Confiscation générale du patrimoine au profit AGRASC - non - erreur de droit

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 21 janvier 2020

N° de pourvoi : 19-80257

ECLI:FR:CCASS:2020:CR02936

Non publié au bulletin

Cassation

M. Soulard (président), président

SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Le Griel, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° D 19-80.257 F-D

N° 2936

CK

21 JANVIER 2020

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 21 JANVIER 2020

M. W... J... a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens, chambre correctionnelle, en date du 19 septembre 2018, qui, pour travail dissimulé en récidive et direction d’une entreprise malgré interdiction judiciaire, l’a condamné à deux ans d’emprisonnement, dont un an avec sursis et mise à l’épreuve, et à une interdiction professionnelle définitive, a ordonné une mesure de confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Griel, avocat de M. W... J..., les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de URSSAF de Picardie, et les conclusions de Mme Caby, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 10 décembre 2019 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. J... a été poursuivi, en qualité de dirigeant de fait d’une entreprise en bâtiment, notamment des chefs de travail dissimulé en récidive, pour s’être soustrait, pour plusieurs employés, en particulier deux salariés nommément désignés, aux déclarations relatives aux salaires et cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales, et direction d’une entreprise malgré interdiction judiciaire, devant le tribunal correctionnel qui l’a déclaré coupable.

3. M. J... a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen est pris de la violation des articles préliminaire et 406, 407, 591 et 593 du code de procédure pénale, 6, § 3, de la Convention européenne de des droits de l’homme, défaut de motifs, manque de base légale.

5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a énoncé qu’à l’appel de la cause, à l’audience publique du 30 mai 2018, M. le président a constaté l’identité du prévenu M. W... J... et a informé ce dernier de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, puis qu’ont été entendus M. le président, qui a fait prêter le serment prescrit par l’article 407 du code de procédure pénale à l’interprète Mme F... A... (arrêt, page 2), alors qu’il résulte de l’article préliminaire et de l’article 407 du code de procédure pénale que l’interprète qui assiste le prévenu doit être désigné dans des conditions telles qu’elles lui permettent d’apporter utilement son concours à l’intéressé pendant toute la durée de la procédure et, notamment, pendant toute la durée des débats au cours desquels le prévenu est susceptible de s’exprimer et de répondre à des questions ou à des interpellations ; qu’il s’ensuit que la prestation de serment de l’interprète prévue par le texte susvisé, qui est une condition impérative et préalable à l’exécution de sa mission, doit notamment intervenir avant que l’information prévue par l’article 406 du même code, qui est une condition essentielle de la régularité de la procédure, ne soit donnée au prévenu, afin que cette information lui soit utilement donnée dans une langue qu’il comprend ; qu’en l’espèce, il résulte des mentions de l’arrêt attaqué que lors de l’ouverture de l’audience publique des débats du 30 mai 2018, le président de la cour a, dans un premier temps, informé le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, puis, dans un second temps, fait prêter serment à l’interprète désigné pour assister le prévenu ; qu’en l’état de ces énonciations, d’où il résulte qu’au moment où l’information prévue à l’article 406 du code de procédure pénale lui était délivrée, l’exposant n’avait pas encore bénéficié de l’assistance régulière d’un interprète et, partant, n’était pas en mesure de comprendre les termes de cette information essentielle, l’arrêt attaqué ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale”.

Réponse de la Cour

Vu les articles 406 et 407 du code de procédure pénale ;

6. Il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsqu’un prévenu ne parle pas suffisamment la langue française et qu’un interprète a été désigné pour le déroulement des débats, le président de la formation de jugement fait prêter serment à ce dernier avant de constater l’identité de la personne poursuivie, de lui donner connaissance de l’acte qui a saisi la juridiction et de l’informer de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

7. Selon les mentions de l’arrêt attaqué, qui font foi jusqu’à inscription de faux et dont les notes d’audience ne sauraient remettre en cause l’autorité, à l’appel de la cause, le président de la formation de jugement a constaté l’identité du prévenu et informé ce dernier de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, puis a fait prêter le serment prescrit par l’article 407 du code de procédure pénale à l’interprète.

8. En recevant le serment de l’interprète après que l’identité du prévenu a été constatée et qu’il a été informé de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe précédemment rappelé.

9. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen est pris de la violation des articles L. 8224-2, L 8221-1, L. 8221-5 et L. 8224-3 du code du travail, 111-3 et 131-1 du code pénal, R 243-14 du code de la sécurité sociale, 2, 3, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.

11. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. W... J... coupable de travail dissimulé, commis à l’égard de plusieurs personnes et en état de récidive légale, a prononcé, à titre de peine complémentaire, la confiscation de la somme de 219 985 euros au profit de l’AGRASC, a dit que cette confiscation était prononcée au titre de la confiscation générale du patrimoine de la personne condamnée, en application de l’article L. 8224-3 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, et de l’article 131-21 du code pénal et, par conséquent, a débouté M. J... de sa demande de restitution de cette somme, alors que nul ne peut être puni, pour un délit, d’une peine qui n’est pas prévue par la loi ; qu’il résulte de l’article 131-21 du code pénal que la confiscation ne peut porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné que lorsque la loi qui réprime l’infraction le prévoit expressément ; que tel n’est pas le cas de l’article L. 8224-3-3° du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, qui dispose que la personne déclarée coupable de travail dissimulé encourt la peine de confiscation « dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article 131-21 du code pénal » et ne prévoit pas de faire porter la confiscation sur le patrimoine du condamné ; qu’en estimant le contraire, pour prononcer la confiscation de la somme de 219 985 euros qui, représentant le solde créditeur d’un compte bancaire de l’exposant, ne constitue ni le produit de l’infraction ni un bien ayant servi à la commettre, la cour d’appel a violé les textes susvisés et méconnu le principe de la légalité criminelle”.

Réponse de la Cour

Vu les articles 111-3 et 131-21, alinéa 6, du code pénal et L. 8224-3 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances ;

12. Aux termes du premier de ces textes, nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi.

13. Il résulte du deuxième de ces textes que la confiscation de tout ou partie du patrimoine de la personne condamnée ne peut être prononcée sans que la loi réprimant le crime ou le délit poursuivi ne la prévoie expressément.

14. Selon le troisième de ces textes, cette confiscation ne figure pas parmi les peines encourues pour sanctionner le délit de travail dissimulé.

15. Après avoir déclaré le prévenu coupable de travail dissimulé et rappelé les termes de l’article 131-21, alinéa 6, du code pénal, l’arrêt énonce qu’une confiscation est ordonnée au titre de la confiscation générale du patrimoine du condamné prévue par les dispositions précitées et non en tant que produit de l’infraction et ordonne la confiscation de la somme de 219 985 euros représentant le solde créditeur du compte courant du prévenu.

16. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le deuxième moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel d’Amiens, en date du 19 septembre 2018, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel d’Amiens autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel d’Amiens et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt et un janvier deux mille vingt.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Amiens , du 19 septembre 2018