OPJ - nécessité de prouver le consentement de la personne entendue

Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 novembre 2020, 19-20.772, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre civile 1

N° de pourvoi : 19-20.772
ECLI:FR:CCASS:2020:C100649
Publié au bulletin
Solution : Cassation sans renvoi

Audience publique du mercredi 04 novembre 2020
Décision attaquée : Cour d’appel de Nîmes, du 28 janvier 2019

Président
Mme Batut (président)
Avocat(s)
SCP Lyon-Caen et Thiriez
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION


Audience publique du 4 novembre 2020

Cassation sans renvoi

Mme BATUT, président

Arrêt n° 649 FS-P+B

Pourvoi n° W 19-20.772

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. I....
Admission du bureau d’aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 4 juin 2019.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 NOVEMBRE 2020

M. S... I..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° W 19-20.772 contre l’ordonnance rendue le 28 janvier 2019 par le premier président de la cour d’appel de Nîmes, dans le litige l’opposant :

1°/ au préfet du Gard, domicilié [...] ,

2°/ au procureur général près la cour d’appel de Nîmes, domicilié en son parquet général, [...],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Gargoullaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. I..., et l’avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l’audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Gargoullaud, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, M. Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mmes Poinseaux, Guihal, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’ordonnance attaquée, rendue par le premier président d’une cour d’appel (Nîmes, 28 janvier 2019), et les pièces de la procédure, le 22 janvier 2019, les fonctionnaires de police ont effectué un contrôle de travail dissimulé sur un chantier de construction d’une maison individuelle et procédé au contrôle d’identité de M. I..., de nationalité albanaise. Celui-ci, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en rétention administrative.

2. Le 24 janvier 2019, le juge des libertés et de la détention a été saisi, par le préfet, d’une requête en prolongation de la mesure.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. M. I... fait grief à l’ordonnance de prolonger la mesure, alors « qu’il résulte des dispositions de l’article L. 8271-6-1 du code du travail que les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 sont habilités à entendre, avec leur consentement, toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature des activités de cette personne, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature ; que ces dispositions sont d’application stricte ; qu’en déclarant régulier le contrôle d’identité de M. I... sans constater son consentement à son audition, le premier président de la cour d’appel a violé l’article L. 8271-6-1 du Code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 8211-1 et L. 8271-6-1 du code du travail :

4. Selon ces textes, les officiers et agents de police judiciaire sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature des activités de cette personne, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature. De même, ils peuvent entendre toute personne susceptible de fournir des informations utiles à l’accomplissement de leur mission de lutte contre le travail illégal et sont habilités à demander aux employeurs, aux travailleurs indépendants, aux personnes employées dans l’entreprise ou sur le lieu de travail ainsi qu’à toute personne dont ils recueillent les déclarations dans l’exercice de leur mission, de justifier de leur identité et de leur adresse.

5. Il en résulte que les officiers et agents de police judiciaire ne peuvent obtenir ces justifications sans le consentement préalable des intéressés à être entendus.

6. Pour rejeter le moyen pris de l’irrégularité de la procédure, l’ordonnance relève que le contrôle de l’identité de M. I... est intervenu sur le fondement de l’article L. 8271-6-1 du code du travail.

7. En statuant ainsi, sans constater que celui-ci avait préalablement consenti à son audition, le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. La cassation prononcée n’implique pas, en effet, qu’il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’ordonnance rendue le 28 janvier 2019 par le premier président de la cour d’appel de Nîmes ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’ordonnance cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. I....

Le moyen fait grief à l’ordonnance infirmative attaquée d’avoir ordonné la prolongation de la rétention administrative de Monsieur I... ;

