Dessinateur de presse - présomption de salariat oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 12 février 2020

N° de pourvoi : 18-10263

ECLI:FR:CCASS:2020:SO00210

Non publié au bulletin

Rejet

M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président), président

Me Carbonnier, SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

CH.B

COUR DE CASSATION


Audience publique du 12 février 2020

Rejet

M. SCHAMBER, conseiller doyen

faisant fonction de président

Arrêt n° 210 F-D

Pourvoi n° C 18-10.263

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 FÉVRIER 2020

M. C... L..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° C 18-10.263 contre l’arrêt rendu le 18 octobre 2017 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l’opposant à la Société éditrice du Monde (SEM), société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

La Société éditrice du Monde a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. David, conseiller référendaire, les observations de Me Carbonnier, avocat de M. L..., de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la Société éditrice du Monde, après débats en l’audience publique du 15 janvier 2020 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. David, conseiller référendaire rapporteur, Mme Aubert-Monpeyssen, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 octobre 2017), que M. L... a collaboré à compter de mars 1982 à la rédaction du quotidien « Le Monde » en qualité de dessinateur en étant rémunéré à la pige ; que le volume de son activité et de sa rémunération ayant sensiblement diminué en 2013, il a saisi la juridiction prud’homale aux fins notamment d’obtenir la requalification en contrat de travail de la relation le liant à la Société éditrice du Monde (la société) ;

Sur le premier et le second moyens du pourvoi principal de M. L... :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens ci-après annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident de la société :

Attendu que la société fait grief à l’arrêt de la condamner à verser à M. L... des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité compensatrice de préavis alors, selon le moyen :

1°/ que, si la convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail, l’employeur présumé peut renverser cette présomption en établissant que le journaliste exerce son activité en-dehors de tout lien de subordination ; qu’en l’espèce, pour considérer que la présomption de salariat n’était pas valablement renversée, la cour d’appel a relevé qu’il n’était pas contesté que Le Monde informait chaque semaine M. L... des sujets de la double page thématique du vendredi, lui envoyait les textes des contributeurs lorsqu’elle les possédait, afin qu’il produise un dessin en rapport avec la thème de l’article et en a déduit que M. L... agissait donc sur instructions, effectuait de manière constante et habituelle des dessins destinés à illustrer des événements ou des thèmes précis publiés dans le journal et percevait en contrepartie une rémunération mensuelle d’un montant assez constant ; qu’en statuant par ces motifs inopérants à caractériser l’existence d’un lien de subordination entre M. L... et la société, la cour d’appel a violé les dispositions des articles L. 1221-1 et L. 7112-1 du code du travail ;

2°/ que si la convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail, l’employeur présumé peut renverser cette présomption en établissant que le journaliste exerce son activité en-dehors de tout lien de subordination ; qu’en l’espèce, en considérant que la présomption de salariat n’était pas valablement renversée sans vérifier si, ainsi que le soutenait la société, M. L... avait tout liberté pour accepter ou refuser les commandes qui lui étaient proposée par Le Monde, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 1221-1 et L. 7112-1 du code du travail ;

3°/ que si la convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail, l’employeur présumé peut renverser cette présomption en établissant que le journaliste exerce son activité en-dehors de tout lien de subordination ; qu’en l’espèce, en considérant que la présomption de salariat n’était pas valablement renversée sans vérifier si, ainsi que le soutenait la société, M. L... ne disposait pas d’une liberté totale dans l’organisation de son travail, n’étant soumis à aucune contrainte horaire ou de présence dans les locaux de l’entreprise ainsi que dans sa manière d’appréhender et de traiter les sujets abordés, le dessinateur se contentant de remettre son dessin finalisé le jour du bouclage sans avoir préalablement présenté aucune esquisse, et s’opposant par principe à toute observation émanant des équipes du journal, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 1221-1 et L. 7112-1 du code du travail ;

Mais attendu qu’ayant relevé que M. L... recevait chaque semaine des instructions afin de réaliser des dessins destinés à illustrer des événements ou des thèmes précis choisis par la rédaction du quotidien « Le Monde » et percevait en contrepartie une rémunération mensuelle d’un montant assez constant, la cour d’appel, sans avoir à effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a pu en déduire que la présomption instituée par l’article L. 7112-1 du code du travail n’était pas renversée ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu que le rejet du moyen prive de portée le second moyen du pourvoi incident de la société qui invoque une cassation par voie de conséquence ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois tant principal et qu’incident ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens afférents à son pourvoi ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits AU POURVOI PRINCIPAL par Me Carbonnier, avocat aux Conseils, pour M. L....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté M. L... de sa demande tendant à se voir reconnaître la qualité de journaliste professionnel depuis le mois de mars 1982 et de sa demande tendant à voir son contrat de piges qualifié en contrat de travail depuis le mois de mars 1982 ;

