Subordination juridique permanente - bâtiment

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 10 mars 1998

N° de pourvoi : 96-86675

Publié au bulletin

Rejet

Président : M. Milleville, conseiller doyen faisant fonction., président

Rapporteur : Mme Simon., conseiller apporteur

Avocat général : M. Dintilhac., avocat général

Avocat : la SCP Waquet, Farge et Hazan., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET du pourvoi formé par Bonglet Hervé, contre l’arrêt de la cour d’appel de Besançon, chambre correctionnelle, du 3 décembre 1996, qui l’a condamné à une amende de 20 000 francs pour travail clandestin.

LA COUR,

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 120-3 et L. 324-10 du Code du travail :

” En ce que l’arrêt attaqué a déclaré Hervé Bonglet coupable de l’infraction de travail clandestin et l’a condamné à une amende de 20 000 francs ;

” aux motifs que MM. X... et Boumaza travaillaient exclusivement pour la SA Bonglet, qui leur fournissait les matériaux, contrôlait la bonne exécution des travaux en leur donnant les directives nécessaires, les réglait par périodicité régulière et non à l’issue du chantier et établissait leurs factures ; qu’ainsi ces prétendus artisans se trouvaient intégrés dans un ensemble les plaçant en état de dépendance économique et de subordination juridique caractérisant l’existence de contrats de travail ;

” alors, d’une part, que l’infraction de travail clandestin prévue par l’article L. 324-10, 3° du Code du travail implique l’existence d’un contrat de travail ; qu’aux termes de l’article L. 120-3 du même Code, un artisan inscrit au registre des métiers et à l’URSSAF est présumé ne pas être lié par un contrat de travail dans l’exercice de son activité, cette présomption ne pouvant être renversée que s’il est établi que l’intéressé fournit des prestations à un donneur d’ouvrage dans des conditions qui le placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ; qu’en retenant que MM. X... et Boumaza, qui en tant qu’artisans régulièrement inscrits bénéficiaient de cette présomption de non-salariat, travaillaient exclusivement pour la société Bonglet et que celle-ci établissait leurs factures, alors que cette circonstance ne caractérisait pas une subordination juridique permanente mais seulement éventuellement une dépendance économique ne constituant pas un élément susceptible de détruire cette présomption, la cour d’appel a violé les textes en cause ;

” alors, d’autre part, qu’en relevant que MM. X... et Boumaza avaient reçu des instructions du donneur d’ordre, circonstance inhérente à l’exécution normale d’un contrat de sous-traitance, la cour d’appel qui n’a ainsi pas caractérisé l’existence d’une subordination juridique permanente des intéressés envers la SA Bonglet a encore violé les mêmes textes ;

” alors, de troisième part, que la circonstance que MM. X... et Boumaza exécutaient leur prestation avec leur propre matériel et qu’ils étaient payés au métré, c’est-à-dire selon un prix forfaitaire et non au temps, excluait au contraire une telle subordination juridique ; qu’en décidant néanmoins qu’ils étaient liés à la société Bonglet par un contrat de travail, la cour d’appel a derechef violé les textes précités ;

” alors, enfin, qu’aux termes de l’article L. 324-10 du Code du travail, l’infraction de travail clandestin suppose que l’employeur se soit intentionnellement soustrait aux obligations liées à l’emploi de travailleurs salariés ; qu’en ne recherchant pas si, en contractant avec des artisans régulièrement déclarés et qui se trouvaient comme tels présumés accomplir leur activité comme travailleurs indépendants, la société Bonglet avait délibérément cherché à contourner les règles régissant le contrat de travail et à priver les intéressés des droits et garanties attachés à la qualité de salariés, la cour d’appel n’a pas caractérisé l’élément intentionnel constitutif de l’infraction et ainsi violé le texte en cause “ ;

Attendu que, pour déclarer Hervé Bonglet, président de la SA Bonglet, coupable de travail clandestin par emploi de salariés dissimulés, la cour d’appel relève que les deux artisans, avec lesquels ladite société avait prétendument passé des contrats de sous-traitance, travaillaient exclusivement pour cette entreprise de peinture-plâtrerie, qui leur fournissait les matériaux, les réglait périodiquement, non forfaitairement mais au mètre carré, selon une facturation qu’elle établissait pour eux, et retient qu’un conducteur de travaux de la société Bonglet leur donnait les ordres et les instructions pour l’exécution de leur tâche et en vérifiait la bonne exécution ; que les juges énoncent que, si ces deux travailleurs étaient régulièrement inscrits au répertoire des métiers comme artisans, ils se trouvaient en réalité placés dans un état de subordination juridique caractérisant l’existence de contrats de travail et constatent que le prévenu, en sa qualité d’employeur, n’a pas accompli au moins deux des formalités prévues aux articles L. 143-3, L. 143-5 et L. 620-3 du Code du travail ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, d’où il résulte que l’existence de contrats de travail est établie conformément aux dispositions de l’article L. 120-3, alinéa 2, du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 1994, et que le prévenu s’est volontairement soustrait à l’accomplissement des formalités prévues par les textes susvisés, la cour d’appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnel, le délit poursuivi et a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme :

REJETTE le pourvoi.

Publication : Bulletin criminel 1998 N° 95 p. 254

Décision attaquée : Cour d’appel de Besançon, du 3 décembre 1996

Titrages et résumés : TRAVAIL - Travail clandestin par dissimulation de salariés (article L. 324-10.3° du Code du travail) - Requalification de contrats de sous-traitance en contrats de travail - Article L. 120-3 du Code du travail (issu de la loi du 11 février 1994). Ont justifié leur décision au regard de l’article L. 120-3, alinéa 2, du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 1994, les juges qui ont requalifié en relation de travail salarié, l’activité de deux artisans, dont il était prétendu qu’ils exécutaient des travaux en sous-traitance pour le compte d’une entreprise du bâtiment, dès lors qu’il résulte de leurs constatations que ces travailleurs, bien que régulièrement inscrits au répertoire des métiers, exerçaient leur activité dans des conditions de fait caractérisant un lien de subordination juridique permanente à l’égard de cette entreprise. .

Textes appliqués :
• Code du travail L120-3 issu de la loi 1994-02-11, L143-3, L143-5, L324-10, L620-3