Confection

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 8 juin 1999

N° de pourvoi : 98-84134

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. GOMEZ, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général le FOYER de COSTIL ;

Statuant sur les pourvois formés par :

 X... James,

 La SOCIETE LE FABRICANT,

contre l’arrêt de la cour d’appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 9 juin 1998, qui, pour emploi de travailleurs dissimulés, les a condamnés, le premier, à 12 mois d’emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d’amende, la seconde à 100 000 francs d’amende et a ordonné la diffusion de la décision ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;

Sur premier moyen de cassation, pris de la violation de l’article 592 du Code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué énonce qu’à l’audience du 10 mars 1998, au cours de laquelle ont eu lieu les débats, siégeaient Mme Y..., faisant fonctions de président, Mmes Robert et Gounot, conseillers ; qu’à l’issue de cette audience, le président a informé les parties que l’affaire était mise en délibéré à l’audience du 12 mai 1998 ; qu’à cette audience, Mme le conseiller Robert a informé les parties que le délibéré était prorogé à l’audience du 26 mai 1998 ; qu’à cette audience, le même conseiller a annoncé que le délibéré était encore prorogé jusqu’à l’audience du 9 juin 1998 ;

qu’à cette dernière audience, la Cour était composée de M. Castagnede, président, de M. Z... et de Mme Robert, conseillers, cette dernière a donné lecture de la décision ;

”alors que tout jugement doit établir la régularité de la composition qui l’a rendu au regard de l’article 592 du Code de procédure pénale qui prévoit que les décisions doivent, sous peine de nullité, être délibérées et rendues par des juges ayant assisté à toutes les audiences sur le fond, c’est à dire au cours desquelles la cause a été instruite, plaidée ou jugée ; qu’en l’espèce, il ne résulte pas des mentions de l’arrêt, qui ne précise pas la composition de la Cour lors du délibéré et qui a été rendu par une Cour dont un seul conseiller était présent lors de l’audience au fond, que les trois magistrats ayant assisté aux débats ont participé à la totalité du délibéré ; que l’arrêt attaqué n’établit ainsi pas la régularité de la composition qui l’a rendu en violation de l’article 592 du Code de procédure pénale” ;

Attendu qu’il se déduit des mentions de l’arrêt attaqué, que les mêmes magistrats ont participé à l’audience des débats et au délibéré, conformément à l’article 592 du Code de procédure pénale ;

Que le moyen ne peut qu’être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 120-3, L. 324-10 et L. 324-14 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré James X... et la société Le Fabricant coupables de l’infraction de travail clandestin et a condamné le premier à une peine d’emprisonnement avec sursis et les deux à une peine d’amende ;

”aux motifs que l’inscription au registre des métiers des chefs d’atelier était faite à la demande de la société Le Fabricant qui n’en demandait pas de justificatif ; qu’il n’existait aucun fonds artisanal ni enseigne ou document et imprimé relatif à ces fonds ;

que la majorité des sous-traitants travaillaient exclusivement pour la société Le Fabricant ; que cette société fournissait le tissu qu’elle découpait, les étiquettes, les élastiques, les ceintures et les cintres, les sous-traitants effectuant seulement l’assemblage ; qu’elle contrôlait le travail avant l’enlèvement, la réfection des articles défectueux étant à la charge du sous-traitant ; que la rémunération à la pièce, selon des prix fixés par la société Le Fabricant, favorisait une cadence de travail peu compatible avec la dignité humaine ;

qu’aucun contrat n’a été établi entre cette société qui établissait elle-même les factures et les sous-traitants ; que la société Le Fabricant prétend dans sa plaquette publicitaire réaliser le montage des vêtements dans ses propres ateliers ; que l’article L. 324-14 du Code du travail imposait en tout état de cause à James X... de vérifier la situation des sous-traitants au regard de l’article L. 324-10 ;