Aux motifs que Monsieur le Préfet du GARD, dans sa requête d’appel datée du 25 janvier et par la voix de sa représentante à l’audience, fait valoir que l’intéressé a été contrôlé au visa des dispositions de l’article L. 8271-1 et suivants du code du travail qui permettent aux agents de contrôle d’assurer de tels contrôles, et dont font partie les agents et officiers de police judiciaire. Aux ternes de l’article L. 8211-1 du code du travail, modifié par Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 - art. 18 : « Sont constitutives de travail illégal, dans les conditions prévues par le présent livre, les infractions suivantes : / (...) /4° Emploi d’étranger non autorisé à travailler » ; Article L. 8271-l du code du travail, modifie par Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 – art. 84 : « Les infractions constitutives de travail illégal mentionnées à l’article L. 8211-1 sont recherchées et constatées par les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 dans la limite de leurs compétences respectives en matière de travail illégal ». Article L 8271-1-2 du code du travail modifié par Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 – art. 113 (V) : « Les agents de contrôle compétents en application de l’article L. 8271-1 sont : / (
) / 2° Les officiers et agents de police judiciaire » ; qu’en l’espèce, il ressort du procès-verbal que les officiers de police judiciaire constatent « qu’un lotissement de construction de maisons individuelles est en cours d’élévation ». Il est précisé que dans le cadre de recherche infractions à la législation du droit du travail, sur le fondement des articles L. 8211-1 et suivants du Code du travail, ils décident de procéder à des contrôles d’identité ; que comme le relève le premier juge, il n’est pas exposé que le contrôle d’identité a été déclenché pour un motif figurant à l’article 78-2 du code de procédure pénale car seuls les articles L. 8211-1 et suivants du Code du travail sont visés lors de l’interpellation. A cette occasion, l’identité de Monsieur S... I... est alors vérifiée ; qu’aux termes de l’article L. 8211-1 du code du travail, modifié par Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 - art. 18 : « Sont constitutives de travail illégal, dans les conditions prévues par le présent livre, les infractions suivantes : / (...) /4° Emploi d’étranger non autorisé à travailler » ; Article L. 8271-l du code du travail, modifié par LOI n° 2011-672 du 16 juin 2011 – art. 84 : « Les infractions constitutives de travail illégal mentionnées à l’article L. 8211-1 sont recherchées et constatées par les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 dans la limite de leurs compétences respectives en matière de travail illégal » ; Article L. 8271-1-2 du code du travail modifié par Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 – art. 113 (V) : « Les agents de contrôle compétents en application de l’article L. 8271-1 sont : / (
) / 2° Les officiers et agents de police judiciaire » ; qu’en l’espèce, il ressort du procès-verbal que les officiers de police judiciaire constatent « qu’un lotissement de construction de maisons individuelles est en cours d’élévation ». Il est précisé que dans le cadre de recherche infractions à la législation du droit du travail, sur le fondement des articles L. 8211-1 et suivants du Code du travail, ils décident de procéder à des contrôles d’identité. Comme le relève le premier juge, il n’est pas exposé que le contrôle d’identité a été déclenché pour un motif figurant à l’article 78-2 du code de procédure pénale car seuls les articles L. 8211-1 et suivants du Code du travail sont visés lors de l’interpellation. A cette occasion, l’identité de Monsieur S... I... est alors vérifiée. Aux termes de l’article 78-2-1 du Code de procédure pénale qui dispose : « Sur réquisitions du procureur de la République, les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaires adjoints mentionnés aux article 20 et 21 (1°) sont habilités à entrer dans les lieux à usage professionnel, ainsi que dans leurs annexes et dépendances, sauf s’ils constituent un domicile, où sont en cours des activités de construction, de production, de transformation, de réparation, de prestation de services ou de commercialisation, (
) ». Comme le relève également le premier juge, ce contrôle est exclusif de l’application de l’article 78-2-1 du code de procédure pénale qui suppose des réquisitions écrites du procureur de la République, alors qu’aucune réquisition ne figure au dossier et les officiers de police judiciaire ne font pas référence à l’existence de telles réquisitions. Toutefois, aux termes de l’article L. 8271-6-1 du Code du travail : « Les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature des activités de cette personne, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s ’y rapportant, y compris les avantages en nature. De même, ils peuvent entendre toute personne susceptible de fournir des informations utiles à l’accomplissement de leur mission de lutte contre le travail illégal. Conformément à l’article 28 du code de procédure pénale, l’article 61-1 du même code est applicable lorsqu’il est procédé à l’audition d’une personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. (
) ; que le moyen portant sur l’irrégularité du contrôle sera écarté.

Alors que, de première part, il résulte de l’article 78-2-1 alinéa 1er du Code de procédure pénale, que les officiers de police judiciaire, et sur l’ordre et la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaires sont habilités à entrer dans les lieux à usage professionnel, ainsi que dans leurs annexes et dépendances, sauf s’ils constituent un domicile, où sont en cours des activités de construction, de production, de transformation, de réparation, de prestation de services ou de commercialisation, en vue de contrôler l’identité des personnes occupées, dans le seul but de vérifier qu’elles figurent sur le registre ou qu’elles ont fait l’objet des déclarations mentionnées à l’alinéa précédent, sur réquisitions du procureur de la République ; qu’en déclarant régulier le contrôle d’identité de Monsieur I... après avoir constaté l’absence de réquisitions du procureur de la République au dossier ainsi que l’absence de référence du procès-verbal de à l’existence de telles réquisitions sur le fondement de l’article L. 8271-6-1 du Code du travail, le Premier Président de la Cour d’appel a violé par refus d’application l’article 78-2-1 du Code de procédure pénale ;

Alors que, de deuxième part, l’article L. 8271-6-1 du Code du travail figurant dans un chapitre 1er intitulé « Compétence des agents » énonce seulement que les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 sont habilités à entendre, avec leur consentement, toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature des activités de cette personne, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature ; qu’en déclarant régulier le contrôle d’identité effectué sur le fondement de cette disposition, le Premier Président de la Cour d’appel l’a violée par fausse application ;

Alors que, de troisième part, il résulte des dispositions de l’article L. 8271-6-1 du Code du travail que les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 sont habilités à entendre, avec leur consentement, toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature des activités de cette personne, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature ; que ces dispositions sont d’application stricte ; qu’en déclarant régulier le contrôle d’identité de Monsieur I... sans constater son consentement à son audition, le Premier Président de la Cour d’appel a violé l’article L. 8271-6-1 du Code du travail.ECLI:FR:CCASS:2020:C100649