AUX MOTIFS QU’« Aux termes de l’article L. 7112-1 du code du travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties. L’article L. 7111-4 précise que “sont assimilés aux journalistes professionnels, les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteur traducteur, sténographe rédacteur, rédacteur réviseur, reporteurs dessinateurs, reporters photographes à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent, à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle”. Par ailleurs, la charte des pigistes du 14 décembre 1999 applicable au sein de la SEM prévoit que “les pigistes titulaires de la carte de presse sont des journalistes à part entière” et rappelle que “la loi assimile les relations entre pigiste et l’éditeur de presse qui l’emploie à un contrat de travail en bonne et due forme”. Le texte prévoit également que la charte est applicable “à tout journaliste professionnel” tel qu’il est défini par la loi. La qualité de pigiste n’est pas de nature à priver l’intéressé du bénéficie du statut de journaliste professionnel. Dès lors, pour bénéficier de la présomption de salariat, le journaliste pigiste doit satisfaire à la définition de l’article L. 7111-3 du code du travail qui considère comme journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse et qui en tire le principal de ses ressources. Ainsi pour avoir la qualité de salarié d’une entreprise de presse, le pigiste doit collaborer au journal de cette entreprise de façon régulière. En l’espèce, Monsieur L... fait valoir que depuis le mois de mars 1982, il a collaboré avec la SEM en tant qu’artiste reporter, dessinateur professionnel. Il explique qu’il produisait au moins un dessin par semaine en contrepartie de rémunérations mensuelles sous forme de “piges”. Ainsi chaque semaine, les thèmes des dessins commandés lui étaient imposés par la direction artistique du journal qui exerçait sur lui un pouvoir de direction et de contrôle. Il estime avoir ainsi collaboré de façon régulière et rétribuée avec la SEM pendant plus de trente ans et avoir tiré de cette activité ses principales ressources, lui permettant de bénéficier de la présomption de salariat de l’article L. 7112-1 du code du travail. A l’appui de ses explications, il produit notamment : - certains de ses dessins publiés dans le journal le Monde et notamment le premier dessin publié le 28 mars 1982, - ses relevés de piges ou d’honoraires entre avril 1982 et le 31 octobre 2013, - les copies de sa carte de presse pour les années 1996, 1997, 1998, 2000, 2001, 2002, 2004, 2005, 2006, 2013, 2014 et 2015, - ses avis d’impôts sur le revenu pour les années 1992 à 1994, 1996, 1997, 2001, 2003, 2005 à 2015. La SEM fait valoir que la présomption de salariat est une présomption simple pouvant être renversée si le journaliste exerce son activité en toute indépendance et en toute liberté. La collaboration régulière ne permet pas d’établir, à elle seule, l’existence d’un lien de subordination. Elle estime ainsi qu’en l’absence de lien de subordination, le journaliste relève du statut des pigistes, qui sont liés à l’entreprise de presse par un contrat d’entreprise. Selon la SEM, Monsieur L... n’était soumis à aucun lien de subordination et a travaillé en toute indépendance et liberté. Ainsi il n’a jamais reçu la moindre instruction ou directive de la rédaction dans l’élaboration de ses dessins. Si ces derniers devaient coller au thème de l’article à illustrer, Monsieur L... était totalement libre dans la manière de les appréhender et de traiter les sujets abordés. Par ailleurs, il n’a jamais été physiquement intégré parmi les salariés de la SEM et n’avait aucune obligation d’horaires ou de présence y compris lors des réunions de la rédaction. Il ne disposait d’aucun bureau, travaillait de chez lui avec son propre matériel. La SEM précise que Monsieur L... appelait la rédaction au début de chaque semaine pour connaître le thème des pages d’illustration, il ne présentait ensuite aucune esquisse et s’opposait par principe à toute observation émanant des équipes du journal. Elle ajoute enfin que Monsieur L... profitait de cette indépendance et de cette libre organisation pour exercer de nombreuses autres activités : peintures, collaboration dans de nombreux magazines, journaux, revues ou livres, réalisation d’affiches, de livres pour enfants, création de timbres pour La Poste, expositions… À l’appui de ses explications, la SEM produit notamment : - une attestation de Monsieur M... J..., directeur artistique du Monde, indiquant “Les rapports de travail avec Monsieur L... ont toujours été un peu compliqués. Dans le cadre de sa collaboration aux pages “Débats” du quotidien, il n’a par exemple jamais accepté de proposer des esquisses à la DA comme à la rédaction, préférant apporter directement une illustration “finalisée” à la veille du bouclage. À plusieurs reprises, il a aussi refusé de retravailler ou de refaire son illustration, considérant qu’elle lui convenait et qu’elle devait être acceptée en l’état. S’il a accepté un certain nombre de fois de reprendre son travail, c’est toujours dans une ambiance de conflit avec les rédacteurs des pages “Débats”, après de longs échanges d’où il ressortait toujours qu’il considérait que c’est notre “manque d’audace” ou notre “conformisme” qui nous faisait refuser l’illustration proposée. À plusieurs reprises il a aussi tenté de “contourner” C... H..., le responsable des pages “Débats”, en cherchant à faire intervenir des personnes de la hiérarchie de la rédaction pour imposer son choix”, - une attestation de Monsieur C... H... indiquant “L’équipe des pages débats l’informait des sujets de la double page thématique du vendredi, lui envoyait les textes des contributeurs lorsqu’elle les possédait. Le plus souvent sans présenter d’esquisse, C... L... apportait son dessin le jour même du bouclage. Depuis un an environ, les rares discussions sur ses dessins étaient mal prises