Gardiennage

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 4 septembre 2012

N° de pourvoi : 11-87418

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Louvel (président), président

SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

"-" M. Robert X...,

"-" M. Kamel Y...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de CHAMBÉRY, chambre correctionnelle, en date du 12 mai 2011, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 28 septembre 2010, pourvoi 09-86. 305), a condamné le premier, pour marchandage, à 15 000 euros d’amende et, le second, pour marchandage et travail dissimulé, à 10 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Sur le pourvoi formé par M. Y... :

Attendu qu’aucun moyen n’est produit ;

Sur le pourvoi formé par M. X... :

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8231-1 et L. 8234-1 du code du travail, 121-3 du code pénal, 459, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable du délit de marchandage et l’a condamné en répression à une amende de 15 000 euros ;

” aux motifs qu’aux termes de l’article L. 125-1 devenu l’article L. 8231-1 du code du travail, le marchandage défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, est interdit ; qu’il est établi que M. X... a créé plusieurs sociétés dans le domaine du gardiennage et de la sécurité sans avoir aucun salarié ; que ses sociétés ne fonctionnaient que par recours en sous-traitance à des entreprises ou des travailleurs indépendants, qui pour la plupart en difficulté financière ne payaient pas de charges sociales ou ne déclaraient pas certains salariés ; qu’il facturait les prestations aux clients et reversait une partie des montants encaissés aux intervenants qui avaient réellement effectué le travail et conservait une marge d’environ 15 % ; qu’il admettait avoir volontairement dissimulé à sa clientèle ce mode de fonctionnement ; que les investigations ont mis en évidence que les vigiles qui travaillaient pour le compte d’Europol ne disposaient d’aucune autonomie, et se trouvaient sous l’autorité directe de M. X... qui se comportait à leur égard comme un véritable chef d’entreprise, leur imposant le statut de travailleur indépendant alors qu’ils souhaitaient devenir leur salarié ; qu’ils se présentaient aux clients en tant que tel, et travaillaient muni d’un badge à l’enseigne de cette société ; qu’il est donc établi que cette situation de fausse sous-traitance ainsi mise en place par le prévenu privait ce personnel de surveillance des dispositions protectrices de la législation sociale et des conventions collectives ; qu’il est ainsi démontré que M. X... a effectué des opérations à but lucratif de fourniture de main d’oeuvre qui ont eu pour effet d’éluder l’application du code du travail et des conventions collectives ; qu’il a en effet, en sa qualité de dirigeant de la société Europol, réalisé des profits importants en fournissant de la main d’oeuvre tout en évitant toute charge salariale et fiscale afférente à l’embauche de personnel ; que, c’est en conséquence à juste titre que les premiers juges ont considéré que le délit de marchandage était caractérisé en tous ses éléments constitutifs ;

” 1°) alors que les arrêts sont nuls quand ils ne contiennent pas les motifs propres à justifier le dispositif ; qu’il en est de même lorsqu’il a été omis de répondre à un chef péremptoire de conclusions ; qu’en l’espèce, dans ses conclusions d’appel, M. X... contestait la légalité des poursuites engagées contre lui à titre personnel, alors que tant le réquisitoire définitif de renvoi que le l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel visaient des faits commis au profit de la société Europol, personne morale ne faisant l’objet d’aucune poursuite ; qu’en omettant de répondre à ce moyen, pourtant de nature à entraîner la relaxe de M. X..., la cour d’appel a violé l’article 593 du code de procédure pénale ;

” 2°) alors qu’en tout état de cause, pour être caractérisé, le délit de marchandage suppose soit l’existence d’un préjudice causés aux salariés, soit la volonté d’éluder l’application de la loi, d’une convention ou d’un accord collectif de travail ; qu’en l’espèce, M. X... soutenait que la démonstration d’un préjudice causé aux prétendus salariés n’était pas faite et qu’à l’inverse, les fiches individuelles établies par les enquêteurs démontraient l’absence de préjudice subi par les sous-traitants ayant bénéficié, à l’instar de M. Z... qui avait perçu en 1998 un revenu annuel de 336 356 francs, d’une rémunération très supérieure à celle à laquelle pouvait prétendre un agent de sécurité salarié à cette époque ; que, dès lors, en omettant de s’expliquer sur ce moyen, propre de nature à exclure l’existence d’un préjudice subi par les sous-traitants en cause, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 8231-1 du code du travail et 593 du code de procédure pénale ;

