Faux travailleurs indépendants détachés

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 10 mai 2016

N° de pourvoi : 15-82050

ECLI:FR:CCASS:2016:CR01757

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Guérin (président), président

SCP Matuchansky, Vexliard et Poupot, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :

 M. Alain X...,

 M. Don François Y...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de BASTIA, chambre correctionnelle, en date du 11 mars 2015, qui a condamné, le premier, pour travail dissimulé et emploi d’étranger non munis d’une autorisation de travail salarié, le second, pour recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, chacun, à 10 000 euros d’amende ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 15 mars 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Straehli, conseiller rapporteur, M. Finidori, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Hervé ;

Sur le rapport de M. le conseiller STRAEHLI, les observations de la société civile professionnelle MATUCHANSKY, VEXLIARD et POUPOT, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général référendaire CABY ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi formé par M. Don François Y... :

Attendu qu’aucun moyen n’est produit ;

II - Sur le pourvoi formé par M. Alain X... :

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 8224-1, L.8221-1, L.8221-3, L.8221-4, L.8221-5, L.8221-6, L.8224-1, L.8224-2, L.8224-3, L.8224-4, L.8256-2, L.8251-1, L.5221-8, L.5221-2, R. 5221-1, R. 5221-3, L.8256-3, L.8256-4 et L.8256-6 du code du travail, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d’exécution d’un travail dissimulé et d’emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié du 1er février 2011 au 31 mars 2012 et l’a condamné au paiement d’une amende de 10 000 euros ;

