société assurant les fonctions administratives, et le second en qualité de responsable technique ;

Attendu que, pour écarter l’argumentation de Mikaël X...qui contestait toute responsabilité pénale du fait qu’il n’était pas le dirigeant de la société, les juges du second degré, après avoir relevé qu’il était le responsable de l’agence de Colmar et qu’il avait recruté et dirigé ce personnel clandestin, retiennent qu’il doit être déclaré coauteur, avec Jean-Pierre X..., du délit ;

Attendu qu’en cet état, la cour d’appel a justifié sa décision, les dirigeants, de droit ou de fait, d’une même société pouvant être simultanément déclarés coupables de travail clandestin, dès lors que les éléments constitutifs du délit sont caractérisés à l’encontre de chacun ;

Qu’ainsi le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3 et 131-35 du Code pénal, L. 362-4 du Code du travail et 591 du Code de procédure pénale ;

” en ce que la cour d’appel a ordonné la publication par voie de presse et aux frais des prévenus (Jean-Pierre et Mikaël X...) “ d’un extrait de l’arrêt “ ;

” aux motifs que la cour d’appel ordonnait la publication de la décision par extrait, conformément aux articles L. 362-4. 4 du Code du travail et 131-35 du Code pénal (arrêt p. 5 2) ;

” alors qu’en ne déterminant pas la partie de l’arrêt à publier, la cour d’appel a prononcé une peine indéterminée et non prévue par la loi “ ;

Attendu que la cour d’appel a ordonné, à titre de peine complémentaire, la publication d’un extrait de l’arrêt dans le journal Les Dernières Nouvelles d’Alsace aux frais des prévenus, mesure prévue par l’article L. 362-3 du Code du travail alors applicable, et reprise ensuite par l’article L. 362-4, 4 du même Code ;

Que l’omission, par la cour d’appel, de déterminer l’extrait dont elle a ordonné la publication relève du contentieux de l’exécution, prévu par les articles 710 et 711 du Code de procédure pénale ;

D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Gomez président, M. Beyer conseiller rapporteur, M. Pinsseau conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Lucas ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de COLMAR chambre correctionnelle , du 23 avril 1999

Titrages et résumés : (Sur le premier moyen) TRAVAIL - Travail clandestin - Emploi de salariés - Activités professionnelles visées par l’article L324-1 du code du travail.

null

(Sur le deuxième moyen) RESPONSABILITE PENALE - Travail - Travail clandestin - Société - Dirigeants de droit et de fait.

null

Textes appliqués :
* Code du travail L324-1, L324-10
* Code pénal 121-1