Gérance de fait non caractérisée

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 30 octobre 2018

N° de pourvoi : 18-81002

ECLI:FR:CCASS:2018:CR02308

Non publié au bulletin

Cassation

M. Soulard (président), président

Me Bouthors, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 

Mme Marie-Lyse X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de SAINT-DENIS DE LA RÉUNION, chambre correctionnelle, en date du 21 décembre 2017, qui, pour travail dissimulé, l’a condamnée à 10 000 euros d’amende dont 5 000 euros avec sursis et a ordonné une mesure de confiscation ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 18 septembre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Cathala, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller CATHALA, les observations de Me BOUTHORS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général CORDIER ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à ladite Convention, des articles L. 8221-1 alinéa 1 er, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5, L. 8221-6, L. 8224-1, L. 8224-3 et L. 8224-4 du code du travail, 130-1 et 131-21 et 132-20 du code pénal, de l’article préliminaire et des articles 485, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a retenu la requérante dans les liens de la prévention de travail dissimulé pour la période écoulée du 30 mai 2011 au 16 décembre 2014 et l’a condamnée à une amende de 10 000 euros assortie d’un sursis partiel à hauteur de 5 000 euros, outre la confiscation de l’ensemble des biens meubles et espèces saisis en procédure et lui appartenant, comme ayant servi à commettre les infractions reprochées ou en ont été le produit direct ou indirect ;

”aux motifs, sur l’action publique, qu’il résulte des documents saisis que Mme Marie-Lysie X... a tenu des carnets de comptabilité détaillant les recettes et dépenses de l’activité de la carrière, sur toute la durée de la prévention ; que ces carnets mettaient en évidence un chiffre d’affaires de 506 970 euros sur trois ans et demi d’activité illicite ; que Mme X... faisant office de comptable occulte de l’activité non déclarée de l’entreprise familiale et en encaissant, sur son compte bancaire propre, tout ou partie des chèques remis par les clients de la carrière ; que lors de ses auditions elle montrait qu’elle était parfaitement au fait de l’activité connaissant notamment les clients habituels, énumérant les dépenses liées à l’activité et donnant les noms des personnes qui travaillaient régulièrement à l’exploitation de la carrière ; qu’en outre elle a reconnu qu’une partie des sommes perçues sur son compte au titre de l’activité ont servi à régler des dépenses personnelles ou ménagères ; que l’importante somme d’argent saisie à son domicile matérialise son rôle actif dans la gestion des fonds générés par l’activité de la société ; qu’il sera rappelé qu’aucune autre comptabilité que celle de ses cahiers n’était faite, elle avait nécessairement connaissance du caractère occulte de toute cette activité et de l’infraction de travail dissimulé puisqu’elle est comptable de formation et sait quelle que soit l’ancienneté de sa formation, quelles sont les déclarations obligatoires qui doivent être faites aux organismes sociaux et à l’administration fiscale ; qu’enfin elle ne peut donc comme elle a tenté de le faire croire à l’audience déclarer qu’elle ignorait tout de cette activité notamment l’absence de déclaration fiscale et de l’absence de paiement des charges sociales des deux salariés réguliers qui sont son fils et son beau-frère ; que le délit poursuivi se trouve caractérisé en tous ses éléments constitutifs à la charge de la prévenue et sa culpabilité établie dans les termes de la prévention ; que, sur la peine, la loi n°2014-896 du 15 août 2014, a, dans l’article 130-1 du code pénal considéré que la peine, qui doit être individualisée, a pour fonctions de sanctionner l’auteur de l’infraction et de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ; elle doit être prononcée en tenant compte de la personnalité du prévenu, de sa situation matérielle, familiale et sociale ; que le nouvel article 132-19 du même code ; conserve le principe de subsidiarité de l’emprisonnement et celui de l’aménagement de la peine sauf impossibilité ; qu’en matière correctionnelle, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que dans ce cas, la peine doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l’objet d’une mesure d’aménagement ; que ces deux principes s’appliquent désormais à l’ensemble des condamnés, qu’ils soient ou non en état de récidive légale, l’état de récidive pouvant être invoqué, parmi d’autres éléments pertinents, pour justifier le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme ; que le casier judiciaire de Mme X... ne porte mention d’aucune condamnation ; que la gravité des faits ainsi qualifiés commis au mépris des règles de la protection sociale et salariale dans le cadre d’une activité destructrice de l’environnement et qui fausse totalement la concurrence, dans les circonstances ci-dessus décrites, la personnalité de la prévenue qui fait semblant de ne rien savoir alors qu’elle a su répondre avec précision aux enquêteurs et qu’elle a tenu avec rigueur la comptabilité de l’entreprise justifient que Mme X... soit condamnée à une peine d’amende importante ; que le quantum de la peine retenue par les juges du premier degré apparaît adapté aux éléments de la cause ci-dessus rappelés de même que le quantum assorti du sursis ; qu’en conséquence la peine sera confirmée ; qu’il convient, en application de l’article 131-21 du code pénal, d’ordonner à titre de peine complémentaire la confiscation de l’ensemble des biens meubles et espèces saisis en procédure dès lors qu’ils ont servis à commettre l’infraction ou en sont le produit direct ou indirect ;