”alors, d’une part, que l’infraction de travail clandestin prévue par l’article L. 324-10 3 du Code du travail implique l’existence d’un contrat de travail ; qu’aux termes de l’article L. 120-3 du même Code, un artisan inscrit au registre des métiers est présumé ne pas être lié par un contrat de travail dans l’exercice de son activité, cette présomption ne pouvant être renversée que s’il est établi que l’intéressé fournit des prestations à un donneur d’ouvrage dans des conditions qui le placent dans un état de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ; qu’en l’espèce, l’arrêt attaqué relève que les sous-traitants fournissant leurs prestations à la société Le Fabricant étaient régulièrement inscrits au registre des métiers, ce dont il résultait qu’ils bénéficiaient de cette présomption de non-salariat ; qu’en retenant, pour dire que l’infraction de travail clandestin était constituée, que ces artisans travaillaient principalement ou exclusivement pour la société Le Fabricant, qui leur imposait ses prix et établissait les factures, alors que ces éléments ne caractérisaient nullement une subordination juridique permanente mais seulement éventuellement une dépendance économique ne constituant pas un élément susceptible de détruire cette présomption, la cour d’appel a violé les textes en cause ;

”alors, d’autre part, qu’en relevant que la société Le Fabricant vérifiait la qualité du travail avant l’enlèvement et que la réfection des articles défectueux était assurée gratuitement par les artisans, circonstances inhérentes à l’exécution normale d’un contrat de sous-traitance, la cour d’appel, qui n’a ainsi pas caractérisé l’existence d’une subordination juridique permanente caractéristique du travail salarié, a encore violé les mêmes textes ;

”alors, de troisième part, que les prévenus faisaient valoir que les sous-traitants effectuaient l’assemblage des vêtements avec leur propre matériel, qu’ils étaient libres de l’organisation de leur travail et qu’ils ne se voyaient imposer aucun délai pour la confection ; que la cour d’appel n’a pas contesté ces éléments de fait qui excluaient l’existence d’un rapport de subordination juridique entre ces sous-traitants et le donneur d’ordre ; qu’en décidant néanmoins que les artisans étaient liés à la société Le Fabricant par un contrat de travail, la cour d’appel a derechef violé les textes précités ;

”alors, enfin, qu’il résulte des articles L. 324-9, L. 324-10 et L. 324-14 du Code du travail que l’infraction de travail clandestin est réalisée de la part d’un donneur d’ordre, soit par le recours aux services d’une personne physique ou morale exerçant une activité commerciale, industrielle ou de prestation de services, sans être immatriculée au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés ou sans avoir procédé aux déclarations fiscales et sociales requises, soit par la dissimulation de l’emploi d’une main-d’oeuvre salariée ; qu’en retenant, après avoir énoncé que les sous-traitants étaient en réalité liés à la société Le Fabricant par des contrats de travail, que cette dernière aurait dû en tout état de cause s’assurer que les intéressés remplissaient leurs obligations au regard de l’article L. 324-10, la cour d’appel s’est nécessairement placée dans le cadre de la première des hypothèses visées par les textes précités ; qu’en statuant par un tel motif, alors qu’elle constatait que la société Le Fabricant exigeait de ses sous-traitants qu’ils soient inscrits au répertoire des métiers et qu’elle ne relevait pas que ces derniers n’auraient pas procédé aux déclarations fiscales et sociales obligatoires, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision” ;

Attendu qu’en l’état des constatations et énonciations de l’arrêt attaqué, reproduites au moyen, desquelles il résulte que les personnes effectuant des travaux d’assemblage de vêtements, pour le compte de la société Le Fabricant, dans le cadre d’un prétendu contrat de sous-traitance, fournissaient en réalité leurs prestations dans des conditions qui les plaçaient dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de ladite société, la cour d’appel, abstraction faite d’un motif surabondant visé à la quatrième branche, a justifié sa décision au regard des articles L. 120-3 et L. 324-10 du Code du travail ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et de la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Gomez président, Mme Karsenty conseiller rapporteur, M. Milleville conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. le Foyer de Costil ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Bordeaux, chambre correctionnelle du 9 juin 1998

Titrages et résumés : (sur le second moyen) TRAVAIL - Travail clandestin - Activités professionnelles visées par l’article L324-10 du code du travail - Lien de subordination permanente - Appréciation des juges du fond.

Textes appliqués :
• Code du travail L120-3 et L324-10