Vente de produits téléphoniques - gérant de succursale assujetti oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 16 février 2012

N° de pourvoi : 10-23541

Non publié au bulletin

Cassation

M. Linden (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Celecom, dont M. X... assure la gestion en qualité de président directeur général, a conclu en 1996 avec la société Cellcorp, mandataire de la Société française du radiotéléphone (SFR), un “contrat partenaire” pour la distribution dans un local situé à Nice des produits et offres d’abonnement de cette dernière, sous l’enseigne “espace SFR” ; que ce contrat a été résilié par la société SFR le 1er décembre 2003 ; que M. X... a saisi la juridiction prud’homale pour revendiquer le bénéfice de l’article L. 7321-2 du code du travail et obtenir paiement à ce titre de diverses sommes ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour rejeter ces demandes, l’arrêt retient que compte tenu de l’importance des pourcentages respectifs, soit 80 % minimum et 20 % maximum, prévus au contrat en ce qui concerne les abonnements au profit de SFR et au profit de sociétés concurrentes, de la liberté contractuelle de la société Celecom pour la revente des matériels et des accessoires de téléphonie et de l’activité réellement exercée dans le point de vente, la condition de quasi exclusivité exigée par l’article L. 7321-2 susvisé n’est pas remplie ;

Qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. X... qui soutenait que l’activité d’abonnements au profit de SFR représentait 95 % du chiffre d’affaires global de la société Celecom, la cour d’appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :

Vu l’article L. 7321-2 du code du travail ;

Attendu que pour rejeter les demandes de M. X..., l’arrêt retient que le contrat partenaire, passé avec la société Celecom et non avec M. X..., a été conclu intuitu personae de la personne morale et non de son dirigeant ;

Qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, qu’elle avait constaté que le contrat partenaire mentionnait le caractère intuitu personae des relations établies et que toute opération de cession ou de nature à influer sur le capital social devait être soumise à l’agrément de la SFR, ce dont il résultait que même si celle-ci avait contracté avec une personne morale, c’est la personne physique de celui qui la gérait qui était prépondérante dans l’exécution de l’activité confiée, et alors, d’autre part, que le bénéfice des dispositions de l’article L. 7321-2 du code du travail n’est pas subordonné à la condition que l’activité professionnelle soit exercée par le seul intéressé, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 24 juin 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la Société française de radiotéléphone aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Société française de radiotéléphone et la condamne à payer la somme de 2 500 euros à M. X... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour M. X...

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté Monsieur Gérard X... de sa demande, dirigée contre la Société SFR, tendant à se voir reconnaître le bénéfice du statut de gérant de succursale ;

AUX MOTIFS QUE “la qualité de gérant de succursale, qui rend applicable à la personne concernée les dispositions du Code du travail sans qu’elle ait à prouver un lien de subordination ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais se caractérise par les différents critères définis par l’article L.7321-2 du Code du travail (qui) prévoit qu’est gérant de succursale toute personne (…) dont la profession consiste essentiellement

 soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise aux conditions et prix imposés par cette entreprise,

 soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d’une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise aux conditions et prix imposés par cette entreprise ;

QUE ces conditions qui sont cumulatives doivent toutes être remplies pour que la qualité de gérant de succursale soit reconnue ; que par ailleurs, le bénéfice des dispositions légales ne peut s’appliquer à un gérant de société que s’il a exercé effectivement et personnellement l’activité commerciale objet du contrat et que de ce fait un lien direct s’est instauré entre lui et l’entreprise partenaire ;

QU’en l’espèce, le contrat partenaire prévoyait, en son article 2, que chaque mois 80 % du nombre total des abonnements enregistrés dans le point de vente en radiotéléphonie cellulaire devaient être des abonnements validés par SFR et que la société était libre de commercialiser des services de radiotéléphonie publique ou similaires à ceux offerts par SFR pour des concurrents directs ou indirects de celleci dans une proportion ne dépassant pas 20 % ; qu’aucune clause dudit contrat ne faisait par ailleurs obstacle à ce que la SA CELECOM revende du matériel et des accessoires de son choix tant dans le domaine de la téléphonie mobile que dans celui de la téléphonie fixe ou d’autre appareil de communication ;

QU il n’est pas contesté que la SA CELECOM vendait également des abonnements, du matériel de téléphonie mobile, des kits prépayés comprenant une carte SIM et un crédit de communications, des packs prépayés avec un téléphone mobile, des batteries et des chargeurs n’entrant pas dans le champ du contrat de distribution conclu avec SFR ; qu’ainsi, compte tenu de l’importance du pourcentage prévu au contrat en ce qui concerne les abonnements, de la liberté contractuelle de la Société CELECOM pour la revente des matériels et des accessoires de téléphonie et de l’activité réellement exercée dans le point de vente, la condition de quasi exclusivité exigée par l’article L.7321-2 susvisé n’est pas remplie ;

