Réparation navale

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 5 janvier 1993

N° de pourvoi : 92-82057

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. Le GUNEHEC, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq janvier mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller DUMONT, les observations de Me CHOUCROY, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GALAND ;

Statuant sur les pourvois formés par :

PERNEL JeanClaude,

LA SARL SONOCAR, civilement responsable,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 7ème chambre, en date du 8 février 1990 qui, pour homicide et blessures involontaires, marchandage et infraction à la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité du travail, a condamné le premier à 8 mois d’emprisonnement avec sursis et 15 000 francs d’amende et a déclaré la seconde civilement responsable ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 319 et R. 40-4 du Code pénal, L. 263-2 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d’homicide involontaire et de blessures involontaires n’ayant pas entraîné d’incapacité temporaire totale supérieure à trois mois ;

”aux motifs que le 9 mars 1985 aux chantiers navals de La Seyne à bord d’une frégate en cours de construction, au cours d’une opération de nettoyage de la salle des machines arrière, une déflagration suivie d’incendie se produisait pendant la pulvérisation à l’aide d’une lance alimentée par une pompe haute pression d’un liquide employé comme détergent par l’entreprise Sonocar, sous-traitante de la Normed ; que la combustion des matériaux du compartiment libérait une intense fumée qui provoquait l’asphyxie et le décès de M. B..., salarié de l’entreprise Var Industrie et l’intoxication de D... Mendy, salarié de l’entreprise Emti, ainsi que de M. A..., chef d’équipe de la SONOCAR (responsable légal : M. C...) et de M. Y..., pompier ; que l’accident trouve directement sa source dans l’utilisation pour les travaux de nettoyage d’un produit très inflammable et détonant à la place du détergent, non dangereux au regard des risques d’incendie ; que l’utilisation de ce produit dangereux a été rendu possible par une erreur de manipulation ;

”qu’en effet, l’accident est la conséquence d’une faute commise par Bigot, son niveau d’instruction et ses compétences professionnelles lui permettant certainement de lire les inscriptions portées sur les fûts et de comprendre le danger de certains produits ; que l’absence de magasinier chargé de lui remettre le produit à utiliser et de directives précises lui faisaient obligation d’un contrôle rigoureux ; que les circonstances mêmes de l’accident avant lequel Pierre B..., salarié de Var Industrie et D... Mendy, salarié

de Emti, travaillaient ensemble à une opération de nettoyage d’un local sous la direction d’un chef d’équipe de Sonocar démontrent qu’il n’y avait pas contrats de sous-traitance, mais simple prêt de main-d’oeuvre sans marchés de travaux définis par Var Industrie ou EMTI ;

”que l’absence de direction et de coordination des travaux sur le chantier née du fait que l’équipe de travail créée au gré des besoins de main-d’oeuvre était constituée de travailleurs venus d’entreprises différentes (Sonocar, Var Industrie, Emti et Gardella) a favorisé l’irresponsabilité de chacun et a pu contribuer à la réalisation de cet accident ;

”alors que, d’une part, le chef d’entreprise n’est responsable que de sa faute personnelle ; qu’il appartient à la poursuite d’établir à la charge de l’employeur une faute génératrice de l’accident ; qu’en l’espèce, il résulte des propres constatations de l’arrêt attaqué que l’accident est dû à une erreur humaine causée par Bigot, salarié de la société Var Industrie, lequel a confondu deux fûts de même couleur et de même volume, placés côte-à-côte sur un lieu de stockage fourni par la Normed, circonstance propre à exclure la faute du prévenu ; qu’ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui en découlaient nécessairement ;

”alors, d’autre part, que la responsabilité pénale est alternative, que plusieurs chefs d’entreprise ne peuvent être condamnés pour la même infraction ; que le chef d’une entreprise sous-traitante doit être exonéré de toute responsabilité lorsque le salarié d’une autre entreprise sous-traitante a commis une faute exclusive et déterminante de l’accident ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu la responsabilité des sociétés Sonocar, Var Industrie et Emti, civilement responsables de leurs préposés alors qu’il est dûment établi que l’accident est dû à la faute exclusive de Bigot, salarié de Var Industrie ; qu’ainsi, la cour d’appel ne pouvait retenir la responsabilité du demandeur sans établir que celui-ci avait commis une faute caractérisée d’imprudence, d’inattention, de négligence en relation avec l’accident ; que, par suite, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