par C... qui y voyait une remise en cause de son statut, de son art, de sa liberté de dessinateur de presse. Pourtant, pouvoir discuter entre nous d’un contenu, qu’il s’agisse d’un dessin ou d’un texte, devrait aller de soi au sein d’une rédaction. Nous étions souvent mis devant le fait accompli puisqu’il était très rare qu’une esquisse soit présentée et qu’un changement paraissait improbable ou inenvisageable. C... L... considérait qu’un avis critique prononcé sur son dessin remettait en cause sa liberté artistique”, - une attestation de Madame O... S... , responsable de la coordination des projets éditoriaux, indiquant « Il faisait valider son illustration par C... H..., puis nous la montrait avant de la porter à la photogravure. La direction artistique réceptionnait donc l’épreuve définitive en début d’après-midi pour une parution le lendemain matin. Nous ne voyons jamais de Rou ??? (étape intermédiaire qui permet de corriger et/ou valider l’idée de l’illustrateur). Cela nous laissait peu ou pas suffisamment de temps pour lui faire réajuster son idée et son dessin, si cela s’avérait nécessaire. Tout réajustement entraînait obligatoirement une re-fabrication totale de l’illustration de la technique employée (peinte à la gouache) et de son support (papier canson). En conséquence le rendu des “définitifs” se faisait le lendemain matin et décalait l’envoi de la page à l’imprimerie. Cela s’est produit quelquefois”. La cour relève que lors des débats, la SEM n’a pas contesté que Monsieur L... a exercé une activité journalistique. Toutefois le bénéficie du statut de journaliste professionnel exige que soient remplies trois conditions cumulatives. En effet, l’occupation journalistique doit constituer l’occupation principale de l’intéressé, être assurée de manière régulière, sans interruption et générer le principal de ses revenus. Si Monsieur L... établit sans être utilement combattu qu’il a, de manière régulière et sans interruption, collaboré auprès du journal Le Monde, il n’apporte pas les éléments propres à justifier qu’il a tiré de cette activité journalistique le principal de ses revenus avant l’année 2005. En effet, le fait de soutenir que Monsieur L... a produit de nombreux dessins à la demande de la SEM, et de communiquer les relevés d’honoraires correspondant, n’est pas suffisant pour démontrer que cette collaboration constituait le principal de ses revenus dès lors qu’il est admis par Monsieur L... qu’il exerçait d’autres activités dont il ne soutient, ni ne démontre qu’il s’agissait d’activités journalistiques. La SEM communique aux débats le site internet de Monsieur L... sur lequel il relate lui-même l’ensemble de ses activités. Il y est mentionné qu’il dessine pour le journal Le Monde et de nombreux autres journaux ou revues, mais qu’il réalise également des affiches et des illustrations pour l’édition, la presse d’entreprise et le cinéma, qu’il est l’auteur de plusieurs livres pour enfants, qu’il a été le dessinateur officiel de la Mission Française pour l’an 2000, qu’il a créé cinq timbres pour La Poste, qu’il réalisait des expositions de ses oeuvres et qu’il a été nommé peintre officiel de la Marine en 2008. À défaut pour Monsieur L... de produire, pour l’ensemble de la période pour laquelle il revendique la qualité de journaliste professionnel et la présomption de salariat, les éléments probants de nature à démontrer que l’activité régulière de reporteur dessinateur, qu’il a indéniablement assumée sans interruption depuis 1982, a généré tout au long de la collaboration avec la SEM, le principal de ses revenus, la qualité de journaliste professionnel de Monsieur L... ne peut être retenue depuis le mois de mars 1982. En effet, Monsieur L... ne verse ses avis d’imposition sur le revenu qu’à compter de l’année. 1992. Il ne peut donc prétendre à l’application de la présomption de salariat posée par l’article L7112-1 du code du travail avant cette date. Par suite, il ressort de ses avis d’imposition pour les années 1992 à 2004 et des relevés de piges versés aux débats, que les revenus tirés d’une activité journalistique ne constituaient pas le principal de ses ressources. Il apparaît toutefois qu’à compter de l’année 2005, l’activité régulière de reporter dessinateur auprès de la SEM a généré le principal de ses revenus (ainsi en 2007 20.619 euros sur 27.351 euros de revenus annuels, en 2008 28.900 euros sur 31.104 euros de revenus annuels, en 2010 21.023 euros sur 24.086 euros de revenus annuels, en 2012 21.358 euros sur 22.000 euros de revenus annuels). Monsieur L... peut donc prétendre à l’application du statut de journaliste professionnel et de la présomption de salariat à compter du 1er janvier 2005. Dès lors en application des textes susvisés, la collaboration de Monsieur L... et de la SEM, moyennant rémunération, est présumée être un contrat de travail. Il revient donc à la SEM de combattre cette présomption en démontrant notamment l’absence d’une prestation fournie par M. L... dans le cadre d’un lien de subordination. En l’espèce, il n’est pas contesté que l’équipe du journal Le Monde informait chaque semaine Monsieur L... des sujets de la double page thématique du vendredi, lui envoyait les textes des contributeurs lorsqu’elle les possédait, afin qu’il produise un dessin en rapport avec thème de l’article. La cour constate que Monsieur L... agissait donc sur instructions, effectuait de manière constante et habituelle des dessins destinés à illustrer des événements ou des thèmes précis publiés dans le journal Le Monde et percevait en contrepartie une rémunération mensuelle d’un montant assez constant tel que cela résulte de ses relevés d’honoraires depuis 2005. Au regard de ces éléments, il y a lieu de constater que la présomption de salariat posée par l’article L. 7112-1 du code du travail et la charte des pigistes n’est pas valablement renversée et que les parties sont liées par un contrat de travail » ;

ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ;

Qu’en l’espèce, pour refuser à M. L... la qualité de journaliste professionnel et la présomption de salariat depuis le mois de mars 1982 et ne les admettre qu’à compter du 1er janvier 2005, la cour d’appel a considéré que celui-ci n’apportait pas la preuve que son activité de reporteur-dessinateur avait généré le principal de ses revenus de 1982 à 2004 pour cependant ensuite considérer que M. L... n’avait « jamais travaillé pour le compte de la SEM dans le cadre d’une relation de travail à durée déterminée mais dans le cadre de contrats de piges » et surtout que cette « occupation journalistique de Monsieur L... constituait son occupation principale, était assurée de manière régulière, sans interruption et générait le principal de ses revenus » (arrêt, p. 6, § 2) ;

Qu’en se contredisant de la sorte, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté M. L... de sa demande au titre de l’indemnité légale de licenciement ;

AUX MOTIFS QU’« Aux termes de l’article L7112-3 du code du travail, si l’employeur est à l’initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze. L’article L. 7112-4 du même code prévoit que lorsque l’ancienneté excède quinze années, une commission arbitrale est saisie pour déterminer l’indemnité due. Monsieur L... ne bénéficiant du statut de journaliste professionnel et de la présomption de salariat qu’à compter du 1er janvier 2005, il comptait par conséquent moins de quinze ans d’ancienneté à la date de son licenciement. Il ne peut donc prétendre à l’application des dispositions précitées. Dès lors à défaut d’avoir chiffré sa demande au titre de l’indemnité légale de licenciement, il en sera débouté. Le jugement sera infirmé sur ce point » ;

ALORS QUE la cassation de l’arrêt attaqué en ce qu’il a débouté M. L... de sa demande tendant à se voir reconnaître la qualité de journaliste professionnel depuis le mois de mars 1982 et de sa demande tendant à voir son contrat de piges qualifié en contrat de travail depuis le mois de mars 1982 entraînera l’annulation du chef de l’arrêt déboutant M. L... de sa demande au titre de l’indemnité légale de licenciement, et ce, en application de l’article 624 du code de procédure civile.

