Bâtiment

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 28 septembre 2010

N° de pourvoi : 09-88169

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° X 09-88.169 F-D

N° 5360
28 SEPTEMBRE 2010

M. LOUVEL président,

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit septembre deux mille dix, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE, BRIARD et TRICHET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général SALVAT ;

Statuant sur les pourvois formé par :

"-" M. Jean X...,

"-" La société Bretagne sud bâtiment,

contre l’arrêt de la cour d’appel de RENNES, 3e chambre, en date du 19 novembre 2009, qui, pour prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage, a condamné, le premier, à 30 000 euros d’amende, et la seconde, à 45 000 euros d’amende, et a ordonné la publication de la décision ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1, L. 125-3, devenus L. 8231-1, L. 8241-1, du code du travail, 591, 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... et la société Bretagne sud bâtiment (BSB) coupables de prêt illicite de main-d’oeuvre et marchandage ;

”aux motifs propres que « l’article L. 125-3 du code du travail prohibe toutes les opérations à but lucratif ayant pour objet exclusif la mise à disposition de main-d’oeuvre hors le cadre des entreprises de travail temporaire ; que les premiers juges ont démontré par des motifs pertinents et adaptés, que la cour reprend, que les contrats de sous-traitance conclus avec la SARL BSB ne traduisaient pas la réalité de la convention liant cette société aux entreprises FAC et Tutuncu qui ne faisaient en réalité que fournir à BSB des salariés qu’elles recrutaient à cette fin et qui intervenaient sur les chantiers de BSB sous la direction des chefs de chantier de BSB pour effectuer des tâches rémunérées en réalité selon un « coût horaire de régie » comme indiqué sur les factures, et non au mètre carré linéaire comme indiqué, sur ce seul point de manière erronée, par les premiers juges ; que l’article L. 125-1 du code du travail interdit le marchandage, c’est-à-dire la fourniture de main d’oeuvre à titre lucratif qui a pour effet de causer un préjudice aux salariés concernés ou d’éluder l’application de la loi, des règlements ou des accords collectifs ; que le préjudice causé aux ouvriers des sociétés FAC et Tutuncu a été caractérisé par les premiers juges ; qu’il y sera ajouté que la comparaison des bulletins de salaire est éloquente : pour 151,67 heures de travail en février 2006, un maçon de Tutuncu percevait un salaire net imposable de 1 393 euros (D 79) et coûtait à son employeur 2673 euros, et un ouvrier professionnel de BSB percevait 1 797 euros et coûtait à son employeur 3 796 euros (février 2006) ; que s’agissant des salariés de FAC, ils étaient engagés dans le cadre de CDD « jusqu’à la fin du chantier » et « un simple rappel verbal (de la date de fin de contrat) était contractuellement considéré comme un préavis ; que les jours d’intempéries étaient défalqués sus la rubrique « absences autorisées », ce qui minorait de manière importante la rémunération, mais aussi les charges patronales ; que même pour le mois de février 2005, où l’on ne trouve pas de déduction de ce type, la rémunération d’un maçon-coffreur de la société FAC pour 151,67 heures était de 994,48 euros net imposable et 2 159,73 euros de coût total employeur, cela s’expliquant notamment par le fait que ces entreprises avaient moins de 10 salariés chacune et relevaient donc d’une convention collective différente d’après les mentions figurant dans les bulletins de salaire de celle qui s’appliquait à BSB qui avait 48 salariés (et l’on sait que le seuil de 50 salariés est un seuil important en droit du travail) ;