QUE le contrat partenaire prévoyait en son article 6 que la SA CELECOM s’engageait à n’apporter aucune modification aux tarifs fixés par SFR pour la souscription des abonnements aux services ; qu’aucune clause dudit contrat n’interdisait, par contre, à la SA CELECOM de revendre des terminaux téléphoniques, des accessoires et des packs en fixant librement leur prix de vente ; qu’ainsi la condition relative aux prix imposés exigée par l’article L.7321-2 susvisé n’est pas non plus remplie” ;

1°) ALORS QUE l’appréciation des conditions légales auxquelles est subordonné le bénéfice du statut de gérant de succursale s’effectue en considération des conditions de fait d’exercice de l’activité ; qu’il incombait à la Cour d’appel, saisie par Monsieur X... d’une demande tendant à se voir appliquer ce statut, de rechercher en fait la proportion de son activité réellement déployée pour le compte de SFR consistant à recueillir des demandes d’abonnement devant être considérées comme des commandes à l’opérateur d’une prestation de services, le client étant seul à l’origine de la commande, par rapport à celle consacrée à la diffusion d’autres produits et services ; qu’en s’abstenant de cette recherche pour se déterminer aux termes de motifs inopérants, pris de la “liberté contractuelle” du distributeur pour la revente des matériels et accessoires ainsi que de la faculté de vendre 20 % d’abonnements hors SFR, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.7321-2 du Code du travail ;

2°) ALORS QUE le contrat Partenaire stipulait en préambule que “les sociétés SFR et CELLCORP ont décidé de mettre en place sous l’enseigne “Espace SFR” un réseau constitué de distributeurs de radiotéléphones mobiles prêts à collaborer à la promotion des services (exploités par SFR) et à consentir une quasi exclusivité pour la diffusion desdits services” ; que cet engagement se concrétisait par une souscription d’abonnements bruts SFR à hauteur d’au moins 80 % ; que dans ses écritures d’appel, Monsieur X... avait fait valoir qu’en conformité avec ces stipulations contractuelles, son activité avait en fait, été consacrée pour le compte d’une seule entreprise, en l’occurrence SFR, à la souscription d’abonnements à hauteur de 100% de son chiffre d’affaires annuel dédié à ce service et 95 % de son chiffre d’affaires global ; qu’il avait appuyé ce moyen d’éléments de preuve objectifs et notamment les audits annuels réalisés par SFR ainsi qu’une attestation de son expert-comptable ; qu’en déduisant de motifs inopérants, pris de la “liberté contractuelle” du distributeur que “la condition de quasi-exclusivité” n’était pas remplis sans s’expliquer sur ces écritures et éléments de preuve qui démontraient qu’en fait, plus de 80 % du chiffre d’affaires global du Partenaire était constitué par la distribution de produits et services fournis par SFR la Cour d’appel, qui a privé sa décision de motifs, a violé l’article 455 du Code de procédure civile ;

3°) ALORS en conséquence, QU’en déclarant non remplie la condition de revente à prix imposés aux termes de motifs pris de la liberté de fixer le prix des produits autres que les abonnements SFR, inopérante dès lors que ces produits “libres” ne représentaient qu’une part résiduelle de son activité, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.7321-2 du Code du travail ;

ET AUX MOTIFS QUE sur le lien direct et régulier entre Monsieur Gérard X... et la SFR, l’article 18 prévoyait que le contrat Partenaire était conclu intuitu personae et que la SA CELECOM devait informer préalablement CELLCORP de toute modification de l’actionnariat et de la répartition de son capital ainsi que de toute prise de participation directe ou indirecte par une société concurrente, par une société directement ou indirectement affiliée à un concurrent de SFR dans le domaine de la radiotéléphonie, par elle-même ou par l’un de ses actionnaires dans une société concurrente ; que ce même article précisait que, dans ces cas, CELLCORP pouvait résilier le contrat sans indemnité ; que l’article 19 prévoyait que les prestations ne pouvaient être sous-traitées en tout ou partie ;

QUE le contrat a été passé avec la SA CELECOM et non avec Monsieur Gérard X... ; qu’en conséquence il a été conclu intuitu personae de la personne morale et non de son dirigeant ;