Moyens produits AU POURVOI INCIDENT par la SCP Lyon-Caen et Thiriez

avocat aux Conseils, pour la Société éditrice du Monde.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement attaqué en ce qu’il avait condamné la SEM à verser à Monsieur L... les sommes de 21 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 500 euros au titre des frais de procédure et d’avoir condamné la SEM à verser à Monsieur L... la somme de 3623,02 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 362,30 euros au titre des congés afférents, d’avoir ordonné la remise des documents sociaux conformes à sa décision dans un délai de deux mois à compter de la notification de son arrêt et d’avoir ordonné le remboursement par la SEM à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à Monsieur L... à la suite de son licenciement dans la limite de trois mois ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la qualification de la relation de travail Aux termes de l’article L7112-1 du code du travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties. L’article L. 7111-4 précise que « sont assimilés aux journalistes professionnels, les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteur traducteur, sténographe rédacteur, rédacteur réviseur, reporteurs dessinateurs, reporters photographes à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent, à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle ». Par ailleurs, la charte des pigistes du 14 décembre 1999 applicable au sein de la SEM prévoit que « les pigistes titulaires de la carte de presse sont des journalistes à part entière » et rappelle que « la loi assimile les relations entre pigiste et l’éditeur de presse qui l’emploie à un contrat de travail en bonne et due forme ». Le texte prévoit également que la Charte est applicable « à tout journaliste professionnel » tel qu’il est défini par la loi. La qualité de pigiste n’est pas de nature à priver l’intéressé du bénéficie du statut de journaliste professionnel. Dès lors, pour bénéficier de la présomption de salariat, le journaliste pigiste doit satisfaire à la définition de l’article L7111-3 du code du travail qui considère comme journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse et qui en tire le principal de ses ressources. Ainsi pour avoir la qualité de salarié d’une entreprise de presse, le pigiste doit collaborer au journal de cette entreprise de façon régulière. En l’espèce, Monsieur L... fait valoir que depuis le mois de mars 1982, il a collaboré avec la SEM en tant qu’artiste reporter, dessinateur professionnel. Il explique qu’il produisait au moins un dessin par semaine en contrepartie de rémunérations mensuelles sous forme de « piges ». Ainsi chaque semaine, les thèmes des dessins commandés lui étaient imposés par la direction artistique du journal qui exerçait sur lui un pouvoir de direction et de contrôle. Il estime avoir ainsi collaboré de façon régulière et rétribuée avec la SEM pendant plus de trente ans et avoir tiré de cette activité ses principales ressources, lui permettant de bénéficier de la présomption de salariat de l’article L7112-1 du code du travail. A l’appui de ses explications, il produit notamment : - certains de ses dessins publiés dans le journal le Monde et notamment le premier dessin publié le 28 mars 1982, - ses relevés de piges ou d’honoraires entre avril 1982 et le 31 octobre 2013, - les copies de sa carte de presse pour les années 1996, 1997, 1998, 2000, 2001, 2002, 2004, 2005, 2006, 2013, 2014 et 2015, - ses avis d’impôts sur le revenu pour les années 1992 à 1994, 1996, 1997, 2001, 2003, 2005 à 2015. La SEM fait valoir que la présomption de salariat est une présomption simple pouvant être renversée si le journaliste exerce son activité en toute indépendance et en toute liberté. La collaboration régulière ne permet pas d’établir, à elle seule, l’existence d’un lien de subordination. Elle estime ainsi qu’en l’absence de lien de subordination, le journaliste relève du statut des pigistes, qui sont liés à l’entreprise de presse par un contrat d’entreprise. Selon la SEM, Monsieur L... n’était soumis à aucun lien de subordination et a travaillé en toute indépendance et liberté. Ainsi il n’a jamais reçu la moindre instruction ou directive de la rédaction dans l’élaboration de ses dessins. Si ces derniers devaient coller au thème de l’article à illustrer, Monsieur L... était totalement libre dans la manière de les appréhender et de traiter les sujets abordés. Par ailleurs, il n’a jamais été physiquement intégré parmi les salariés de la SEM et n’avait aucune obligation d’horaires ou de présence y compris lors des réunions de la rédaction. Il ne disposait d’aucun bureau, travaillait de chez lui avec son propre matériel. La SEM précise que Monsieur L... appelait la rédaction au début de chaque semaine pour connaître le thème des pages d’illustration, il ne présentait ensuite aucune esquisse et s’opposait par principe à toute observation émanant des équipes du journal. Elle ajoute enfin que Monsieur L... profitait de cette indépendance et de cette libre organisation pour exercer de nombreuses autres activités ; peintures, collaboration dans de nombreux magazines, journaux, revues ou livres, réalisation d’affiches, de livres pour enfants, création de timbres pour La Poste, expositions… A l’appui de ses explications, la SEM produit notamment : - une attestation de Monsieur M... J..., directeur artistique du Monde, indiquant « Les rapports de travail avec Monsieur L... ont toujours été un peu compliqués. Dans le cadre de sa collaboration aux pages « Débats » du quotidien, il n’a par exemple jamais accepté de proposer des esquisses à la DA comme à la rédaction, préférant apporter directement une illustration « finalisée » à la veille du bouclage. A plusieurs reprises, il a aussi refusé de retravailler ou de refaire son illustration, considérant qu’elle lui convenait et qu’elle devait être acceptée en l’état. S’il a accepté un certain nombre de fois de reprendre son travail, c’est toujours dans une ambiance de conflit avec les rédacteurs des pages « Débats », après de longs échanges d’où il ressortait toujours qu’il considérait que c’est notre « manque d’audace » ou notre « conformisme » qui nous faisait refuser l’illustration proposée. A plusieurs reprises il a aussi tenté de « contourner » C... H..., le responsable des pages « Débats », en cherchant à faire intervenir des personnes de la hiérarchie de la rédaction pour imposer son choix. », - une attestation de Monsieur C... H... indiquant « L’équipe des pages débats l’informait des sujets de la double page thématique du vendredi, lui envoyait les textes des contributeurs lorsqu’elle les possédait. Le plus souvent sans présenter d’esquisse, C... L... apportait son dessin le jour même du bouclage. Depuis un an environ, les rares discussions sur ses dessins étaient mal prises par C... qui y voyait une remise en cause de son statut, de son art, de sa liberté de dessinateur de presse. Pourtant, pouvoir discuter entre nous d’un contenu, qu’il s’agisse d’un dessin ou d’un texte, devrait aller de soi au sein d’une rédaction. Nous étions souvent mis devant le fait accompli puisqu’il était très rare qu’une esquisse soit présentée et qu’un changement paraissait improbable ou inenvisageable. C... L... considérait qu’un avis critique prononcé sur son dessin remettait en cause sa liberté artistique. », - une attestation de Madame O... S..., responsable de la coordination des projets éditoriaux, indiquant « II faisait valider son illustration par C... H..., puis nous la montrait avant de la porter à la photogravure. La direction artistique réceptionnait donc l’épreuve définitive en début d’après midi pour une parution le lendemain matin. Nous ne voyons jamais de Rou ??? (étape intermédiaire qui permet de corriger et/ou valider l’idée de l’illustrateur). Cela nous laissait peu ou pas suffisamment de temps pour lui faire réajuster son idée et son dessin, si cela s’avérait nécessaire. Tout réajustement entraînait obligatoirement une re-fabrication totale de l’illustration de la technique employée (peinte à la gouache) et de son support (papier canson). En conséquence le rendu des « définitifs » se faisait le lendemain matin et décalait l’envoi de la page à l’imprimerie. Cela s’est produit quelquefois ». La cour relève que lors des débats, la SEM n’a pas contesté que Monsieur L... a exercé une activité journalistique. Toutefois le bénéfice du statut de journaliste professionnel exige que soient remplies trois conditions cumulatives. En effet, l’occupation journalistique doit constituer l’occupation principale