”et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges, sur l’infraction de travail dissimulé reprochée à Mme X..., qu’elle est prévenue d’avoir exercé dans un but lucratif une activité de production, de transformation, de réparation, de prestation de services ou accompli un acte de commerce, en l’espèce en participant à l’exploitation d’une carrière non déclarée aux organismes professionnels, sociaux et fiscaux et en tenant une comptabilité occulte ; qu’elle conteste sa responsabilité pénale au motif qu’elle n’aurait pas eu connaissance de l’infraction, n’ayant jamais posé aucune question à son mari, et n’en aurait tiré aucun profit hormis quelques petites compensations financières ; qu’il est toutefois patent au vu des pièces de la procédure, et notamment des carnets de comptabilité tenus par Mme X... sur toute la durée de la prévention et mettant en évidence un chiffre d’affaires de la carrière Y... de 506 970 euros en trois ans et demi d’activité illicite, que cette dernière a participé en toute connaissance de cause à l’activité dissimulée de son époux, en faisant office de comptable occulte de l’activité non déclarée de l’entreprise familiale et en encaissant, sur son compte bancaire propre, tout ou partie des chèques remis par les clients de la carrière ; qu’il est par ailleurs indéniable qu’elle a tiré profit de l’infraction, puisqu’une partie des sommes perçues sur son compte au titre de l’activité ont servi à régler des dépenses personnelles ou ménagères et qu’elle n’avait pour seule ressource légale que de modestes revenus locatifs ; que l’importante somme d’argent saisie à son domicile matérialise également son rôle actif dans la commission de l’infraction ; qu’elle sera donc déclarée coupable du chef de travail dissimulé ; que, sur la peine, le casier judiciaire de Mme X... ne comporte aucun antécédent judiciaire ; qu’il convient donc en répression de la condamner à la peine de 10 000 euros d’amende dont 5 000 euros assortis du sursis ; qu’il y a lieu en outre, en application de l’article 131-21 du code pénal, d’ordonner à titre de peine complémentaire la confiscation de l’ensemble des biens meubles et espèces saisis en procédure et lui appartenant, dès lors qu’ils ont servi à commettre les infractions reprochées ou en ont été le produit direct ou indirect ;

”1°) alors que l’infraction de travail dissimulée ne peut légalement être imputée qu’à un employeur ; qu’en déclarant coupable de cette infraction la femme du principal prévenu, lui-même poursuivi et condamné de ce chef, aux seuls motifs qu’elle n’ignorait pas l’activité de son mari et qu’elle tenait les comptes du ménage sur lesquels étaient encaissés des chèques clients, sans autrement caractériser, en la personne de la requérante, une « gestion de fait » s’entendant d’une participation à la conduite générale de l’entreprise, active, régulière et comportant prise de décision, la cour a privé son arrêt de toute base légale ;

