Collaborateur presse - salarié - dissimulation d’emploi oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 16 février 1999

N° de pourvoi : 98-82538

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. GOMEZ, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 Y... Bertrand,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 2 février 1998, qui, pour travail clandestin, l’a condamné à 10 000 francs d’amende et a dit que la mention de cette condamnation sera exclue du bulletin n° 1 de son casier judiciaire ;

La COUR, en l’audience publique du 5 janvier 1999 où étaient présents dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Gomez président, M. Desportes conseiller rapporteur, M. Milleville conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. de Gouttes ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général de Z... ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 362-3, L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11, L. 143-3, L. 143-5 et L. 620-3 du Code du travail, 121-1 du nouveau Code pénal, 2, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Bertrand Y... coupable de travail clandestin ;

”aux motifs que, plusieurs fois par mois, des contrats dits “de mise en forme” ont été conclus entre les parties et ces contrats ont prévu, en faveur de Laure A..., une rémunération identique de 1 500 francs ; que ces conventions ont, en fait, été signées lors de la remise du travail ; que Laure A... effectuait, au sein de la société UGE Poche, non seulement la mise en forme de textes mais également, comme l’a reconnu Martine C..., directrice du département “Poche Première”, et comme l’établissent plusieurs documents, dont deux de la main de Martine C..., des contacts avec la presse ; que les indications fournies dans les “communiqués de presse” démontrent que Laure A... travaillait à heures fixes, de façon quotidienne cinq demi-journées par semaine, au sein d’un service organisé, dans un bureau de la société UGE Poche, ce qui paraît peu compatible avec un travail de rédacteur indépendant ; qu’elle utilisait le matériel mis à sa disposition par l’entreprise, comme les salariés de l’entreprise ; qu’il ressort des déclarations recueillies au cours de l’enquête que Laure A..., qui travaillait exclusivement pour UGE Poche SA, avait reçu, pour l’exécution de sa tâche, des instructions de Jean-Baptiste X..., directeur littéraire du département “Fleuve Noir”, puis, à compter du mois de février 1993, de Martine C... ; qu’il est avéré que Laure A... n’était pas réellement payée en fonction des contrats de “mise en forme” obtenus, mais qu’elle recevait une somme mensuelle de 4 650 francs ; que, si elle avait rédigé des “notes

