Identification du préjudice

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 24 juin 2020

N° de pourvoi : 18-85959

ECLI:FR:CCASS:2020:CR00911

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° F 18-85.959 F-D

N° 911

EB2

24 JUIN 2020

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 24 JUIN 2020

M. R... O... a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 5-13, en date du 14 septembre 2018, qui, pour escroquerie, l’a condamné à vingt mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, devenu sursis probatoire, et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. R... O..., les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de l’ Association la Maison des Artistes, partie civile et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l’audience publique du 13 mai 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 11 août 2009, la Maison des artistes, association qui exerce une fonction sociale d’entraide en faveur des artistes, et gère le régime de sécurité sociale des artistes auteurs pour la branche professionnelle des arts graphiques et plastiques, en accomplissant les missions prévues à l’article L. 383-4 du code de la sécurité sociale, pour le compte du régime général, a porté plainte et s’est constituée partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, après avoir découvert l’existence de paiements frauduleux commis depuis 1986, d’un montant total de plus de 800 000 euros, dissimulés sous l’apparence de remboursements à des diffuseurs.

3. Étaient ainsi créés par voie informatique des faux documents faisant apparaître, à partir de taxations inexistantes, des soldes créditeurs fictifs au profit de diffuseurs, qui justifiaient l’envoi à ceux-ci, sous le prétexte de remboursement de trop perçus, de virements ou de chèques, mais sous les coordonnées bancaires de tiers qui n’avaient aucune relation avec la Maison des artistes. Les situations initiales des comptes des diffuseurs étaient ensuite rétablies au plan informatique, et les écrits utilisés détruits.

4. Ces paiements indus, d’un total de 770 330,48 euros, ont profité à des membres de la famille de M. O..., à des artisans ayant effectué des travaux dans sa maison, ou encore à un concessionnaire automobile auprès duquel M. O... avait acheté plusieurs véhicules. M. O... était à l’époque responsable, au sein de la Maison des artistes, du service Diffuseurs.

5. À l’issue de l’information judiciaire, M. O... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel par ordonnance du juge d’instruction du 13 mai 2016, des chefs de faux et escroquerie, pour avoir, de septembre 1986 au16 décembre 2003, commis des faux en écriture privée en confectionnant des documents relatifs à des décomptes de sommes fictivement dues par la Maison des Artistes à des diffuseurs, et, en faisant usage des dits documents, déterminé la Maison des artistes à adresser aux bénéficiaires énumérés ci-dessus des chèques et des virements non dus, le tout pour un montant total de 770 330,48 euros.

6. Par jugement du 13 décembre 2016, le tribunal correctionnel a constaté l’extinction de l’action publique pour les faits qualifiés de faux, a requalifié les faits poursuivis sous la qualification d’usage de faux en escroquerie, a relaxé partiellement M. O... pour six virements au profit de la société STA, a déclaré le prévenu coupable du surplus de la prévention d’escroquerie, l’a condamné à vingt mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, et a prononcé sur les intérêts civils.

7. M. O..., ainsi que le ministère public, ont relevé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le premier et le troisième moyens

8. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen est pris de la violation des articles 313-1 du code pénal, 7, 8, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale.

10. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté l’exception de prescription, a déclaré M. O... coupable d’escroquerie, l’a condamné à une peine de vingt mois d’emprisonnement assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve pendant deux ans avec l’obligation d’indemniser les parties civiles et a statué sur les intérêts civils, alors :

« 1°/ que la cour d’appel ne peut statuer que sur les faits dont elle est saisie sans pouvoir leur rajouter ou leur substituer d’autres faits non visés dans l’acte de saisine ; qu’en matière d’escroquerie, la prescription court du jour où le délit est consommé par la remise de la chose frauduleusement obtenue ; que lorsque cette chose consiste dans la remise de fonds par virement bancaire, le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle les fonds détournés ont été crédités sur le compte bancaire de leur destinataire ; qu’en l’espèce, les juges du fond étaient saisis par l’ordonnance de renvoi du 13 mai 2016 qui ne visait que la période de septembre 1986 au 16 décembre 2003 ; que dès lors, les opérations postérieures à cette date du 16 décembre 2003 ne pouvaient être prises en compte comme point de départ du délai de prescription pour les faits d’escroquerie ; que pour retenir comme point de départ du délai de prescription la date du 16 décembre 2003, la cour d’appel a relevé que l’ordre de paiement émanant de la Maison des artistes au profit de M. M... mentionnait comme date de liquidation le 15 décembre 2003 et comme date de règlement le 16 décembre 2003 et qu’il avait été signé le 16 décembre 2003 par l’agent comptable de l’association, peu important que les fonds n’aient été crédités sur le compte du bénéficiaire que le 19 décembre 2003 ; qu’en statuant ainsi, elle a violé les textes susvisés ;

