Bâtiment

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 14 février 2006

N° de pourvoi : 05-82287

Publié au bulletin

Cassation

M. Cotte, président

Mme Guirimand., conseiller apporteur

Mme Commaret., avocat général

SCP Peignot et Garreau., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze février deux mille six, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle PEIGNOT et GARREAU, avocat en la Cour et les conclusions de Mme l’avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE CHAMBERY,

contre l’arrêt de ladite cour, chambre correctionnelle, en date du 2 décembre 2004, qui a relaxé Tanguy DE X... des chefs de marchandage et d’exécution d’un travail dissimulé ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles L. 324-10, L. 143-3, L. 320 , L. 120-3, L. 611-10 du Code du travail, et 593 du Code de procédure pénale ;

Vu l’article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision, et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que, par ailleurs, les juges sont tenus de répondre aux réquisitions du ministère public ;

Attendu qu’il ressort de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’à la suite de contrôles effectués par l’inspection du travail sur trois chantiers de bâtiment confiés à la société Duret, Tanguy de X..., son président, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel sur le fondement des articles L.125-1 et L. 324-9 du Code du travail, pour avoir participé à une opération de prêt lucratif de main d’oeuvre ayant pour effet de causer préjudice à quatre salariés employés sous le couvert de fausse sous- traitance, et omis intentionnellement de procéder à des déclarations préalables à l’embauche et de remettre des bulletins de paie ;

Attendu que le prévenu a été renvoyé des fins de la poursuite ;

Attendu que, statuant sur l’appel du ministère public, les juges du second degré, pour confirmer le jugement entrepris, retiennent que les sous-traitants étaient des artisans inscrits au répertoire des métiers, et que, percevant des rémunérations supérieures à celles des salariés de la société Duret, ils ne se trouvaient pas en état de subordination juridique permanente à l’égard de la société, même s’ils utilisaient par commodité ses matériaux et véhicules de livraison, dès lors que s’étant librement engagés, ils avaient conservé toute latitude pour organiser leur temps de travail et oeuvrer pour d’autres “employeurs” ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, sans répondre aux réquisitions du ministère public faisant valoir que, d’une part, les prétendus sous-traitants avaient en fait le statut de salariés, en raison des conditions, pratiquement identiques pour chacun d’eux, de leur rémunération qui était subordonnée, non à l’exécution d’une tâche déterminée à l’avance, mais à un contrôle de la quantité de travail effectué, et que, d’autre part, l’existence d’un contrat de travail était établie dès lors que les artisans concernés, fussent- ils immatriculés au répertoire des métiers, fournissaient des prestations les mettant en état de subordination juridique par rapport au maître de l’ouvrage durant tout le temps d’exécution de leur tâche, même en l’absence d’un lien contractuel permanent, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Chambéry, en date du 2 décembre 2004, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Publication : Bulletin criminel 2006 N° 43 p. 168

Décision attaquée : Cour d’appel de Chambéry, du 2 décembre 2004

Titrages et résumés : TRAVAIL - Travail temporaire - Contrat - Prêt de main-d’oeuvre à but lucratif - Contrat d’entreprise - Distinction - Analyse des critères par les juges du fond. Le prêt de main-d’oeuvre à but lucratif que, seules, peuvent légalement pratiquer les entreprises de travail temporaire, est réalisé par la mise à la disposition de l’entreprise utilisatrice, pour une durée déterminée, de salariés dont la rémunération est calculée en fonction de cette durée, du nombre et de la qualification des travailleurs détachés, lesquels sont placés sous la seule autorité et sous la responsabilité de l’entreprise utilisatrice. Le contrat d’entreprise, dit aussi de sous-traitance, est une convention par laquelle un employeur offre à son cocontractant un travail ou un service réalisé par son propre personnel qui reste placé sous sa direction et sa responsabilité ; il a pour objet l’exécution d’une tâche objective, définie avec précision, habituellement rémunérée de façon forfaitaire.

Il appartient aux juges du fond, saisis de poursuites exercées contre un employeur sur le fondement du délit de marchandage prévu par l’article L. 125-1 du code du travail, de rechercher, par l’analyse des éléments de la cause, la véritable nature de la convention conclue entre les parties, et, pour ce faire, de répondre aux réquisitions du ministère public faisant valoir, d’une part, que les prétendus sous-traitants ayant oeuvré pour le prévenu avaient en fait le statut de salariés, en raison, notamment, de leur mode de rémunération subordonné à la quantité de travail effectué, et du fait que, nonobstant leur inscription au répertoire des métiers, ils fournissaient des prestations les mettant en état de subordination juridique par rapport au maître de l’ouvrage pendant tout le temps d’exécution de leurs tâches.

TRAVAIL - Travail temporaire - Contrat - Prêt de main-d’oeuvre à but lucratif - Qualification du contrat - Pouvoirs des juges

Précédents jurisprudentiels : A rapprocher : Chambre criminelle, 1985-03-19, Bulletin criminel 1985, n° 117, p. 307 (rejet), et l’arrêt cité ; Chambre criminelle, 1988-05-26, Bulletin criminel 1988, n° 228, p. 593 (rejet), et l’arrêt cité ; Chambre criminelle, 1999-11-03, Bulletin criminel 1999, n° 242 (2), p. 762 (rejet), et l’arrêt cité.

Textes appliqués :
• Code de procédure pénale 593
• Code du travail L125-1