”aux motifs propres qu’en application des dispositions de l’article L.8241-1 du code du travail dans sa version applicable à la date des faits : “Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre est interdite. Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre : 1° Des dispositions du présent code relatives au travail temporaire, au portage salarial aux entreprises de travail à temps partagé et à l’exploitation d’une agence de mannequins lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d’agence de mannequin ; 2° Des dispositions de l’article L.222-3 du code du sport relatives aux associations ou sociétés sportives ; 3° Des dispositions des articles L.2135-7 et L.2135-8 du présent code relatives à la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales ou des associations d’employeurs mentionnées à l’article” ; que l’article L.8251-1 du même code dispose que “nul ne peut, directement ou par personne interposée, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France” ; que l’article L.8221-1 du même code ajoute que “Sont interdits : 1° Le travail totalement ou partiellement dissimulé, défini et exercé dans les conditions prévues aux articles L.8221-3 et L.8221-5 ;…3° Le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé” ; qu’enfin, l’article L.8221-5 dispose “Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ; 2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ; 3° Soit de ne pas accomplir auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci” ; qu’il y a sous-traitance lorsqu’une entreprise demande à une société tierce de lui fournir un service dont la main d’oeuvre est l’accessoire ; que le personnel qui travaille sur le site pour le compte de l’entreprise sous-traitante n’est ni détaché dans l’entreprise principale ni prêté à celle-ci ; que dans ce cas, il y a nécessairement absence de contrôle du donneur d’ordres sur les conditions d’exécution de la prestation et sur les moyens mis en oeuvre par le prestataire, le contrôle ne portant que sur le résultat ; que s’il n’y a pas d’autonomie dans la prestation et que les conditions de sa conception et de son exécution sont contrôlées par le donneur d’ordre, il s’agit d’une fausse sous-traitance ; que le prêt de main d’oeuvre, qu’il s’agisse d’une entreprise de travail temporaire, de la fourniture d’un salarié intérimaire, ou autre, est réglementé par des textes contraignants qui garantissent au salarié prêté un statut social tant dans ses rapports avec l’employeur qu’avec l’entreprise d’accueil ; que si le personnel mise à disposition ne relève ni d’un contrat de sous-traitance ni d’une entreprise de travail temporaire régulière, et sauf déclaration aux organismes sociaux par celui qui les emploie, il s’agit, selon les cas soit de recours aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, infraction présentement reprochée à M. Y..., soit de travail dissimulé par emploi de salariés non régulièrement déclarés, et s’ils sont étrangers démunis d’autorisation de travail, du délit d’emploi d’étrangers démunis d’une telle autorisation, infractions présentement reprochées à M. X... ; qu’en l’espèce, il est établi et non contesté non seulement que les société Aqua Therm, Iftodi Bungalow, Sani, Service di valle seriana cooperativa n’ont jamais eu de représentant permanent en France et en particulier en Corse ni aucune activité réelle en France comme dans leur pays, et qu’elles ne sont pas plus une entreprise de travail temporaire, ce qui les obligerait, a minima, à justifier de cet objet social dans leur pays d’origine, et d’une garantie financière afin de pouvoir assurer en cas de défaillance de leur part le paiement des salariés détachés pendant toute la durée de leur détachement ; qu’il n’est pas davantage discuté que les salariés ainsi mis à disposition des prévenus : -n’ont fait l’objet d’aucune déclaration légale auprès des organismes sociaux et fiscaux, de sorte que l’entreprise qui en bénéficie se trouve, de fait, exonérée des charges sociales et indemnités dues en cas de recours à des travailleurs intérimaires, et peut, même, par ce biais, espérer externaliser les risques d’accident du travail et les pénalités pécuniaires induites, - bien que faisant partie de l’Union européenne, ne sont pas titulaires d’un titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire national dans le cadre d’une embauche directe (arrêté du 18 janvier 2008 modifié par l’arrêté du 24 juin 2008), - reçoivent leurs instructions directement des prévenus, qui les intègrent à leur propre équipe de travail et leur fournissent les outils et le matériel utiles ; qu’enfin MM. Z... et A... n’étaient eux-mêmes nullement déclarés comme entrepreneurs, et n’avaient pas plus qualité à représenter quelconque société de prêt de main d’oeuvre ; que les éléments matériels des infractions reprochés à MM. X... et Y... sont donc établis, peu important la qualification qu’ils entendaient donner aux contrats ainsi passés avec lesdites sociétés, qu’il appartient aux juges d’analyser ; que quel que soit l’objet de la dissimulation reprochée, l’élément intentionnel doit être caractérisé pour constituer le délit de travail dissimulé ; que la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur, l’intention coupable qu’exige l’article 121-3 du code pénal ; que commet sciemment les délits visés à la prévention celui qui ne vérifie pas alors qu’il y est tenu, la régularité de la situation de celui ou celle avec qui il contracte, alors que plusieurs éléments d’une apparente et objective illicéité ne pouvait lui échapper ; que M. X..., professionnel de l’ostréiculture comme étant à la tête de la SCA de Sainte Marie de Diana créée en septembre 1987 ne justifie pas davantage avoir obtenu, ni d’ailleurs demandé à ses co-contractants un document mentionnant le numéro d’identification fiscale attribuée par les services fiscaux étrangers à la société concernée, quelconque attestation de la régularité sociale de celle-ci, de son inscription au registre professionnel, pas plus que la liste nominative des salariés autorisés à travailler ; qu’il reconnaît n’avoir effectué aucune vérification sur la régularité de la société italienne avec laquelle il a contracté ; qu’il s’est contenté de les inscrire, malgré la sous-traitance qu’il allègue, sur son propre registre unique du personnel ; qu’il admet qu’aucune de ces sociétés n’a eu localement de véritable responsable, et que c’est lui qui donnait aux salariés ainsi placés les directives de travail et leur fournissait le matériel ; qu’il ne produit sur la période de prévention que deux contrats de sous-traitance relatifs au premier trimestre 2012 ; qu’il en résulte que ces ressortissants roumains qui n’exerçaient aucune activité indépendante de prestataires de services et se trouvaient placés dans un lien de subordination à son égard ne sauraient être considérés comme des travailleurs temporaires détachés d’une entreprise établie dans un état de l’Union européenne pour effectuer en France des prestations de service, mais avaient en réalité le statut de salariés ; qu’en s’abstenant sciemment de les déclarer et de vérifier s’ils étaient autorisés à travailler en France, l’élément intentionnel est caractérisé ; si pour la période de la prévention, à savoir du 1er février 2011 au 31 mars 2012, M. X... ne produit que deux contrats de sous-traitance, il se déduit des factures détaillées, émises par la société Sani, comme de ses propres déclarations, que sa culpabilité doit être retenue pour toute la période visée à la prévention ; que c’est donc à bon droit, et par une juste appréciation des circonstances de la cause, que les premiers juges ont retenu M. X... dans les liens de la prévention du délit de travail dissimulé et de l’emploi de travailleurs étrangers démunis d’une autorisation de travail, peu important à cet égard l’analyse qu’ont pu avoir les premiers juges de la participation de MM. B... et C... dont la cour n’est pas saisie ; le jugement sera confirmé sur la culpabilité ; que sur la peine, M. X... ne produit aucun élément relatif à sa situation personnelle et financière ; qu’au regard du volume financier généré par les infractions et des bénéfices qu’il a pu en retirer, notamment au titre des charges patronales, il doit être également condamné au paiement d’une amende de 10 000 euros ; le jugement sera donc réformé sur la peine ;