(

”alors, enfin, que le demandeur soulignait dans ses conclusions d’appel laissées sans réponse, que le chantier de La Seyne était parfaitement organisé puisque placé sous la direction d’un conducteur de travaux, M. Z..., seul responsable du chantier ; que celui-ci est donc seul responsable de n’avoir pas donné toutes les consignes en matière de sécurité, C..., ayant à l’époque plusieurs chantiers, celui-ci ne pouvait assurer une présence constante des chantiers ; que la cour d’appel, qui n’a pas recherché si une délégation de pouvoir implicite n’était pas donnée à M. Z..., n’a pas légalement justifié sa décision” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, lors du nettoyage de la salle des machines d’un bateau par la société Sonocar, qui, outre ses propres salariés, utilisait des ouvriers qui lui étaient prêtés par deux autres sociétés, Var Industrie et EMTI, l’un d’eux, Michel X..., salarié de Var Industrie mais employé par Sonocar depuis 1984, a utilisé par erreur un produit inflammable qui, après avoir d’abord causé l’indisposition de deux ouvriers sans que le personnel présent ne s’inquiète de sa cause, a provoqué une déflagration entraînant la mort d’un ouvrier et l’intoxication d’un autre ; que Michel X... et Jean-Claude C..., gérant de la société Sonocar, ont été poursuivis pour homicide et blessures involontaires ;

Attendu que, pour retenir la culpabilité du second, les juges d’appel relèvent que, si l’accident était la conséquence d’une faute commise par Bigot, les salariés concernés par l’accident n’avaient pas reçu la moindre consigne ou information sur le caractère dangereux des travaux qu’ils effectuaient et étaient incapables de distinguer le bon produit du mauvais ; qu’ils observent aussi qu’il existait une absence totale de direction et de coordination des travaux ayant favorisé l’irresponsabilité de chacun et contribué à la réalisation de l’accident ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs d’où il ressort que l’accident n’était pas seulement dû à la faute du salarié poursuivi mais aussi à celle du dirigeant de la société Sonocar, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; que, contrairement à ce qui est soutenu, peuvent être déclarés coupables d’homicide ou de blessures

involontaires tous ceux dont les fautes ont concouru au dommage ; que les juges n’avaient pas à rechercher d’office l’existence d’une délégation de pouvoirs dont le prévenu n’avait pas fait état devant eux, la présence d’un conducteur de travaux n’impliquant pas nécessairement cette existence ;

D’où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles L. 124-1, L. 125-1 et L. 152-3 du Code du travail, L. 263-2 du même Code, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré C... coupable du délit de marchandage et de défaut de formation de personnel à la sécurité ;

”aux motifs qu’il résulte de l’enquête diligentée par l’inspection du travail que les entreprises Var Industrie et Emti qui connaissent des mouvements de personnel incessants (la presque totalité des salariés étant recrutés avec des contrats à durée déterminée dont la durée excède rarement un mois) et ne disposent guère que d’un service administratif et commercial, n’ont d’autre activité que de se livrer à des opérations de prêt de main-d’oeuvre à but lucratif en dehors du cadre légal du travail temporaire, ce que C... (responsable légal de l’entreprise utilisatrice Sonocar) qui a recours à elles de manière habituelle pouvait d’autant moins ignorer qu’il a déjà été condamné à plusieurs reprises pour marchandage, prêt de main-d’oeuvre ou conclusion irrégulière d’un contrat de travail temporaire ;

”que cette situation voulue par les intéressés a permis aux prévenus responsables des trois entreprises en cause d’éluder totalement les dispositions légales relatives à la formation de leurs travailleurs communs en matière d’hygiène et de sécurité, aucun des salariés concernés par l’accident n’ayant reçu de quiconque la moindre consigne ou information en la matière en dépit du caractère éminemment dangereux des travaux qu’ils étaient amenés à effectuer et de l’analphabétisme de la plupart d’entre eux qui les rendait même incapables de distinguer le bon du mauvais produit par la simple lecture des

étiquettes ; que l’infraction de marchandage est constituée de même que le défaut de formation en matière de sécurité ;