” 3°) alors qu’en se bornant à affirmer qu’il était démontré que M. X... avait effectué des opérations à but lucratif de fourniture de main d’oeuvre ayant eu pour effet d’éluder l’application du code du travail et des conventions collectives, sans constater la volonté qu’aurait eu le prévenu d’éluder leur application, la cour d’appel n’a pas caractérisé le délit de marchandage et a ainsi violé l’article L. 8231-1 du code du travail “ ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X..., dirigeant une société exerçant une activité de surveillance et de gardiennage, a eu recours à des sous-traitants qui étaient mis à la disposition d’entreprises utilisatrices et que certains de ces sous-traitants travaillaient exclusivement pour lui ; qu’il a été renvoyé devant la juridiction de jugement pour avoir intentionnellement exercé, dans un but lucratif, une activité de prestations de services sans procéder aux déclarations devant être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale et pour avoir réalisé une opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre ayant pour effet de causer un préjudice aux salariés concernés ; que les premiers juges l’ont relaxé du chef de travail dissimulé mais l’ont déclaré coupable de marchandage ;

Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l’arrêt énonce que le prévenu a créé plusieurs sociétés de gardiennage et de sécurité qui ne fonctionnaient que par recours à la sous-traitance par des entreprises ou des travailleurs indépendants, lesquels ne payaient pas de charges sociales ou ne déclaraient pas certains salariés et que les vigiles qui travaillaient pour le compte de la société Europol ne disposaient d’aucune autonomie et se trouvaient sous l’autorité directe de M. X..., lequel se comportait à leur égard comme un véritable chef d’entreprise ; que les juges ajoutent que cette situation de fausse sous-traitance ainsi mise en place par le prévenu privait ce personnel de surveillance des dispositions protectrices de la législation sociale et des conventions collectives ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le second moyen, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

” en ce que l’arrêt attaqué a condamné M. X... à payer à Pôle emploi la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

” aux motifs que l’Assedic des Alpes devenu Pôle emploi a subi un préjudice directement causé par l’infraction de marchandage, dans la mesure où les prévenus se sont abstenus par la mise en place d’un système de fausse sous-traitance, de verser les cotisations salariales qui auraient été dues dans le cadre de l’embauche normale de personnel ; que ce préjudice doit être évalué forfaitairement dans la mesure où la partie civile n’apporte pas la preuve qu’aucune cotisation ne leur a été versée, certains faux soustraitants ayant déclaré avoir été à jour de leurs obligations sociales et fiscales ; que, réformant le jugement entrepris, la cour condamne ainsi M. X... à lui payer la somme de 15 000 euros de dommages-intérêts, et M. Y... celle 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

” alors que le préjudice résultant d’une infraction doit être réparé sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu’en l’espèce, en évaluant à la somme forfaitaire de 15 000 euros le préjudice prétendument subi par Pôle emploi, bien qu’elle eût constaté que la partie civile n’apportait pas la preuve qu’aucune cotisation ne lui avait été versée, certains faux sous-traitants ayant déclaré avoir été à jour de leurs obligations sociales et fiscales, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil et le principe ci-dessus rappelé “ ;

Vu l’article 1382 du code civil ;

Attendu que le préjudice résultant d’une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ;

Attendu que, pour évaluer le préjudice causé à Pole emploi par le marchandage commis par le prévenu, l’arrêt énonce que ce préjudice doit être évalué forfaitairement dans la mesure où la partie civile n’apporte pas la preuve qu’aucune cotisation ne leur a été versée, certains faux sous-traitants ayant déclaré avoir été à jour de leurs obligations sociales et fiscales ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

I-Sur le pourvoi de M. Y... :

Le REJETTE ;

II-Sur le pourvoi de M. X... :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions civiles le concernant, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Chambéry, en date du 12 mai 2011, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Guérin conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Chambéry du 12 mai 2011