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Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 10 février 1998

N° de pourvoi : 97-81195

Non publié au bulletin

Cassation

Président : M. MILLEVILLE conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix février mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de la société civile professionnelle COUTARD et MAYER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général de Y... ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... Simone, veuve Z..., contre l’arrêt de la cour d’appel de TOULOUSE, 3ème chambre, en date du 23 janvier 1997, qui, pour participation à une opération de prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage, l’a condamnée à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende, et a ordonné la publication de la condamnation ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1, L. 125-3, L. 152-3 et L. 121-1 du Code du travail, 459, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motifs ;

”en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré le dirigeant ( Simone X...) d’une entreprise de travaux (la société ETP) coupable de marchandage illégal de main d’oeuvre et de prêt illégal de main d’oeuvre ;

”aux motifs propres et adoptés que la société ETP s’était vu confier la réalisation du lot de plâtrerie de la maison de retraite de Grisolles, et lors des contrôles opérés en octobre et novembre 1994, il avait été constaté sur le chantier la présence, outre de quatre de ses salariés et d’un chef d’équipe, des artisans Ferreira et Desplas et de six de leurs employés ;

que si un contrat de sous-traitance de pose avait bien été conclu entre la société ETP et chacun de ces artisans, les deux sous-traitants n’avaient pas été agréés par le maître de l’ouvrage, s’agissant d’un marché de travaux publics, et les renseignements relatifs à ces entreprises n’étaient pas mentionnés sur le panneau de chantier ;

que, dans la mesure où les travaux sous-traités (pose de plafonds, doublage, isolation) n’étaient pas d’une particulière spécificité, et que bien au contraire ils apparaissaient pouvoir être réalisés par les propres salariés de la société ETP, qui possédaient pour la plupart une qualification similaire à celle des sous-traitants, où pour une deuxième part la société ETP fournissait l’intégralité des matériaux ainsi que le gros matériel nécessaire à la réalisation de l’ouvrage, où pour une troisième part, c’était le chef de chantier de la société ETP qui dirigeait les employés de sous-traitants (et pas seulement pour assurer la coordination des taches), qui, eux, ne participaient pas aux réunions de chantier, et où, enfin, la rémunération des sous-traitants se faisait au mètre carré ou à l’heure, comme l’avaient déclaré les prévenus, et non selon un forfait préalablement établi en fonction de l’importance des travaux à accomplir, il apparaissait que la prestation fournie par Ferreira et Desplas, qui reconnaissaient oeuvrer avec leurs salariés presque exclusivement pour le compte de la société ETP et relevaient de la seule subordination juridique et technique de ce donneur d’ordres, consistait en une fourniture illicite de main d’oeuvre ;

que l’entreprise ETP, en utilisant la main d’oeuvre ainsi fournie au travers d’une fausse sous-traitance, bénéficiait d’une meilleure flexibilité dans la gestion de son personnel et faisait l’économie des charges qu’aurait normalement amenées l’embauche de personnel supplémentaire ;

qu’employeur de 46 salariés, en recourant à de telles pratiques, elle évitait en effet de franchir un seuil d’embauche qui l’aurait obligée à la mise en place d’un comité d’entreprise, ses salariés comme ceux de ses faux sous-traitants se trouvant privés des avantages sociaux correspondants ;

que les délits de fourniture illicite de main d’oeuvre et de marchandage étaient en conséquence constitués ;

que Simone X... devrait en répondre, en sa qualité de présidente du conseil d’administration de la société ETP (jugement p. 15 et 16, arrêt p. 9 et

10) ;

qu’il s’agissait d’un prêt exclusif de main d’oeuvre à but lucratif (arrêt p. 10 2) ;