”alors que, d’une part, le délit de marchandage suppose un fait matériel de fourniture de main-d’oeuvre à but lucratif ayant pour effet de causer un préjudice au salarié en éludant l’application de la loi, d’un règlement ou d’une convention ou d’un accord collectif de travail ; que dans ses conclusions d’appel, le demandeur faisait valoir que l’infraction incriminée ne saurait être constituée par la mise en commun de manière exceptionnelle, par trois entreprises habituellement sous-traitantes du donneur d’ordre (la Normed) de leur personnel disponible pour apporter, en une circonstance déterminée, un travail de nettoyage commandé impérativement le jeudi pour être effectué le lendemain ; qu’il n’est pas interdit de faire face à une situation exceptionnelle et ponctuelle, dès lors que celle-ci n’est pas habituelle ; qu’en se bornant à affirmer qu’il n’y avait pas contrat de sous-traitance, mais prêt de main-d’oeuvre, sans relever d’éléments propres à caractériser l’infraction incriminée et sans répondre aux conclusions du demandeur, la Cour n’a pas légalement justifié sa décision ;

”alors, d’autre part, que si tout chef d’établissement doit s’assurer que les travailleurs embauchés dans son entreprise ont reçu la formation pratique et appropriée en matière de sécurité, cette obligation cesse en cas d’urgence et quand le personnel embauché est doté de la qualification nécessaire à cette intervention ; qu’en l’espèce, le demandeur soulignait dans un chef péremptoire de ses conclusions d’appel laissées sans réponse que l’accident était consécutif à une erreur humaine causée par un salarié d’une autre entreprise, erreur indépendante de toute formation pratique en matière de sécurité, M. X... ayant été parfaitement informé de la dangerosité des produits” ;

Sur le moyen pris en sa première branche :

Attendu que, pour déclarer Jean-Claude C... coupable du délit de marchandage en employant des salariés prêtés par les sociétés Var Industrie et Emti, et pour rejeter son argumentation selon laquelle ces dernières seraient des sous-traitants, la juridiction du

second degré relève que ces deux sociétés n’avaient qu’un service administratif et commercial et n’exerçaient pas d’autre activité que la fourniture de main-d’oeuvre hors des conditions prévues par la législation sur le travail temporaire, et que leurs salariés travaillaient sous la direction d’un chef d’équipe de la société Sonocar ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, la cour d’appel, répondant aux conclusions déposées, a établi le caractère fictif des prétendus contrats de soustraitance ;

Attendu qu’il n’importe qu’elle n’ait pas constaté que le prêt de main-d’oeuvre ait causé un préjudice aux salariés concernés et qu’elle n’ait pas, de ce fait, caractérisé le délit de marchandage prévu par l’article L. 125-1 du Code du travail, dès lors que les faits retenus par elle à l’encontre du prévenu constituent une participation à une opération à but lucratif de prêt de main-d’oeuvre prévue par l’article L. 125-3 du Code du travail et punie par l’article L. 152-3 du même Code des mêmes peines que le délit prévu par l’article L. 125-1 précité ;

Sur le moyen pris en sa seconde branche :

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d’avoir contrevenu à l’obligation d’organiser une formation pratique et appropriée en matière de sécurité au bénéfice de quatre travailleurs, les juges, répondant aux conclusions dont ils étaient saisis, ont souverainement constaté qu’”aucun des salariés concernés par l’accident” n’avait “reçu de quiconque la moindre consigne ou information en la matière en dépit du caractère éminemment dangereux des travaux” et ont ainsi justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ; que, si l’article L. 231-3-1 du Code du travail dispense de formation les travailleurs temporaires auxquels il est fait appel en vue de l’exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité et déjà dotés de la qualification nécessaire à cette intervention, le prévenu n’a pas invoqué devant les juges du fond que les travaux qu’il a réalisés entraient dans ces prévisions et que le moyen, à cet égard mélangé de fait et de droit, est nouveau et, comme tel, irrecevable ;

Qu’ainsi il ne peut être admis en aucune de ses branches ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 8 février 1990

Titrages et résumés : (sur le 1er moyen) HOMICIDE ET BLESSURES INVOLONTAIRES - Faute - Imprudence ou négligence - Chef d’entreprise - Absence de consignes à des salariés chargés d’un travail dangereux - Faute ayant concouru au dommage - Constatations suffisantes.

Textes appliqués :
* Code de procédure pénale 593
* Code du travail L263-2
* Code pénal 319 et R40-4