Appréciée chez le prêteur

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 27 octobre 1992

N° de pourvoi : 91-86253

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. LE GUNEHEC, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingtsept octobre mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller DUMONT, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ et de la société civile professionnelle BORE et XAVIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général AMIEL ; Statuant sur les pourvois formés par :

E... Jean-Claude,

Y... Jean-Luc,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE (7ème chambre), en date du 18 mars 1991, qui les a condamnés chacun à dix mille francs d’amende, le premier pour prêt de main-d’oeuvre illicite, le second pour participation à une opération de prêt de main-d’oeuvre illicite et infraction à la réglementation du travail en matière d’hygiène et de sécurité ; d

Joignant les pourvois en raison de la connexité ; Vu les mémoires produits ; Sur le moyen unique de cassation proposé pour Z... et pris de la violation des articles L. 125-3 et L. 152-2 du Code du travail, et de l’article 593 du Code de procédure pénale ; “en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. Z... coupable des délits de prêt de main-d’oeuvre illicite ; “aux motifs que le contrat présenté fait référence à des plans, à un descriptif et à un programme de travaux mais concerne “l’ensemble des coffrages, fourniture et pose des armatures... et toute incorporation à la demande” ; que ces derniers termes démontrent que l’ouvrage à réaliser n’est pas nettement défini ; que les prévenus soutiennent que la constante évolution des travaux ne permettait pas de prévoir des quantités forfaitaires dans un contrat initial ; que ce contrat comporte un avenant prévoyant la prolongation des travaux jusqu’au 31 mai 1987 alors que la date prévue initialement était du 8 janvier 1987 ; que pour ces travaux, l’entreprise MJCB n’a employé que des ouvriers dont l’un est au mieux qualifié de chef d’équipe ; que l’organigramme du chantier intègre ce chef d’équipe parmi les autres chefs d’équipe sous les ordres du chef de chantier M. B..., confirmant la clause du contrat de sous-traitance prévoyant le pouvoir pour l’entrepreneur principal de refuser tel ou tel ouvrier ; que les fiches de paie de M. C... et des autres employés indiquent comme employeur MI Prest de Services” (arrêt attaqué p. 6 alinéas 1 à 6) ; que ces indications confirment parfaitement les constatations de

l’inspecteur du travail qui indique que les salariés hésitaient entre Spada-Nicoletti et MI pour désigner leur employeur ; qu’il est ainsi établi que le contrat intitulé sous-traitance est en réalité un contrat de prêt de main-d’oeuvre illicite ; que la culpabilité de Z... utilisateur de ce travail est donc établie ; que Jean-Luc Z... qui avait reçu délégation à cet effet devait assurer le respect des règles de sécurité du travail ; qu’il doit donc être déclaré coupable pour deux ouvriers travaillant à 3,50 mètres du sol sans dispositif de protection collective (arrêt attaqué p. 7 alinéas 1,2,3) ; d “1°) alors que pour disqualifier le contrat de soustraitance en contrat de prêt de main-d’oeuvre, la cour d’appel a retenu notamment que l’ouvrage à réaliser n’était pas nettement défini ce qui s’était traduit par un allongement de la durée des travaux “toujours pour le même objet et sans référence à un quelconque retard” ; que l’avenant au contrat initial avait au contraire un objet nettement défini et portant sur des ouvrages distincts décrits dans le contrat ; qu’en énonçant le contraire, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de l’avenant et entaché par là-même son arrêt d’une contradiction de motifs ; “2° alors que Z... avait soutenu dans ses conclusions d’appel que les ouvriers de MJCB, sous-traitant, étaient placés sous l’autorité de M. C..., chef d’équipe et salarié de MJCB ; ue M. B... salarié de Nicoletti assurait seulement la coordination des différentes équipes et qu’il ne pouvait donner directement des ordres aux salariés des entreprises sous-traitantes ; que la cour d’appel s’est bornée à relever que selon l’organigramme du chantier M. C... figurait en qualité de chef d’équipe sous les ordres des chefs de chantier dont M. B... ; qu’en statuant de la sorte sans rechercher si la fonction de coordination nécessaire dans un chantier où intervenaient plusieurs entreprises sous-traitantes pouvait être assimilée à un pouvoir de direction sur l’activité des salariés de ces entreprises et en particulier de MJCB, la cour d’appel n’a pas répondu aux conclusions d’appel de Z... ; “3°) alors que le délit visé à l’article L. 1253 du Code du travail n’est constitué que si l’opération a pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre ; que Z... avait rappelé dans ses conclusions que le contrat de sous-traitance prévoyait la fourniture par MJCB des ferraillages nécessaires à la réalisation des ouvrages en béton ; qu’il en déduisait que le contrat ne pouvait pas dans ces conditions être qualifié de contrat de prêt de main-d’oeuvre illicite ; qu’en s’abstenant de réfuter ce moyen, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision” ; Et sur le moyen unique de cassation proposé pour E... et pris de