”2°) alors que le prononcé d’une peine d’amende doit répondre à l’exigence d’individualisation au regard non seulement de la gravité des faits mais aussi de la personnalité et des ressources du prévenu ; qu’en se déterminant au regard des seuls faits de la prévention, sans examen des ressources et des charges de la demanderesse, la cour a privé sa décision de base légale ;

”3°) alors que la peine complémentaire de confiscation portant en l’espèce sur l’ensemble des biens meubles et espèces de la requérante saisis « en procédure », n’a pas davantage été motivée conformément aux règles d’individualisation des peines au regard non seulement du principe de proportionnalité en l’état du cumul des saisies prononcées, dans la même affaire, au préjudice du conjoint de l’exposante, mais encore des ressources et des charges propres de cette dernière ;

”4°) alors, en tout état de cause, qu’il appartient à la juridiction qui prononce une peine de confiscation de préciser si et en quoi les biens saisis ont servi à la commission des infractions poursuivies ou s’ils en sont le produit ; qu’une motivation d’ordre général, sans référence aux circonstances propres de l’affaire, équivaut ici à un défaut de motif” ;

Vu l’article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et de la procédure que, les inspecteurs de l’environnement de la brigade nature de l’océan indien puis les gendarmes ont constaté notamment des opérations irrégulières d’extraction de matériaux alluvionnaires dans le lit d’une rivière et la création d’une piste pour permettre l’acheminement des matériaux extraits ; qu’à la suite de l’ouverture d’une information judiciaire Mme X... a été mise en examen du chef susvisé ; que, renvoyée devant le tribunal correctionnel, elle a été déclarée coupable de l’infraction de travail dissimulé et a été condamnée à 10 000 euros d’amende dont 5 000 euros avec sursis ; qu’elle a, ainsi que le ministère public, relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l’arrêt attaqué énonce qu’il résulte des documents saisis que Mme X... a tenu des carnets de comptabilité détaillant les recettes et dépenses de l’activité de la carrière, sur toute la durée de la prévention, qui mettaient en évidence un chiffre d’affaires de 506 970 euros sur trois ans et demi d’activité illicite ; que les juges retiennent qu’elle faisait office de comptable occulte de l’activité non déclarée de l’entreprise familiale et qu’elle encaissait, sur son compte bancaire propre, tout ou partie des chèques remis par les clients de la carrière ; qu’ils ajoutent que lors de ses auditions elle montrait qu’elle était parfaitement au fait de l’activité, connaissant notamment les clients habituels, énumérant les dépenses liées à l’activité, donnant les noms des personnes qui travaillaient régulièrement à l’exploitation de la carrière et qu’elle a reconnu qu’une partie des sommes perçues sur son compte au titre de l’activité a servi à régler des dépenses personnelles ou ménagères ; que les juges relèvent encore l’importance de la somme d’argent saisie à son domicile qui matérialise son rôle actif dans la gestion des fonds générés par l’activité de la société et qu’aucune autre comptabilité que celle de ses cahiers n’était tenue ; qu’ils en déduisent qu’elle avait nécessairement connaissance du caractère occulte de toute cette activité et de l’infraction de travail dissimulé puisqu’elle est comptable de formation et sait, quelle que soit l’ancienneté de sa formation, les déclarations obligatoires qui doivent être faites aux organismes sociaux et à l’administration fiscale ; que les juges en concluent qu’elle ne peut donc déclarer qu’elle ignorait tout de cette activité notamment l’absence de déclaration fiscale et de paiement des charges sociales des deux salariés réguliers qui sont son fils et son beau frère ;

Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’elle n’a pas caractérisé la qualité de dirigeant de fait de Mme X..., la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 21 décembre 2017, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Saint Denis de la Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente octobre deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion , du 21 décembre 2017