”et aux motifs adoptés que la sous-traitance se définit comme la convention par laquelle un employeur offre à son cocontractant un travail ou un service réalisé avec son propre personnel qui reste placé sous sa direction et sa responsabilité ayant pour objet l’exécution d’une tâche objective, définie avec précision et habituellement rémunérée de façon forfaitaire et librement négociée avec le donneur d’ordre ; que les constatations opérées par les services de gendarmerie et par l’inspection du travail à la suite des contrôles des 12 avril 2005, 24 mai 2005, 1er et 2 février 2005, 28 octobre 2005, le 15 mars 2006 permettent de caractériser avec une certitude absolue l’existence d’une fausse sous-traitance caractérisée par : - un lien de dépendance économique de la société FAC et de Karip Tutuncu avec la société BSB, cette dernière étant la seule à leur donner du travail ; - l’absence de local de stockage pour la société FAC, de gros matériel pour les deux entreprises sous-traitantes ; - les ordres sur les chantiers sont donnés aux salariés de ce deux entreprises par les chefs de chantier de la société BSB ; - les salariés sous-traitants portent des vêtements aux couleurs de la société BSB et son soumis aux mêmes horaires que ceux de la société BSB ; - aucun panneau d’affichage ne mentionne la présence des sociétés soustraitantes ; - les plans particuliers de sécurité et de protection de la santé, édités au nom de la société sous-traitante, ont été élaborés par la société BSB ; - aucun sous-traitant ne participe aux réunions de chantier ; - les marchandises sont achetées par la société BSB et non pas par les sous-traitants ; - l’objet social de l’entrepreneur principal et des sous-traitants est identique ; - les conditions du marché de sous-traitance ne résultent pas d’un appel d’offres ou d’un devis mais d’une facturation au mètre linéaire imposée par l’entrepreneur principal ; que ces constatations des agents de l’inspection du travail sont fondées sur les auditions des personnes impliquées dans ce dossier ; que les faits sont implicitement reconnus par M. X... dans son audition du 1er juin 2005 (« nous avions besoin de main d’oeuvre. Il m’a proposé la société FAC… la FAC ne nous a pas fait de devis ; c’est moi qui ait indiqué au responsable de la FAC qu’il y avait tel travail à faire et que le montant était de 15 000 euros… ») (D14) ou lors de son interrogatoire de première comparution le 2 novembre 2006 (D109) ; qu’Adrian Y... dans sa déclaration du 12 avril 2005 indique qu’il « n’a fait que prêter son personnel à la société BSB » (D10) » ; que les chefs d’équipe de la société BSB confirment cette façon de travailler (D11, D44) comme les salariés de la société FAC dont certains n’étaient pas déclarés ou en situation irrégulière (D6, D8, D43, D45) ;

”alors que l’opération de prêt de main d’oeuvre conclue entre deux entreprises n’est illicite que si elle a un but lucratif ; qu’en entrant en voie de condamnation du chef de prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage, sans caractériser le but lucratif des opérations de prêt de main d’oeuvre conclues entre les sociétés en cause, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé les délits de prêt illicite de main d’oeuvre et de marchandage dont elle a déclaré les prévenus coupables, tant en leurs éléments matériels, comprenant en particulier le but lucratif de l’opération dénoncée, qu’intentionnels ;

D’où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 152-3, devenu L. 8234-1 et L. 8243-1, du code du travail, 111-3 du code pénal, 591, 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué, après avoir déclaré la société Bretagne sud bâtiment coupable de prêt de main d’oeuvre exclusif à but lucratif et marchandage, l’a condamnée à une amende de 45 000 euros ;

”alors que nul ne peut être puni par une peine qui n’est pas prévue par la loi ; qu’en prononçant une peine excédant le maximum prévu par les articles L. 125-1 et L. 125-3, devenus L. 8234-1 et L. 8243-2, du code du travail réprimant les délits reprochés, la cour d’appel a méconnu le principe et les textes susvisés” ;

Attendu qu’en condamnant la société Bretagne à une amende de 45 000 euros, la cour d’appel a prononcé contre cette société une peine entrant dans les prévisions des articles L. 152-3-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable aux faits poursuivis, et 131-38 du code pénal ;

Qu’il s’ensuit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Téplier ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Rennes du 19 novembre 2009