”alors que le marchandage de main d’oeuvre et le prêt de main d’oeuvre à but lucratif n’existent que si les salariés concernés sont placés sous la subordination totale de l’entreprise utilisatrice, que ne suffit pas à caractériser le pouvoir conféré à cette dernière de donner des instructions nécessaires à la coordination du chantier ;

que, dans des conclusions (P. 12 et suivants) régulièrement déposées et visées par l’arrêt, Simone X... montrait que Ferreira et Desplas étaient personnellement présents sur le chantier et que le pouvoir conféré à l’entreprise ETP de donner quelques instructions à leurs salariés ne faisait pas disparaître leur subordination envers ces deux artisans ;

que la Cour ne pouvait donc refuser de rechercher si les circonstances, et notamment la présence personnelle sur le chantier des deux artisans, qu’elle constatait, n’établissaient pas que ceux-ci avaient gardé leur autorité sur leur personnel et étaient donc de véritables sous-traitants” ;

Attendu que pour déclarer Simone X... coupable de participation à une opération de prêt illicite de main d’oeuvre et de marchandage, la cour d’appel se prononce par les motifs reproduits au moyen ;

Attendu qu’en l’état de ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, ainsi que de la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d’appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, et qui a recherché, comme elle le devait, la véritable nature des conventions litigieuses, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais, sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction et absence de motifs ;

”en ce que l’arrêt attaqué, après avoir déclaré le dirigeant (Simone X...) d’une entreprise de travaux (la société ETP) coupable de marchandage illégal de main d’oeuvre et de prêt illégal de main d’oeuvre, a prononcé, selon les motifs (p. 10), une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis et de 5 000 francs d’amende, et, selon le dispositif (p. 11), une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis et de 15 000 francs d’amende ;

”alors que tout jugement doit comporter des motifs, et la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à l’absence de motivation ;

que la Cour s’est contredite, et a laissé incertaine la peine prononcée contre Simone X..., en énonçant d’une part, que celle-ci était condamnée à une amende de 5 000 francs, d’autre part, et pour la même infraction, qu’elle était condamnée à une amende de 15 000 francs” ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ;

que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à leur absence ;

Attendu que, selon les motifs de l’arrêt, l’amende prononcée contre la prévenue est fixée à 5 000 francs, alors que le dispositif de l’arrêt mentionne le montant de 15 000 francs ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

Que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 591 et 751 du Code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt confirmatif attaqué, qui constatait que Simone X... était née le 1er Octobre 1927, ce dont il résultait qu’elle était âgée de 68 ans lors du jugement de condamnation rendu contre elle le 6 août 1996, a néanmoins prononcé la contrainte par corps ;

”alors que la Cour ne pouvait statuer ainsi, la contrainte par corps ne pouvant être prononcée contre les personnes âgées d’au moins 65 ans lors de la condamnation” ;

Vu lesdits articles ;

Attendu qu’aux termes de l’article 751 du Code de procédure pénale, la contrainte par corps ne peut être prononcée contre les personnes âgées d’au moins soixante cinq ans au moment de la condamnation ;

Qu’il suit de là que la cour d’appel a prononcé, à tort, la contrainte par corps contre Simone Chez, âgée de soixante huit ans lors du prononcé de l’arrêt attaqué portant condamnation à son encontre ;

Que la cassation est également encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le troisième moyen de cassation proposé ;

CASSE ET ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de TOULOUSE, en date du 23 janvier 1997, mais seulement en ses dispositions relatives aux peines et à la contrainte par corps prononcées contre Simone X..., toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de TOULOUSE autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcriptions sur les registres du greffe de la cour d’appel de TOULOUSE, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président, Mme Simon conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Chanet, Anzani conseillers de la chambre, Mme Batut, M. Desportes, Mme Karsenty, M. Soulard conseillers référendaires ;

Avocat général : M. de Gouttes ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Toulouse 3ème chambre , du 23 janvier 1997

Titrages et résumés : (Sur le quatrième moyen) CONTRAINTE PAR CORPS - Application - Age du condamné - Limite.

Textes appliqués :
• Code de procédure pénale 749 et 751