Commerce de détail

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 19 novembre 2013

N° de pourvoi : 12-85378

ECLI:FR:CCASS:2013:CR05136

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président de chambre le plus ancien, faisant fonction de premier président), président

SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

 M. Mudaser X...,

 M. Tarik X...,

 M. Ansar X...,

 La société MMT,

 La société SM,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 6-1, en date du 7 mai 2012, qui, pour travail dissimulé, emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié et aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier en France, a condamné le premier, à 1 500 euros d’amende et deux amendes de 150 euros, le deuxième, à 1 500 euros d’amende et six amendes de 150 euros, le troisième, 1 500 euros d’amende et quatre amendes de 150 euros, la quatrième, à 3 000 euros d’amende et quatre amendes de 300 euros, la cinquième, à 3 000 euros d’amende et quatre amendes de 300 euros, et a prononcé sur une mesure de confiscation ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 8 octobre 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Barbier conseiller rapporteur, Mme Guirimand, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire BARBIER, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE ET HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DESPORTES ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme partiellement et des pièces de procédure, que MM. Mudaser, Tarik et Ansar X..., ainsi que les sociétés à responsabilité limitée MMT et SM, ont été poursuivis devant la juridiction correctionnelle pour travail dissimulé par dissimulation de salariés, emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail salarié et aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier en France ; que le tribunal ayant déclaré la prévention établie, les prévenus et le ministère public ont relevé appel de la décision ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme des articles 174, 175, 706-58, 802 et 591 à 593 du code de procédure pénale ; défaut de motifs ; manque de base légale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a rejeté l’exception d’irrecevabilité de la procédure soulevée par les consorts X...et les sociétés MMT et SM ;
” aux motifs que le 22 septembre 2008, une personne souhaitant conserver l’anonymat signalait au commissariat de La Courneuve la présence de salariés susceptibles d’être en situation irrégulière dans deux commerces de La Courneuve à l’enseigne “ Le Chaînez “ et “ Mondial Bazar “ ; ¿ ; que les dispositions des articles 706-58 et suivants du code de procédure pénale relatives à la protection des témoins, permettant à un témoin de conserver l’anonymat, sauf à ce que cette identité, consignée sur un procès-verbal distinct-soit dévoilée si elle est indispensable aux droits de la défense, n’est pas applicable en l’espèce ; qu’en effet, la personne qui a choisi de conserver l’anonymat pour dénoncer un possible travail dissimulé et dont l’identité n’a pas été consignée s’est bornée à donner un simple renseignement sur la base duquel des recherches et vérifications ont été effectuées ; qu’elle n’a à aucun moment été entendue comme témoin ; que par ailleurs, ce n’est que sur la base des surveillances et des contrôles opérés dans les magasins concernés, que les infractions reprochées ont été constatées et ensuite poursuivies ;
” et aux motifs adoptés qu’il résulte du procès-verbal susvisé qu’une personne désirant garder l’anonymat s’est présentée au commissariat de police de la Courneuve pour fournir un renseignement sur la situation salariale de deux sociétés ; que peu importe que le nom de l’intéressé ne figure pas sur ledit procès-verbal si cette personne a décidé de garder l’anonymat afin que son nom n’apparaisse pas en procédure ; que ledit procès-verbal, comme l’a souligné le procureur de la République ayant classé la plainte déposée par Tarik et Ansar X..., ne saurait être argué de faux sur ce seul motif ; que la procédure sous la forme préliminaire, si elle fait suite à un simple renseignement (lequel pourrait s’avérer vrai ou faux par la suite) s’est matérialisée par les actes de recherche effectuées et les surveillances ; que ledit contrôle en date du 14 octobre 2008 a ensuite été opéré sur la base des réquisitions du procureur de la République en date du 7 octobre 2008 ;