”et aux motifs adoptés que l’intéressé est dirigeant de droit de l’entreprise au sein de laquelle 4 ouvriers roumains ont été contrôlés le 10 février 2012 en situation de travail ; que ledit travail ayant été accompli pour les besoins de sa propre entreprise et sous son unique contrôle, le tribunal n’a pas à suivre l’argumentation de M. X... consistant à affirmer qu’il les a employés dans le cadre d’un contrat de sous-traitance ; qu’en sa qualité d’employeur direct M. X... avait l’obligation de vérifier que ses salariés étaient autorisés à travailler en France et de procéder personnellement aux déclarations sociales, ce qu’il n’a pas fait ; qu’en outre les circonstances dans lesquelles les salariés lui ont été présentés, par des représentants d’entités sans existence légale, et dans lesquelles ses deux coprévenus ont perçu de sa part des forfaits de salaires et charges sociales manifestement contraires aux règles en usage, caractérisent l’infraction, la difficulté de recruter du personnel par les voies légales ne pouvant être retenue comme cause exonératoire ;

”1°) alors que l’infraction relative à l’emploi d’un travailleur étranger non muni d’une autorisation régulière d’exercer une activité salariée en France suppose que le prévenu puisse être réputé l’employeur dudit travailleur ; qu’en retenant cette infraction à l’encontre de M. X... cependant que les quatre travailleurs étrangers avaient été placés dans son entreprise par une société italienne dans le cadre de contrats de sous-traitance, ce dont il résultait que M. X... n’était pas leur employeur, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;

”2°) alors que l’infraction relative à l’emploi d’un travailleur étranger non muni d’une autorisation régulière d’exercer une activité salariée en France suppose la connaissance par l’employeur du caractère irrégulier de la situation de son employé ; qu’en déclarant M. X... coupable de ce chef, sans rechercher s’il avait connaissance de l’absence d’autorisation de travail des quatre ouvriers étrangers, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;

”3°) alors qu’en refusant de tenir compte des déclarations des travailleurs étrangers d’où il résultait sans ambiguïté qu’ils étaient liés par un lien de subordination avec une société italienne représentée par M. A... qui les avait détachés temporairement au service de la SCA Etang de Diane depuis 2012, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt, du jugement qu’il confirme et des pièces de procédure qu’à la suite d’un contrôle mené le 10 février 2012 par les gendarmes de la brigade d’Aléria au sein de la SCA Sainte Marie de Diane, entreprise d’ostréiculture dont M. Alain X... est le gérant, ce dernier a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs précités ; que les juges du premier degré l’ont déclaré coupable ; que M. X... et le ministère public ont relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement du chef de travail dissimulé, l’arrêt énonce que quatre personnes de nationalité roumaine étaient en action de travail, le 12 février 2012, dans l’entreprise d’ostréiculture dirigée par M. X... ; que si celui-ci a déclaré qu’ils y avaient été placés par un tiers, représentant une société italienne dans le cadre de contrats de sous-traitance, il apparaissait que ladite société, inconnue en France et sans activité réelle, n’était pas une entreprise de travail temporaire et qu’aucun des salariés roumains contrôlés en Corse n’avait fait l’objet d’une quelconque déclaration obligatoire auprès des organismes de prestation sociale italiens comme français, ni d’aucune déclaration de détachement ; que les juges ajoutent que le donneur d’ordre contrôlait la conception et l’exécution de la prestation et en déduisent qu’il s’agissait d’une fausse sous-traitance ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances contradictoirement débattus, la cour d’appel a justifié sa décision ;

Qu’ainsi le moyen ne peut qu’être écarté de ce chef ;

Mais sur le moyen de cassation, relevé d’office et pris de la violation de l’article 112-1 du code pénal ;

Vu ledit article ;

Attendu qu’il résulte de ce texte que, sauf dispositions expresses contraires, une loi nouvelle s’applique aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elle est moins sévère que la loi ancienne ;

Attendu que, pour déclarer M. Alain X... coupable d’emploi de quatre ressortissants roumains non munis d’une autorisation de travail, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu que la Roumanie étant devenue membre de l’Union européenne le 1er janvier 2007, la totalité des restrictions à l’accès au marché du travail a été levée pour les ressortissants de cet Etat à compter du 1er janvier 2014, de sorte que les faits d’emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail ont perdu leur caractère punissable ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu’elle sera limitée à la déclaration de culpabilité du chef précité ;

Par ces motifs :

I - Sur le pourvoi de M. Don François Y... :

Le REJETTE ;

II - Sur le pourvoi de M. Alain X... :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Bastia, en date du 11 mars 2015, en ses seules dispositions ayant condamné M. X... pour emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail et ayant statué sur la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de l’annulation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Bastia autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Bastia et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix mai deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Bastia , du 11 mars 2015