Absence de technicité - salariés jeunes et inexpérimentés

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 12 janvier 1993

N° de pourvoi : 92-81901

Non publié au bulletin

Rejet

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze janvier mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller ALPHAND, les observations de la société civile professionnelle PEIGNOT et GARREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général AMIEL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

Y... Gabriel,

contre l’arrêt de la cour d’appel de LYON, chambre correctionnelle, en date du 12 mars 1992, qui, pour marchandage et infractions aux règles relatives à la sécurité des travailleurs, l’a condamné à une amende de 15 000 francs et a ordonné l’affichage et la publication de la décision ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles L. 1253, L. 1522, L. 2632 du Code du travail, 5, 43, 42 du décret du 8 janvier 1965, 485, 591, 592 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de base légale, dénaturation ;

”en ce que la Cour de Lyon par confirmation du jugement, a déclaré Dechavanne coupable d’avoir bénéficié d’une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre en dehors du cadre de la loi sur le travail temporaire, et d’avoir commis diverses infractions relatives à la sécurité des salariés ;

”aux motifs qu’il ressort du procès-verbal de l’inspection du travail sans qu’aucune contradiction ne soit apportée sur ces points :

” que les salariés de l’entreprise, tous très jeunes et inexpérimentés, travaillaient à des travaux de pose de plaques de bardage sur le chantier de construction de l’usine Bailly-Comte, avec les fournitures et le matériel de la société Soprema, hors la présence d’Eduardo C..., responsable de l’entreprise, ou de tout membre d’encadrement inexistant dans l’entreprise ;

” que M. B..., conducteur de travaux de la société Soprema, chargé du suivi du chantier contrôlait le travail de ces ouvriers qu’il considérait comme des salariés de la société ;

” que la décision de travailler les samedi 2 et 16 décembre a été prise en réunion de chantier par le conducteur de travaux de la société Soprema, sans que d’ailleurs cette dernière ne se préoccupe de la manière dont seraient encadrés les ouvriers travaillant sur le chantier ces jours-là, ni vérifier la compétence de ces jeunes ouvriers, à utiliser la nacelle élévatrice, assurant habituellement leur sécurité, dans la mesure où ce matériel était laissé à leur disposition par l’entreprise spécialisée la donnant en location à la société Soprema, ce qui n’était pas le cas de 2 décembre 1990 ;

” que l’entreprise Pereira ne disposait d’aucun matériel de sécurité adapté aux exigences de cet important chantier, ne participait pas aux réunions de chantier et n’était pas destinataire des procès-verbaux qui en étaient établis ;

Que la Cour relève, en outre :

” que l’attestation d’assurance responsabilité décennale de l’entreprise Pereira versée au débat porte la date du 21 mai 1990 et n’établit nullement que cette entreprise était au jour des faits assurée pour ce risque et garantissait la bonne exécution de son travail, son intervention sur le chantier n’étant d’ailleurs signalée à quiconque ;

” que l’entreprise Eduardo C... ne justifie, pour l’exécution des tâches qui lui étaient confiées, d’aucune technicité particulière dont la SA Soprema n’assurerait pas la maîtrise et se bornait à exécuter les plans et instructions qui lui étaient imposés par cette dernière par l’intermédiaire du conducteur de travaux B... qui venait une fois par semaine sur le chantier, et par le salarié Soprema Maillard, qui, chaque jour, venait en contrôler l’avancement et donner les consignes ;

” qu’aucun argument favorable au prévenu ne saurait être tiré de la présence de l’artisan Léandro Z... sur le chantier lors des deux contrôles, les vérifications effectuées établissant qu’il prêtait sa seule main d’oeuvre à l’entreprise Pereira” ;