” alors que l’anonymisation de la déposition consignée en cours d’enquête de police peut exceptionnellement être autorisée par le juge des libertés et de la détention dans le strict cadre légal à des personnes qui « sont susceptibles d’apporter des éléments de preuve intéressant la procédure » ; qu’il résulte des constatations de la cour d’appel que c’est bien sur la base des informations données par ce témoin que l’enquête a été initiée ; qu’en décidant néanmoins que parce que le dépositaire anonyme n’aurait fourni qu’un renseignement, il n’était pas nécessaire d’obtenir l’accord du juge des libertés et de la détention et de suivre la procédure édictée à l’article 706-58 du code de procédure pénale, la cour d’appel a violé les textes susvisés “ ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l’article préliminaire et des articles 174, 175, 386, 646, 802 et 591 à 593 du code de procédure pénale, du droit à un procès équitable et du respect des droits de la défense, de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, défaut de motifs, manque de base légale ;
” en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré irrecevable la question préjudicielle et refusé de surseoir à statuer jusqu’à l’issue de la procédure initiée par le dépôt d’une plainte pour faux ;
” aux motifs que les appelants font état, à l’appui de leur demande, d’une plainte pour faux du 21 avril 2009 à l’encontre du procès-verbal susvisé ; qu’il ressort toutefois de ce qui précède, à supposer même que le procès-verbal précité soit un faux, que ce PV n’est pas le support nécessaire des infractions reprochées aux prévenus lesquelles ont été constatées au cours d’un contrôle régulier ;
” alors que les preuves constituées de façon déloyale et frauduleuse par les enquêteurs portent nécessairement atteinte au droit à un procès équitable et leur annulation ne peut qu’entraîner celles des actes subséquents qui les ont eu pour support ; qu’il résulte des constatations de la cour d’appel que c’est « sur la base » de cette déposition arguée de faux que les « recherches et vérifications ont été effectuées » ; qu’en décidant néanmoins que « à supposer même que le procès-verbal précité soit un faux », que l’annulation de celui-ci serait sans influence sur le reste des actes de l’enquête accomplis par les mêmes policiers, la cour d’appel a méconnu les textes et principes visés “ ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour refuser de faire droit à une exception de nullité visant un procès-verbal du 22 septembre 2008 établi, selon les prévenus, en méconnaissance de l’article 706-58 du code de procédure pénale relatif aux témoignages anonymes, et de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue d’une procédure pour faux initiée contre le même procès-verbal, les juges du fond retiennent que la pièce critiquée, qui est un procès-verbal de simple renseignement, ne constitue pas un témoignage entrant dans les prévisions du texte invoqué, que les infractions relevées ont été constatées et poursuivies sur la base des surveillances et contrôles régulièrement opérés dans les sociétés concernées, et qu’il n’y a pas lieu, dans ces conditions de surseoir à statuer jusqu’à l’issue de la procédure menée pour faux ;
Attendu qu’en l’état de ces motifs, la cour d’appel, qui n’a pas méconnu les dispositions conventionnelles et légales invoquées et qui a souverainement apprécié la nécessité de surseoir à statuer, a justifié sa décision ;
D’où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1 et suivants et L. 8251-1 et suivants du code du travail, L. 622-1 et suivants du code des étrangers, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de base légale, défaut de motifs ;
” en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. Tarik X...coupable des faits qui lui étaient reprochés, sauf en ce qui concerne la période de décembre 2007 au 17 janvier 2008, compte tenu de sa minorité ;
” aux motifs que les premières investigations permettaient d’établir que M. Ansar X...était le gérant de droit de la SARL MMT pour un magasin à l’enseigne Mondial Bazar et que M. Mudaser X...était le gérant de droit de la SARL SM pour le magasin “ Le Chaînez “ ; qu’il apparaissait également qu’étaient déclarés à l’Urssaf M. Tarik X...pour la SARL MMT (siret 444825954) et M. Nazir Z... ... pour la SARL SM (siret 4884353997) tous deux depuis le 8 octobre 2007 ; que les surveillances ultérieures permettaient de vérifier la présence de plusieurs personnes aux abords de ces deux magasins ;