de l’intéressé, être assurée de manière régulière, sans interruption et générer le principal de ses revenus. Si Monsieur L... établit sans être utilement combattu qu’il a, de manière régulière et sans interruption, collaboré auprès du journal Le Monde, il n’apporte pas les éléments propres à justifier qu’il a tiré de cette activité journalistique le principal de ses revenus avant l’année 2005. En effet, le fait de soutenir que Monsieur L... a produit de nombreux dessins à la demande de la SEM, et de communiquer les relevés d’honoraires correspondant, n’est pas suffisant pour démontrer que cette collaboration constituait le principal de ses revenus dès lors qu’il est admis par Monsieur L... qu’il exerçait d’autres activités dont il ne soutient, ni ne démontre qu’il s’agissait d’activités journalistiques. La SEM communique aux débats le site internet de Monsieur L... sur lequel il relate lui-même l’ensemble de ses activités. Il y est mentionné qu’il dessine pour le journal Le Monde et de nombreux autres journaux ou revues, mais qu’il réalise également des affiches et des illustrations pour l’édition, la presse d’entreprise et le cinéma, qu’il est l’auteur de plusieurs livres pour enfants, qu’il a été le dessinateur officiel de la Mission Française pour l’an 2000, qu’il a créé cinq timbres pour La Poste, qu’il réalisait des expositions de ses .oeuvres et qu’il a été nommé peintre officiel de la Marine en 2008. A défaut pour Monsieur L... de produire, pour l’ensemble de la période pour laquelle il revendique la qualité de journaliste professionnel et la présomption de salariat, les éléments probants de nature à démontrer que l’activité régulière de reporteur dessinateur, qu’il a indéniablement assumée sans interruption depuis 1982, a généré tout au long de la collaboration avec la SEM, le principal de ses revenus, la qualité de journaliste professionnel de Monsieur L... ne peut être retenue depuis le mois de mars 1982. En effet, Monsieur L... ne verse ses avis d’imposition sur le revenu qu’à compter de l’année 1992. Il ne peut donc prétendre à l’application de la présomption de salariat posée par l’article L7112-1 du code du travail avant cette date. Par suite, il ressort de ses avis d’imposition pour les années 1992 à 2004 et des relevés de piges versés aux débats, que les revenus tirés d’une activité journalistique ne constituaient pas le principal de ses ressources. Il apparaît toutefois qu’à compter de l’année 2005, l’activité régulière de reporter dessinateur auprès de la SEM a généré le principal de ses revenus (ainsi en 2007 20.619 euros sur 27.351 euros de revenus annuels, en 2008 28.900 euros sur 31.104 euros de revenus annuels, en 2010 21.023 euros sur 24.086 euros de revenus annuels, en 2012 21.358 euros sur 22.000 euros de revenus annuels). Monsieur L... peut donc prétendre à l’application du statut de journaliste professionnel et de la présomption de salariat à compter du 1 er janvier 2005. Dès lors en application des textes susvisés, la collaboration de Monsieur L... et de la SEM, moyennant rémunération, est présumée être un contrat de travail. Il revient donc à la SEM de combattre cette présomption en démontrant notamment l’absence de d’une prestation fournie par M. L... dans le cadre d’un lien de subordination. En l’espèce, il n’est pas contesté que l’équipe du journal Le Monde informait chaque semaine Monsieur L... des sujets de la double page thématique du vendredi, lui envoyait les textes des contributeurs lorsqu’elle les possédait, afin qu’il produise un dessin en rapport avec thème de l’article. La cour constate que Monsieur L... agissait donc sur instructions, effectuait de manière constante et habituelle des dessins destinés à illustrer des événements ou des thèmes précis publiés dans le journal Le Monde et percevait en contrepartie une rémunération mensuelle d’un montant assez constant tel que cela résulte de ses relevés d’honoraires depuis 2005. Au regard de ces éléments, il y a lieu de constater que la présomption de salariat posée par l’article L7112-1 du code du travail et la charte des pigistes n’est pas valablement renversée et que les parties sont liées par un contrat de travail. » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Sur la requalification judiciaire Vu les articles L. 7111-3 et L. 7112-1 du Code du travail ; Attendu au préalable que les éléments de la cause conduisent à distinguer trois périodes : mars 1982 à décembre 1984 ; janvier 1985 à juin 2006 ; juillet 2006 à octobre 2013 ; Qu’en effet, si les dessins versés aux débats - au surplus éventuellement accompagnés de “relevés de piges ou d’honoraires” émis par la Société Editrice du Monde (ci-après Le Monde) - démontrent brillamment la constance et la régularité du travail fourni par M. L... au profit du quotidien tout au long de la première et de la troisième période, aucune indication n’est apportée sur la deuxième : ni l’une ni l’autre partie éclaire les raisons de cette absence apparente de prestation ou de fourniture de travail sur plus de vingt ans ; Attendu que pour répondre à la double question posée - La convention par laquelle Le Monde s’est assuré, moyennant rémunération, le concours de M. L... doit-elle être qualifiée de contrat de travail comme le soutient le journaliste, ou de piges comme l’avance l’éditeur ? En cas de reconnaissance de salariat, à quelle date en faire courir les effets ? -, il est dès lors plus aisé de remonter le temps ; Attendu que l’article L. 7112-1 du Code du travail énonce, dans sa rédaction actuelle, que “Toute convention par laquelle l’entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties”’, que la présomption ainsi posée est que toute collaboration avec un journaliste s’inscrit dans le cadre d’un contrat de travail, en sorte que, sauf preuve contraire, le journaliste est par principe salarié et par exception travailleur indépendant ; Que cette présomption simple a été constamment affirmée en des termes similaires par la législation en vigueur depuis mars 1982, date d’entrée en relation des parties ; Attendu qu’il appartient au Juge du fond d’apprécier sur la base des critères de l’article L. 7111-3 du Code du travail le statut de journaliste professionnel, et cette qualité étant établie, d’appliquer la présomption de salariat ; qu’il en est ainsi dès lors qu’un journaliste tire l’essentiel de ses revenus de l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse ; qu’il apporte à l’organe de presse attrait une collaboration constante et régulière ; qu’en outre le seul fait de répondre à une commande caractérise le lien de subordination, le salariat ne pouvant être écarté que si l’entreprise démontre que le journaliste travaille en toute indépendance, sans recevoir ni directive, ni orientation ; Attendu en l’espèce qu’il est, d’abord, constant que M, L... est titulaire de la carte de presse ; Qu’il fournit les copies de ses avis d’imposition depuis l’année de perception 2009, dont il ressort qu’il tire l’essentiel de ses revenus de l’exercice de son métier ; Que son statut de journaliste professionnel est ainsi établi pour la période débutant le 1er janvier 2009 ; Qu’a contrario, il n’est communiqué pour les années antérieures aucun indice laissant présumer que les moyens alimentaires de M. L... provenaient généralement de son métier de reporter-dessinateur ; Attendu ensuite que Le Monde ne peut sérieusement soutenir, sauf à se contredire au détriment de son ancien collaborateur, que ce dernier travaillait en toute liberté et indépendance, sans recevoir ni directive ni orientation, et que la relation de travail avec lui était exclusive de tout lien de subordination, alors même que dans une lettre officielle au Conseil du demandeur en date du 5 juillet 2013 Le Monde indique que “ les dessins de M. L... ne sont pas et ne sauraient être l’exclusivité d’une rubrique “, ce qui suffit à démontrer le pouvoir que détenait Le Monde pour décider unilatéralement du placement de la production de son collaborateur, et donc le lien de subordination enserrant M, L... ; Que plus généralement, Le Monde n’apporte pas d’éléments de preuve renversant la présomption de salariat posée par l’article L. 7112-1 du Code du travail ; Attendu qu’il s’évince de ces constatations que les trois critères ouvrant la voie à la requalification de la relation de travail - statut professionnel, constance et régularité de la collaboration, subordination - sont cumulativement remplies à compter du 1er janvier 2009 ; Requalifie la relation de travail entre la SA Société Editrice du Monde et M. C... L... en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2009. » ;