la violation des articles L. 125-3, L. 152-2 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ; d “en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré Jean-Claude E... coupable du délit de prêt de main-d’oeuvre en violation des règles sur le travail temporaire ; “aux motifs que le contrat présenté fait référence à des plans à un descriptif et à un programme de travaux mais concerne “l’ensemble des coffrages, fourniture et pose des armatures, mises en oeuvre du béton suivant les plans du béton armé, réservations et toutes incorporations à la demande” ; que déjà ces derniers termes démontrent que l’ouvrage à réaliser n’est pas nettement défini ; que d’ailleurs les prévenus soutiennent par ailleurs (page 5 des conclusions déposées pour E...), que la constante évolution des travaux ne permettait, dans un contrat initial, de prévoir des quantités forfaitaires ; que ce contrat du 8 octobre 1986 comporte un avenant du 14 janvier 1987 prévoyant une prolongation de la durée des travaux jusqu’au 31 mai 1987 alors que leur fin était initialement prévue au 8 janvier 1987 toujours pour le même objet et sans aucune référence à un quelconque retard ; que pour ces travaux entrepris sur plus de 6 mois, de l’aveu des prévenus, l’entreprise E... n’a jamais employé que des ouvriers dont l’un est au mieux qualifié de chef d’équipe ; que l’organigramme du chantier fourni par le groupement SPADA Nicolleti, intègre ce chef d’équipe, dont l’inspecteur du travail avait constaté qu’il effectuait un travail de boiseur, parmi les autres chefs d’équipe du groupement SPADA Nicoletti sous les ordres des chefs de chantier, dont M. B... de ce groupement, confirmant ainsi la clause du contrat de sous-traitance prévoyant le pouvoir pour l’entrepreneur principal de refuser tel ou tel ouvrier ; que surtout M. A... qui s’est présenté à l’enquête comme représentant de Jean-Claude E... s’est lui-même qualifié de “directeur de l’agence MI (MJCB) responsable de la gestion du personnel de cette société de travail de sous-traitance (sic)” ; que les fiches de paye de M. C... et des autres employés vus sur le chantier indiquent comme employeur “MI Prest de Services” ; que ces indications confirment parfaitement les constatations de l’inspecteur du travail qui indique dans son procès-verbal que les ouvriers présents hésitaient entre SPADA Nicoletti et MI pour désigner leur employeur et ôtent toute force probante à l’attestation de M. C..., versée aux débats par les prévenus, qui soutient que l’inspecteur du travail n’a interrogé aucun des ouvriers présents, alors qu’ils admettent que les identités relevées sont bien exactes ; qu’il est ainsi établi que le contrat passé, intitulé d sous-traitance, constitue en réalité un prêt de main-d’oeuvre illicite ; “alors que l’incrimination de l’article L. 125-3 supposant que l’opération porte exclusivement sur un prêt de main-d’oeuvre à but lucratif implique nécessairement que les juges saisis de la

prévention se prononcent sur ce caractère exclusif et sur la nature de la Convention liant les deux sociétés à partir des éléments fournis par les parties ; qu’en l’espèce, les conclusions régulièrement déposées par le demandeur faisaient valoir que le personnel MJCB, placé sous l’autorité directe de deux délégués de cette entreprise, avait été uniquement occupé aux travaux contractuellement définis de ferraillage et de béton dont le prix était fonction de l’ouvrage réalisé, l’entreprise MJCB ayant à sa charge les achats de matériel nécessaire à ses interventions ; que l’arrêt attaqué, qui ne retient à l’appui de sa déclaration de culpabilité que certains éléments, sans s’expliquer sur l’argumentation péremptoire du demandeur, tirée de la désignation par l’entreprise sous-traitante de deux responsables du chantier sous-traité (MM. C... et D...), de la rémunération des travaux du sous-traitant en fonction exclusivement de l’importance matérielle des ouvrages réalisés et de l’obligation pesant sur le sous-traitant de payer à l’entreprise principale le béton utilisé et à ses propres fournisseurs les fers utilisés de nature à établir aussi bien la régularité du contrat de sous-traitance que le caractère non exclusif de la mise à dispositon de la main-d’oeuvre, n’a pas, en l’état de ce défaut de réponse à conclusions, caractérisé les éléments constitufifs de l’infraction poursuivie, privant par là sa décision de base légale” ; Les moyens étant réunis ; Attendu que les moyens, qui invoquent un prétendu défaut de réponse à conclusions, ne tendent qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de fait soumis au débat contradictoire et d’où ils ont tiré la conviction que, sous le couvert d’un prétendu contrat de sous-traitance, E... s’était borné à fournir à l’entreprise dirigée par Z... la main d’oeuvre peu qualifiée qui lui était nécessaire et qui travaillait, non sous les ordres de préposés de la société dirigée par E... mais sous ceux de l’entreprise utilisatrice, laquelle se réservait de choisir les ouvriers fournis par le prêteur et les encadrait par ses propres agents de maîtrise ; d

Qu’il n’importe que les juges n’aient pas répondu à des conclusions inopérantes relatives à la fourniture par E... des ferraillages nécessaires à la réalisation des ouvrages dès lors que ce prévenu n’exécutait pas luimême ces derniers, et que cette fourniture n’était donc pas liée au prêt de main-d’oeuvre, lequel constituait donc une opération indépendante ayant ce prêt pour objet exclusif ; D’où il suit que les moyens doivent être écartés ; Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ; REJETTE les pourvois ;

Condamne les demandeurs aux dépens ; Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ; Où étaient présents :

M. le Gunehec président, M. Dumont conseiller rapporteur, MM. Zambeaux, Dardel, Fontaine, Alphand, Guerder, Mme Baillot conseillers de la chambre, Mmes X..., F..., Verdun conseillers référendaires, M. Amiel avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ; En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 8 mars 1991

Titrages et résumés : TRAVAIL - Travail temporaire - Contrat - Prêt de main d’oeuvre illicite - Faux contrat de sous traitance - Constatations suffisantes.

Textes appliqués :
* Code du travail L125-3