d’honoraires”, celles-ci étaient manuscrites, rédigées sur papier libre, sans mention spéciale ni détail ; qu’enfin, Martine C..., qui a déclaré avoir laissé à Laure A... “une certaine liberté dans l’organisation de son travail”, a ainsi implicitement admis que celle-ci se trouvait, à son égard, dans un lien de subordination ; que ces différents éléments caractérisent l’existence d’un contrat de travail, mais qu’aucune des formalités exigées par les articles L. 143-3, L. 143-5 et L. 620-5 du Code du travail n’a, en la cause, été accomplie à l’égard de Laure A... ; qu’est ainsi établi, en tous ses éléments constitutifs, tant matériel qu’intentionnel, s’agissant d’agissements délibérés, le délit d’exécution d’un travail clandestin, tel que défini par l’article L. 324-10 du Code du travail dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, étant précisé que les agissements poursuivis entrent dans le champ d’application des dispositions de la loi du 11 mars 1997 relative au travail dissimulé, et plus particulièrement dans celles de l’article L. 324-10 dudit Code à ce jour applicable ; que, s’agissant de l’imputabilité de l’infraction, Bertrand Y... n’établit nullement l’existence d’une délégation de pouvoirs ; que, bien au contraire, les renseignements recueillis au cours de l’enquête font apparaître que Bertrand Y... n’avait pas délégué ses pouvoirs d’embauche ; qu’il convient, à cet égard, de relever les déclarations de Jean-François B..., chargé de mission puis directeur des ressources humaines, selon lequel Martine C... lui avait indiqué, à propos du statut de Laure A..., qu’elle devait en référer au prévenu, lequel avait seul la possibilité de décider de la création d’un poste budgétaire de salarié et, quelques temps plus tard, que cette création n’avait pas été décidée ; qu’il y a lieu aussi de rappeler les déclarations de Martine C..., laquelle a précisé aux enquêteurs qu’elle n’avait été destinataire d’aucune délégation de pouvoirs de la part de Bertrand Y... et que celui-ci, informé par ses soins de la situation de Laure A..., lui avait indiqué que Laure A... ne devait pas être embauchée comme salariée ; qu’il apparaît ainsi qu’informé des prétentions de Laure A..., Bertrand Y... a donné pour instruction de ne pas y faire droit ; que cette circonstance démontre non seulement que le prévenu était seul en mesure d’y donner suite, ce qui réduit à néant l’allégation de l’existence d’une délégation de pouvoirs, mais encore que la méthode employée par Martine C... pour s’assurer des services de Laure A... sans l’embaucher avait son plein accord ; que, dès lors, il apparaît que ce n’est pas à l’insu de Bertrand Y... que Laure A... a été employée par la société UGE Poche, sous couvert de contrats de mise en forme conclus par Martine C... ; qu’enfin, les premiers juges ont noté, à bon escient, que le fait de faire travailler comme collaborateur littéraire une personne exerçant en réalité une activité salariée, à des coûts sociaux avantageux, relevait d’une politique de l’entreprise réservée à son dirigeant ; que Bertrand Y... ne peut, dans ces conditions, comme il l’a fait devant la Cour, tenter de s’exonérer de sa responsabilité en invoquant les initiatives malheureuses qui seraient le fait de ses seuls subordonnés, voire l’impossibilité de suivre de façon constante l’ensemble des événements de la vie de son entreprise ; qu’enfin, c’est vainement que la défense croit pouvoir

invoquer en faveur du prévenu une absence d’élément intentionnel, alors que l’examen de la procédure a mis, au contraire, en évidence, d’une part, les efforts manifestés de façon réitérée par Laure A..., en vue de faire reconnaître ses droits et, d’autre part, la résistance injustifiée et délibérée de la direction de l’entreprise aux réclamations ainsi formulées (arrêt, pages 7 à 9) ;

”alors que nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ; qu’en l’espèce, indépendamment du point de savoir si Bertrand Y... avait délégué à un subordonné le pouvoir d’embaucher Laure A... dans le cadre d’un contrat de travail, il est constant que les contrats de mise en forme incriminés ont tous été signés par Martine C..., représentant seule la société UGE Poche et ce, conformément aux fonctions dévolues à l’intéressée qui, en sa qualité de, avait autorité sur le personnel, la signature des contrats et des dépenses, de sorte que seule Martine C... pouvait se voir reprocher les faits litigieux, tandis que le demandeur n’avait pas personnellement pris part à la signature des contrats litigieux ni, partant, à la réalisation de l’infraction ;

”qu’ainsi, en se bornant à constater, pour écarter les effets d’une délégation de pouvoirs, d’une part, que le fait de faire travailler comme collaborateur littéraire une personne exerçant en réalité une activité salariée à des coûts avantageux relevait d’une politique de l’entreprise réservée à son dirigeant, d’autre part, que seul le prévenu pouvait valablement donner une suite favorable à la demande d’embauche de Laure A..., sans rechercher si cette dernière n’avait pas exercé son activité sous la seule autorité de Martine C..., signataire des contrats de mise en forme, tandis que le demandeur n’avait été informé de cette affaire qu’au moment où, postérieurement aux faits poursuivis, Laure A... a sollicité la conclusion d’un contrat de travail, la cour d’appel qui se détermine par une motivation inopérante, a privé sa décision de toute base légale” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué reproduites au moyen mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que les juges du fond ont, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnel, le délit de travail clandestin dont ils ont déclaré Bertrand Y... coupable ;

D’où il suit que le moyen, qui revient à remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, et prononcé par M. le président le seize février mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre

Décision attaquée : cour d’appel de Paris, 11ème chambre du 2 février 1998