2°/ que la cour d’appel ne peut statuer que sur les faits dont elle est saisie sans pouvoir leur rajouter ou leur substituer d’autres faits non visés dans l’acte de saisine ; qu’en matière d’escroquerie, la prescription court du jour où le délit est consommé par la remise de la chose frauduleusement obtenue ; qu’en l’espèce, les juges du fond étaient saisis par l’ordonnance de renvoi du 13 mai 2016 qui ne visait que la période de septembre 1986 au 16 décembre 2003 ; que dès lors, les opérations postérieures à cette date du 16 décembre 2003 ne pouvaient être prises en compte comme point de départ du délai de prescription pour les faits d’escroquerie ; que pour retenir comme point de départ du délai de prescription la date du 16 décembre 2003, la cour d’appel a relevé que l’ordre de paiement émanant de la Maison des artistes au profit de M. M... mentionnait comme date de liquidation le 15 décembre 2003 et comme date de règlement le 16 décembre 2003 et qu’il avait été signé le 16 décembre 2003 par l’agent comptable de l’association avec mention qu’il avait été payé ce jour par virement ; qu’en se fiant pour fixer la date du virement à une mention apposée par l’agent comptable de l’association sur son ordre de paiement sans examiner le relevé bancaire de la Maison des artistes pour la période du 10 au 19 décembre 2003 (cote D7/53) dont il ressortait que le virement avait été effectué le 17 décembre 2003 soit en dehors de la période visée à la prévention, la cour d’appel a insuffisamment motivé sa décision. »

Réponse de la Cour

11. Pour dire que le délit d’escroquerie commis au préjudice de la Maison des artistes n’est pas prescrit, l’arrêt attaqué énonce que figure en procédure un ordre de paiement, émanant de la Maison des artistes, dans le cadre d’un dossier suivi par M. O..., au profit de M. M... , d’un montant de 4 140 euros au titre d’un réajustement de l’assiette de 2001, que cet ordre de paiement mentionne comme date de liquidation le 15 décembre 2003, comme date de règlement le 16 décembre 2003, et qu’il a été signé le 16 décembre 2003 par l’agent comptable de l’association avec mention de ce qu’il a été payé ce jour par virement tiré sur le compte ouvert par l’association à la BFCC agence Courcelles.

12. Les juges en concluent que ceci suffit à établir que la dernière remise des fonds a eu lieu le 16 décembre 2003, date de la signature de l’ordre de paiement, peu important que ces derniers n’aient été crédités sur le compte du bénéficiaire que le 19 décembre 2003, à une date se situant hors de la prévention, alors qu’il n’est pas contesté que le premier acte interruptif de prescription est intervenu le 16 octobre 2006, date à laquelle a été diligentée l’enquête préliminaire sur les instructions du procureur de la République de Paris, donc moins de trois ans après la dernière remise.

13. En l’état de ces énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision, dès lors que tant l’ordre de paiement signé par le comptable que l’encaissement des fonds par le bénéficiaire sont constitutifs de la remise dans la commission de l’escroquerie.

14. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen est pris en la violation des articles 313-1 du code pénal, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale.

16. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a, infirmatif sur ce point, condamné M. O... à payer à la Maison des artistes la somme de 770 330,48 euros au titre de son préjudice financier, alors :

« 1°/ que lorsque le délit d’escroquerie consiste dans le détournement de fonds, celui qui a personnellement souffert du dommage matériel est le propriétaire de ces fonds ; qu’en l’espèce, pour condamner M. O... à verser à la Maison des artistes la somme de 770 330,48 euros, la cour d’appel s’est bornée à relever que c’était entre les mains de la Maison des artistes que les fonds avaient été détournés et qu’il lui appartenait de les recouvrer afin de les rétrocéder à l’organisme de sécurité sociale ; qu’en statuant ainsi quand il ressortait de ses propres constatations que la Maison des artistes n’était pas la propriétaire des fonds détournés, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

2°/ que l’action civile en réparation du dommage causé par un délit appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ; qu’en l’espèce, pour condamner M. O... à verser à la Maison des artistes la somme de 770 330,48 euros, la cour d’appel a relevé que c’était entre les mains de la Maison des artistes que les fonds avaient été détournés et qu’il appartenait à cette dernière de les recouvrer afin de les rétrocéder à l’organisme de sécurité sociale ; qu’en statuant ainsi sans préciser quel serait le fondement juridique d’une telle obligation de rétrocession des fonds à l’organisme de sécurité sociale quand les sommes détournées étaient prescrites et que l’Etat ne les avait jamais réclamées, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés. »

Réponse de la Cour

17. Pour condamner M. O... à payer à la Maison des artistes la somme de 770 330,48 euros au titre de son préjudice financier, l’arrêt attaqué énonce qu’aux termes des dispositions de l’article R. 382-12 du code de la sécurité sociale, l’organisme agréé est responsable des fonds qui lui sont confiés, et qu’il lui appartient donc, alors que c’est entre ses mains que les fonds ont été détournés, de les recouvrer afin de les rétrocéder à l’organisme de sécurité sociale.

18. Les juges en concluent que la partie civile est fondée à demander l’indemnisation du préjudice financier qu’elle a subi, et qui est en lien direct et certain avec les faits pour lesquels le prévenu a été déclaré coupable.

19. En statuant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision, dès lors que la personne qui, en raison de l’escroquerie, s’est dessaisie des choses qu’elle détenait pour autrui et qu’elle devait représenter à leur propriétaire, subit un préjudice matériel direct, équivalant à la valeur de la chose qu’elle détenait pour celui-ci.

20. Ainsi, le moyen, qui est nouveau et manque en fait dans sa seconde branche, doit être écarté.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre juin deux mille vingt.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 14 septembre 2018