QUE par ailleurs, Monsieur Gérard X... produit des attestations de clients et de salariés ; que les attestations de clients, qui sont dactylographiées, ne sont pas conformes aux dispositions de l’article 202 du Code de procédure civile ; que par ailleurs elles contiennent un certain nombre de formulations rédigées de manière quasiment identiques ; qu’ainsi ces attestations ne présentent pas de garanties suffisantes pour être retenues dans le cadre de la présente procédure ; que dans leur attestation, les salariés déclarent tous avoir eux-mêmes “constaté” que “ Monsieur Gérard X..., gérant de la Société, était présent tous les jours du lundi au samedi pendant les heures d’ouverture du magasin de 9 heures à 19 heures” ; qu’ils ne précisent cependant pas dans quelles conditions ils ont pu faire un tel constat et quels étaient leurs propres horaires de travail alors que l’amplitude horaire qu’ils évoquent implique nécessairement qu’ils devaient en permanence tous travailler avec Monsieur Gérard X... 60 heures par semaine dans le point de vente concerné pour faire le constat qu’ils attestent ; que ces attestations, du fait de leur manque de précision, de leur invraisemblance et de leur formulation encore rédigée de manière quasiment identique ne peuvent être retenues pour prouver l’exercice réel, par Monsieur Gérard X... à titre personnel, d’une activité dans le cadre du contrat Partenaire différente de celle qui dérivait de sa qualité de président directeur général ; que les propres bulletins de paie délivrés à Monsieur Gérard X... par la SA CELECOM ne mentionnent le paiement d’aucune cotisation salariale au titre de l’assurance chômage ; que Monsieur Gérard X... ne produit aucun élément justifiant que pendant toute la durée de la relation contractuelle allant du 16 septembre 1996 au 1er décembre 2003, il aurait à un moment quelconque revendiqué le statut de gérant de succursale ; qu’aucun document versé aux débats ne révèle que Monsieur X... aurait exécuté personnellement les activités mentionnées dans le contrat Partenaire en plus de celles qui découlaient nécessairement de sa fonction de président directeur général de la SA CELECOM et pour laquelle il percevait un salaire de base de 6 097,89 € et des avantages en nature à hauteur de 274,41 €, toit un total mensuel brut de 6 372,30 € ; que les extraits K bis et l’attestation de Monsieur Y... du cabinet d’expert comptable qui assure la comptabilité de la SA CELECOM révèlent que Monsieur Gérard X... gérait par ailleurs la Société CENTRE REGIONAL DE L’ACCESSOIRE située à Antibes, la Société L G 12, située à Antibes, la Société GLOBETEL, située à Cannes, ce qui implique qu’il ne pouvait consacrer tout son temps à l’exploitation du point de vente situé 12, boulevard Risso à Nice ; qu’ainsi, au sens de l’article L.7321-2 précité, les activités mentionnées dans le contrat Partenaire étaient exercées par la SA CELECOM et non par Monsieur Gérard X..., son président directeur général, à titre personnel ;

QU’il résulte de ce qui précède que certaines des conditions cumulatives de l’article L.7321-2 précité n’étaient pas remplies et qu’il n’y avait aucun lien direct et régulier entre Monsieur Gérard X... et la SA SFR ; que par ailleurs, aucun élément du dossier ne révèle un quelconque lien de subordination entre Monsieur Gérard X... et la SA SFR ou la SA CELLCORP ; que dès lors Monsieur Gérard X... ne peut prétendre ni au statut de gérant de succursale…ni à la qualité de salarié” ;

4°) ALORS QUE le statut professionnel particulier édicté par les articles L.7321-1 et L.7321-2 du Code du travail bénéficie aux “ personnes dont la profession consiste essentiellement…à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d’une seule entreprise…” dès lors que sont réunies les quatre conditions exigées pour son application ; que, lorsque le contrat aux termes duquel s’exerce cette activité a été conclu avec une personne morale, le statut s’applique de plein droit au dirigeant de cette personne morale, avec qui le contrat instaure un lien direct ; que cette application n’est pas subordonnée à la condition que l’activité professionnelle découlant de cette exploitation soit exclusivement exercée par ce gérant ; qu’en refusant à Monsieur X..., le bénéfice du statut revendiqué aux termes de motifs inopérants, pris de ce que le contrat Partenaire aurait été conclu intuitu personae mais en considération de la personne morale de la Société CELECOM et non de son président directeur général Gérard X..., la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.7321-2 du Code du travail ;

5°) ALORS en toute hypothèse QUE les juges ne peuvent rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu’en déclarant, après avoir écarté l’ensemble des attestations produites par Monsieur X..., “qu’aucun document versé aux débats ne révèle (qu’il) aurait exécuté personnellement les activités mentionnées dans le contrat Partenaire” sans examiner les nombreuses fiches d’émargement signées de ce dernier et de SFR démontrant qu’il avait personnellement pris part à l’ensemble des formations imposées par le contrat Partenaire aux personnes en charge de la diffusion de ses services, la Cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile ;

6°) ALORS QUE le bénéfice du statut de gérant de succursale doit être reconnu aux personnes dont la profession consiste “essentiellement” et non pas exclusivement à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter dans les conditions prévues par la loi ; qu’en refusant ce bénéfice à Monsieur X... au motif que, gérant d’autres sociétés, “il ne pouvait consacrer tout son temps à l’exploitation du point de vente “ SFR confiée à la Société qu’il présidait la Cour d’appel a violé par fausse interprétation l’article L.7321-2 du Code du travail .

7°) ALORS en toute hypothèse, QU’en se déterminant aux termes de motifs qui ne répondent pas aux écritures de Monsieur X... faisant valoir et démontrant par la production d’éléments de preuve objectifs, que les sociétés concernées consacraient elles-mêmes leur activité à la distribution des services SFR, de la même façon qu’un distributeur « Espace SFR » gérant plusieurs points de vente, de sorte que sa participation éventuelle à cette activité ne constituait pas un obstacle à ce que lui fût reconnu le bénéfice du statut, la Cour d’appel a derechef violé l’article 455 du Code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 24 juin 2010