”attendu que face aux constatations qui précèdent et à celles faites par les premiers juges relevant l’inexistence du fond de commerce de l’entreprise Pereira, ni la rédaction d’un contrat écrit, ni la rémunération fixée au nombre de mètres carrés exécutés par l’entreprise intervenante et payée sous forme d’avances mensuelles au vu de l’avancement du chantier ne constituent un indice décisif de sous-traitance, la substance effective de la convention liant les deux entreprises portant exclusivement sur un prêt de main d’oeuvre ;

”alors d’une part que le prêt de main d’oeuvre à titre lucratif que la loi réserve aux entreprises de travail temporaire est réalisé par la mise à la disposition de l’entreprise utilisatrice pour une durée déterminée, de salariés dont la rémunération est calculée en fonction de cette durée, du nombre et de la qualification des travailleurs détachés, lesquels sont placés sous la seule autorité et sous la responsabilité de l’entreprise utilisatrice ; que la cour d’appel a expressément constaté que la rémunération était fixée au nombre de mètres carrés exécutés par l’entreprise intervenante et payée sous forme d’avances mensuelles au vu de l’avancement du chantier ; qu’en jugeant cependant constitué le délit d’avoir bénéficié d’un prêt de main d’oeuvre prohibé, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;

”alors d’autre part qu’en relevant que la Soprema exerçait certaines tâches de direction du chantier et que l’entreprise Pereira avait défailli à certaines de ses obligations contractuelles et légales, la cour d’appel n’a pas constaté que M. C... aurait perdu tout pouvoir de direction sur son personnel et qu’au contraire, Dechavanne, directeur de la Soprema aurait exercé l’intégralité de ce pouvoir ; qu’elle a ainsi privé sa décision de base légale ;

”et alors, encore qu’en ne recherchant pas si le contrat de prêt de main d’oeuvre prohibé qu’elle a cru devoir déceler avait donné lieu à rétribution de la part de l’entreprise Pereira par la Soprema, la cour d’appel a de nouveau, privé sa décision de base légale ;

”alors enfin qu’aux termes de la convention liant l’entreprise Pereira à la société Soprema, la première était chargée de travaux d’étanchéité, d’isolation, de zinguerie, de couverture, de maçonnerie ou autres ; que la société Pereira s’engageait à recruter son personnel, à diriger et exécuter les travaux lui incombant, à payer son personnel, à l’affilier à la sécurité sociale, à acquitter toutes charges et cotisations sociales correspondantes ; qu’elle garantissait la réalisation des travaux conformément aux règles de l’art, la société cliente s’engageant à les réceptionner ; que ces travaux faisaient l’objet d’un paiement forfaitaire, fixé au mètre carré ; que la société Pereira était responsable envers ses cocontractants des dommages causés à ses salariés ; qu’elle s’engageait à souscrire une assurance ; qu’en omettant de rechercher, en fonction de ces éléments, si la convention passée par la société Soprema ne constituait pas un contrat de sous-traitance et non pas de mise à disposition de main d’oeuvre, la cour d’appel qui était tenue de déterminer la nature juridique exacte du lien unissant la société Soprema à l’entreprise Pereira a encore privé sa décision de base légale” ;

Attendu que le moyen ne tend qu’à remettre en cause les constatations de fait des juges du fond d’où il résulte que, sous le couvert d’un prétendu contrat de sous-traitance, l’entrepreneur José D... s’était borné, en contrepartie d’une rémunération fixée au mètre carré, à prêter à la société Soprema, en dehors de la réglementation du travail temporaire, les ouvriers nécessaires à l’exécution d’un chantier de construction lesquels étaient placés sous la subordination de cette société ; qu’un tel moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux dépens ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Zambeaux conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, en remplacement du président empêché, M. Alphand conseiller rapporteur, MM. Dardel, Dumont, Fontaine, Milleville, Guerder, Mme Baillot conseillers de la chambre, Mmes X..., A..., Verdun conseillers référendaires, M. Amiel avocat général, Mme Gautier greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Lyon chambre correctionnelle , du 12 mars 1992