ALORS d’abord QUE, si la convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail, l’employeur présumé peut renverser cette présomption en établissant que le journaliste exerce son activité en-dehors de tout lien de subordination ; qu’en l’espèce, pour considérer que la présomption de salariat n’était pas valablement renversée, la Cour d’appel a relevé qu’il n’était pas contesté que Le Monde informait chaque semaine Monsieur L... des sujets de la double page thématique du vendredi, lui envoyait les textes des contributeurs lorsqu’elle les possédait, afin qu’il produise un dessin en rapport avec la thème de l’article et en a déduit que Monsieur L... agissait donc sur instructions, effectuait de manière constante et habituelle des dessins destinés à illustrer des événements ou des thèmes précis publiés dans le journal et percevait en contrepartie une rémunération mensuelle d’un montant assez constant ; qu’en statuant par ces motifs inopérants à caractériser l’existence d’un lien de subordination entre Monsieur L... et la SEM, la Cour d’appel a violé les dispositions des articles L. 1221-1 et L. 7112-1 du Code du travail ;

ALORS ensuite QUE, si la convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail, l’employeur présumé peut renverser cette présomption en établissant que le journaliste exerce son activité en-dehors de tout lien de subordination ; qu’en l’espèce, en considérant que la présomption de salariat n’était pas valablement renversée sans vérifier si, ainsi que le soutenait la SEM, Monsieur L... avait tout liberté pour accepter ou refuser les commandes qui lui étaient proposée par Le Monde, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 1221-1 et L. 7112-1 du Code du travail ;