que le contrôle opéré sur ces bases le 14 octobre 2008 permettait enfin de constater au magasin “ le Chaînez “- SM-la présence de 3 personnes en action de travail, MM. Tarik X..., Nisham A...et Charan A..., n’ayant pas fait l’objet de déclaration préalable à l’embauche, les deux derniers étant en situation irrégulière et non munis d’autorisation de travail, au magasin « Mondial Bazar »- MMT-la présence de quatre employés en action de travail, l’un derrière la caisse-M. Ali B...et les trois autres dans le magasin affairés à conseiller un client, ranger des vêtements en rayon, et déplacer des cartons en rayon, MM. Sakir C..., Hossain D..., Mouldi E..., lesquels n’avaient pas fait l’objet de déclaration préalable à l’embauche et qui se trouvaient en situation irrégulière et non munis d’autorisation de travail ; que les auditions des employés des deux magasins permettaient de penser que M. Ansar X...était le principal animateur des deux magasins et que ses deux fils Mudaser et Tarik l’aidaient dans cette tâche, Mudaser tenant la caisse des deux magasins de temps en temps, Tarik procédant au recrutement de l’ensemble des salariés ce que confirmait son père, tous trois ayant eu connaissance de l’irrégularité de la situation des employés ; que les faits sont établis par les constatations régulières des procès-verbaux et que les infractions reprochées sont caractérisées en tous leurs éléments ; qu’en effet les contrôles opérés ont permis de constater au magasin “ Le Chaînez “ de la société SM la présence de trois employés non déclarés, M. Tarik X...étant déclaré dans l’autre société, dont deux étaient des étrangers en situation irrégulière, et au magasin “ Mondial Bazar de la société SM “ la présence de quatre salariés non déclarés, en situation irrégulière et non munis d’autorisation de travail ; qu’il n’est pas contesté que M. Ansar X...était le gérant de droit de la SARL MMT et que M. Mudaser X...était le gérant de droit de la société SM, tandis que M. Tarik X...qui assurait le recrutement des employés pour les deux sociétés se comportait comme un gérant de fait dans les deux sociétés ; que l’élément intentionnel des infractions se déduit de ce que les prévenus sont des professionnels d’expérience ;
” alors qu’est dirigeant de fait celui qui en toute liberté et indépendance exerce une activité positive de gestion et de direction de l’entreprise sous le couvert et au lieu et place du représentant légal ; qu’en qualifiant M. Tarik X...de dirigeant de fait des deux SARL pour le déclarer coupable des faits reprochés au seul motif qu’il avait procédé à l’embauche des salariés et alors même qu’elle avait constaté que son père, M. Ansar X...était le principal animateur des deux structures commerciales, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés “ ;
Attendu que l’arrêt, par les motifs repris au moyen, a retenu que M. Tarik X...était le gérant de fait des deux sociétés dirigées par M. Ansar X..., son père, et par M. Mudaser X..., son frère ;
Attendu qu’en cet état, la cour d’appel a justifié sa décision, dès lors que peut se voir conférer la qualité de gérant de fait celui qui exerce, en lieu et place du dirigeant de droit ou à ses côtés, des prérogatives normalement réservées au chef d’entreprise, telle l’embauche du personnel ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3 et 132-3 du code pénal, L. 8256-2 du code du travail, 591 à 593 du code de procédure pénale, de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme, du prononcé d’une double peine en répression d’un même fait poursuivi, défaut de base légale, défaut de motifs ;
” en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement qui a condamné les consorts X...et les sociétés MMT et SM à une peine d’amende au titre des délits d’embauche de salariés sans procéder à leur déclaration préalable à l’embauche, d’emploi de salariés étrangers non munis d’une autorisation de travail et de facilitation à leur séjour irrégulier, et, ajoutant au jugement déféré, de les avoir également condamnés à des amendes délictuelles au titre de l’infraction spécifique d’emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail ;
” aux motifs que doivent être confirmées les peines prononcées, dans leur nature, comme dans leur quantum, à l’égard de M. Mudaser X...et de M. Tarik X..., les décisions en ce sens des premiers juges résultant d’une juste appréciation autant de la gravité, à raison de leur nature et consistance, des faits reprochés, que de leur personnalité respective, en l’absence d’antécédents judiciaires ; qu’il convient, ajoutant au jugement, pour l’infraction spécifique d’emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail laquelle est réprimée d’une amende par étranger concerné de condamner, M. Ansar X...à quatre amendes de 150 euros chacune, la SARL MMT à quatre amendes de 300 euros chacune, M. Mudaser X...à deux amendes de 150 euros chacune, la SARL SM à deux amendes de 300 euros chacune, M. Tarik X...à six amendes de 150 euros chacune ;
” 1) alors que lorsque, à l’occasion d’une même procédure, deux peines délictuelles de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé qu’une seule peine de cette nature ; qu’en prononçant à l’encontre des prévenus, après avoir confirmé les peine d’amendes délictuelles prononcées par le Tribunal correctionnel, d’autres peines d’amende délictuelles pour l’infraction spécifique d’emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail, la cour d’appel a violé la règle du non-cumul et l’article 132-3 du code pénal ;
” 2) alors que la cour d’appel a confirmé le jugement qui a condamné les prévenus à une peine d’amende notamment au titre de l’infraction spécifique d’emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail ; qu’en décidant, y ajoutant, de les sanctionner une deuxième fois pour les mêmes faits à d’autres amendes délictuelles, la cour d’appel a méconnu les textes et principes susvisés “ ;
Attendu qu’après avoir déclaré les prévenus coupables, d’une part, de travail dissimulé et d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier en France, d’autre part, d’emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail salarié, la cour d’appel les a condamnés, chacun, à une amende au titre des deux premiers délits, et à plusieurs amendes au titre du troisième délit, selon le nombre d’étrangers employés par chaque prévenu ;
Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a fait l’exacte application des articles L. 8256-2 du code du travail et 132-3 du code pénal, dès lors que, d’une part, en cas d’emploi irrégulier d’étrangers, l’amende est appliquée autant de fois qu’il y a d’étrangers concernés, et que, d’autre part, lorsqu’à l’occasion d’une même procédure, la personne poursuivie est reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, les peines prononcées se cumulent dans la limite du maximum légal de la peine la plus élevée encourue ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf novembre deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 7 mai 2012