ALORS enfin QUE, si la convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail, l’employeur présumé peut renverser cette présomption en établissant que le journaliste exerce son activité en-dehors de tout lien de subordination ; qu’en l’espèce, en considérant que la présomption de salariat n’était pas valablement renversée sans vérifier si, ainsi que le soutenait la SEM, Monsieur L... ne disposait pas d’une liberté totale dans l’organisation de son travail, n’étant soumis à aucune contrainte horaire ou de présence dans les locaux de l’entreprise ainsi que dans sa manière d’appréhender et de traiter les sujets abordés, le dessinateur se contentant de remettre son dessin finalisé le jour du bouclage sans avoir préalablement présenté aucune esquisse, et s’opposant par principe à toute observation émanant des équipes du journal, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 1221-1 et L. 7112-1 du Code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement attaqué en ce qu’il avait condamné la SEM à verser à Monsieur L... les sommes de 21 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 500 au titre des frais de procédure et d’avoir condamné la SEM à verser à Monsieur L... la somme de 3623,02 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 362,30 euros au titre des congés afférents, d’avoir ordonné la remise des documents sociaux conformes à sa décision dans un délai de deux mois à compter de la notification de son arrêt et d’avoir ordonné le remboursement par la SEM à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à Monsieur L... à la suite de son licenciement dans la limite de trois mois ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la rupture du contrat de travail En fournissant régulièrement du travail à un pigiste pendant une longue période, une entreprise de presse fait de ce dernier, même rémunéré à la pige, un collaborateur régulier auquel l’entreprise est tenue de fournir du travail. L’interruption de cette relation de travail s’analyse en un licenciement. En l’espèce, la cour rappelle que Monsieur L... bénéficiait du statut de pigiste salarié depuis le 1er janvier 2005. La SEM reconnaît par ailleurs qu’elle s’était verbalement engagée à commander au moins un dessin par semaine à Monsieur L.... Il n’est pas contesté qu’à compter du mois d’octobre 2013, Monsieur L... n’a plus fourni de dessins à la SEM. Si la SEM fait valoir qu’elle n’a pas mis fin à la collaboration de Monsieur L... et que c’est ce dernier qui a pris seul la décision de rompre cette relation, elle ne produit aucun élément concret en ce sens. En effet, elle ne justifie pas avoir adressé des commandes qui n’auraient pas été honorées par le salarié, ni aucune mise en demeure de reprendre leur collaboration. Les seuls courriers l’invitant à prendre contact avec la direction artistique sont insuffisants à établir une quelconque volonté de démissionner du salarié. Or la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Dès lors, il y a lieu d’analyser l’interruption de la relation de travail comme un licenciement. Sur les conséquences financières du licenciement Aux termes de l’article L7112-3 du code du travail, si l’employeur est à l’initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par aimée ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze. L’article L7112-4 du même code prévoit que lorsque l’ancienneté excède quinze années, une commission arbitrale est saisie pour déterminer l’indemnité due. Monsieur L... ne bénéficiant du statut de journaliste professionnel et de la présomption de salariat qu’à compter du 1er janvier 2005, il comptait par conséquent moins de quinze ans d’ancienneté à la date de son licenciement. Il ne peut donc prétendre à l’application des dispositions précitées. Dès lors à défaut d’avoir chiffré sa demande au titre de l’indemnité légale de licenciement, il en sera débouté. Le jugement sera infirmé sur ce point. Il résulte des documents versés aux débats et notamment des relevés d’honoraires que le salaire mensuel brut moyen de Monsieur L... s’élevait à 1.811,51 euros. Selon l’article L. 1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. Aux termes de l’article L7112-3 du même code, la durée du préavis pour les journalistes professionnels est de deux mois pour une ancienneté supérieure à trois ans. En conséquence, il convient d’allouer à Monsieur L... la somme 3.623,02 euros, outre les congés afférents. Le jugement déféré sera infirmé s’agissant du quantum alloué. A la date du licenciement, Monsieur L... percevait une rémunération mensuelle brute de 1.811,51 euros, avait 58 ans et bénéficiait d’une ancienneté de 8 ans et 10 mois au sein de l’établissement. Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Monsieur L..., de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, c’est par une juste appréciation de la situation que le conseil de prud’hommes de Paris lui a alloué en application de l’article L. 1235-3 du Code du travail, une somme de 21.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Sur la rupture du contrat de travail Attendu qu’il appartient à l’entreprise de prouver avoir fourni du travail à son salarié ou de démontrer que ce dernier ne se tenait plus à sa disposition ; Attendu que Le Monde soutient avoir proposé à M. L... de continuer à éditer ses dessins ; Qu’il n’apporte cependant aucun élément tangible à l’appui de cette assertion ; Attendu surabondamment que le demandeur avance de son côté que Le Monde ne lui a plus commandé de dessin postérieurement aux deux dessins publiés les 3 et 13 septembre 2013 ; Que le défendeur ne communique pas de données contredisant cette déclaration ; Attendu que M. L... demande que la rupture ainsi intervenue du contrat de travail du fait de l’employeur soit jugée licenciement sans cause réelle et sérieuse et datée du 30 août 2013 ; Que l’analyse ci-dessus menée par la Juridiction commande d’y faire droit ; […] Sur l’indemnité pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse Vu l’article L. 1235-3 du Code du travail ; Vu les éléments de la cause ; Attendu que le licenciement infondé de M. L... lui a nécessairement causé un préjudice professionnel, personnel et financier ; Que pour l’évaluation de ce préjudice doivent être notamment pris en compte son ancienneté dans le métier, son âge, l’impact sur ses revenus actuels et futurs de la perte injuste de son emploi ; Condamne la Société Editrice du Monde à verser à M. C... L... la somme de 21 000 € à titre d’indemnité pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, assortie des intérêts de droit. » ;

ALORS QUE la cassation qui ne manquera pas d’intervenir sur le premier moyen relatif à la reconnaissance par la Cour d’appel de l’existence d’un contrat de travail liant les parties entraînera, en application de l’article 624 du Code de procédure civile, celle des chefs de dispositifs au terme desquels, la Cour d’appel, considérant que la rupture de la relation de travail s’analysait comme un licenciement, a condamné la SEM à verser à Monsieur [...] diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 18 octobre 2017